1825 : insurrection au Houlme; un jeune ouvrier guillotiné.

« L’augmentation ou le livret » : une coalition et sa répression dans les vallées du Cailly et de l’Austreberthe (Seine-Inférieure, Seine-Maritime).

Par Gilles Pichavant

(Étude publiée en avril 2022, dans Le Fil Rouge n°75, la revue de l’Institut CGT d’Histoire sociale de Seine-Maritime)

Au début juillet 1825, prétextant une baisse de la vente du coton, les manufacturiers provoquent une baisse des salaires de 10%[1]. Cette baisse, intervenant après d’autres va conduire à une mobilisation et une action de masse sans précédent dans les vallées de Barentin et de Maromme. Les ouvriers fileurs vont s’organiser dans la clandestinité pour contester la dictature patronale des filateurs, pour obtenir l’annulation de la baisse. La résistance acharnée et l’attitude provocatrice de Jacques Levavasseur, patron filateur, s’appuyant sur la force armée, va porter la tension à son comble, jusqu’à provoquer des émeutes au Houlme, les 6 et 8 août 1825.

Les troubles du Houlme, affaire aujourd’hui méconnue, a pourtant longtemps été gardée en mémoire chez les militants ouvriers, car elle a été marquée par la terrible condamnation à mort et l’exécution d’un jeune fileur, Jules Roustel.

Avant d’être oubliée au tournant des années 70 du 20e siècle, cette insurrection servit longtemps d’exemple dans les formations syndicales CGT en Seine-Maritime pour montrer que de tout temps les exploités avaient cherché à se rassembler et à s’organiser pour se défendre. On en trouve trace notamment dans les conférences que prononçait Fernand Legagneux[2], secrétaire général de l’UD CGT avant la 2e guerre mondiale et après la Libération, qui s’en servait pour montrer l’importance de la liberté syndicale et du droit de grève, et de la nécessité de tout faire pour les préserver.[3]

La Révolution industrielle et ses effets

Les environs de Rouen, notamment les vallées du Cailly (Maromme) et de l’Austreberthe (Barentin), constituent l’une de ces régions dans lesquelles, dès la période révolutionnaire, s’implante une industrie de la filature de coton, utilisant une première accumulation capitalistique constituée sur les profits accumulés dans le commerce triangulaire (la traite des esclaves). Car les machines à filer — les mules-jennys — et tout l’appareillage nécessaire pour les faire fonctionner ainsi que les machines à carder, nécessite un lourd investissement, hors de portée du petit artisan.

Attention, il s’agit de filature et non de tissage ! Ce n’est pas le même métier ! Le tissage reste encore, à l’époque, largement le fait de milliers d’artisans. La filature est déjà une industrie. Elle intervient en amont du tissage. Celle-ci a pour but de transformer un filament textile de quelque origine qu’il soit en fil. Dans les vallées du Cailly et de l’Austreberthe on transforme le coton importé par bateaux d’Amérique du nord sous forme de ballots. Pour cela on utilise une série de procédés dont le premier, le filage mécanique, est inventé en 1764 par l’anglais James Hargreaves. Ces procédés sont ensuite développés et industrialisés par d’autres anglais Richard Arkwright (1775) et Samuel Crompton (1779). Ceux-ci découpent en une série d’opérations faites par des machines, le travail fait initialement à la main, depuis la nuit des temps, par des femmes appelées les fileuses. Le filage du coton est déjà une industrie d’une rare efficacité, ses machines étant animées par un moteur hydraulique (une roue de moulin)[4]. Elles reçoivent la puissance mécanique à l’aide d’engrenages et de courroies qui courent à tous les étages de l’établissement. Successivement, à l’aide de ces machines, autour desquelles s’activent ouvriers, ouvrières et enfants, la filature nettoie le coton (battage), aligne les fibres (cardage, peignage), étire les mèches produites (étirage, doublage), tords les mèches pour en faire du fil, et les regroupe en écheveaux pour les livrer à la vente.  La filature, c’est l’origine même de la révolution industrielle.

La Restauration est une période de grande prospérité pour cette industrie. Les fabriques se font si nombreuses sur les rivières qu’une règlementation devient nécessaire. Une ordonnance royale du 21 août 1822 crée une commission syndicale qui en chargée de réglementer le curage, l’installation de systèmes de vannes, des litiges entre propriétaires, etc. En 1823 par exemple, si les moulins à eau sont encore nombreux dans la vallée du Cailly[5] (27 moulins à blés, 25 moulins  à papier, 10 moulins à alizarine[6] et à indigo[7]), et on y dénombre aussi 43 filatures de coton (soit plus du tiers de la Seine-Inférieure), 13 imprimeries de toiles peintes et 17 teintureries.[8]

D’autres cours d’eau que le Cailly, sont utilisés de la même manière dès qu’ils disposent d’un débit suffisant : à l’ouest, l’Austreberthe[9] (Barentin, Pavilly), et, plus loin, la rivière de Bolbec ; à l’est, l’Andelle ou l’Eure ; Dans le nord du Département, la Saane, Scie, la Varenne, etc.

Parlons travail et métier.

Mule-Jenny, achetée en Seine-Inférieure en 1825, toujours en fonctionnement au Musée de Langogne (Lozère) (photo © Gilles Pichavant, 2013)

Pour la bourgeoisie, la filature du coton est une source d’enrichissement rapide, à condition d’avoir un fort capital initial et « les reins solides ». Nous verrons plus tard comment la défaillance des uns fait la fortune des autres.

Les ouvriers, eux, y trouvent de l’ouvrage, et des centaines d’hommes, femmes et enfants, se rendent quotidiennement vers les usines pour une longue journée de travail de 14 heures au moins, sous une discipline rigoureuse. Le fileur est généralement bien payé, de deux à peut-être trois fois le salaire d’un ouvrier d’une autre corporation. À cette époque, être fileur c’est faire partie d’une sorte d’aristocratie ouvrière ; c’est disposer d’un savoir-faire spécifique et recherché, celui de faire fonctionner les mules-jennys[10] qui permettaient de filer incomparablement plus et plus vite que les fileuses à rouet du XVIIIe siècle. À cette époque, le métier de fileur n’est pas réellement menacé par le déploiement dans les grands établissements de machines fileuses automatiques — les continus Conduites par des femmes, celles-ci sont plus lourdes, plus complexes et plus chères à l’achat. Elles  sont, à l’époque, essentiellement utilisées pour la production de fils de trame pour le tissage, le filage « en fin » ou « en doux » restant l’apanage des fileurs. Ce n’est qu’au milieu des années 1830 que le métier de fileur sera condamné par l’introduction de systèmes automatiques sur les mules-jennys, appelés « self-acting ». Ces mécanismes remplaceront les fileurs en une décennie. Il restera alors devant ces machines essentiellement les rattacheurs, très jeunes ouvriers et ouvrières surexploités et sous-payés.

Le métier de fileur, à quelques rares exceptions, est un métier essentiellement masculin. Le fileur en doux conduit seul un Bély[11], de 80 à 150 broches ou fusettes. Le fileur en fin, lui, conduit deux larges mules-jennys disposées face à face de 260 broches[12], soit 520 broches au total. Il commence à exister à l’époque des métiers de 360 broches, soit 720 broches au total. Le fleur est aidé par un rattacheur, un enfant, chargé de renouer les fils cassés. Pendant que la première machine fabrique automatiquement son aiguillée en faisant avancer automatiquement son lourd chariot sur environ un mètre[13] et tourner les broches d’au moins 400 tours, le fileur repousse manuellement le charriot de la seconde machine à son point de départ, en surveillant le bon bobinage des fils sur les broches. Puis il se retourne pour faire la même chose sur la première machine, pendant que la seconde fabrique à son tour, et automatiquement, son aiguillée. Et, avec son aide, il nettoie les mécanismes au moins quatre fois par jour.

Un fileur fait souvent embaucher toute sa famille à la filature, et celle-ci en vit bien. Les femmes sont employées aux cardes[14] et aux continus, et touchent la moitié du salaire d’un fileur. Les enfants sont utilisés comme rattacheurs pour le filage en fin, ou à la préparation du coton. Ils touchent le quart d’un salaire de fileur. Mais malgré une législation impitoyable — loi Le Chapelier[15] — et de bons salaires, les rapports salariés et patrons n’en sont pas pour autant calmes. Les conflits portés n’en sont pas moins nombreux : dans la 2ème décennie du siècle il est porté annuellement devant les prud’hommes, seize à dix-sept cents contestations[16]. Dans la 3e et la 4e décennie le patronat, s’appuyant sur les progrès techniques, s’attachera à faire baisser les salaires des hommes, si bien qu’à la veille de la révolution de 1848, leurs salaires auront été ramenés au niveau de ceux des autres corporations.

Le livret ouvrier

Après la Révolution de 1830, le pouvoir relance de Livret ouvrier (Archives départementales de Seine Maritime, cote 10M330)

Le livret ouvrier joue un rôle important dans l’affaire du Houlme. C’est un document officiel que doit posséder, à cette époque, chaque ouvrier. Il est créé par Napoléon Bonaparte en 1803, et sera généralisé par Napoléon III en 1854. Son usage déclinera à partir de 1890 pour s’éteindre au début du 20e siècle. Le livret permet, notamment, le contrôle des horaires et des déplacements des ouvriers par les autorités, auxquelles il doit être présenté à de multiples occasions. « Article 3. L’ouvrier sera tenu de faire viser son dernier congé par le maire ou son adjoint, et de faire indiquer le lieu où il se propose de se rendre. Tout ouvrier qui voyagerait sans être muni d’un livret ainsi visé sera réputé vagabond, et pourra être arrêté et puni comme tel. »[17]

Le patron garde le livret pendant tout le temps où l’ouvrier travaille chez lui. L’ouvrier ne peut donc pas quitter librement son emploi. « Réclamer son livret » prend donc le sens de ce qu’on appelle aujourd’hui « demander son compte » ou démissionner.

Le livret doit être rempli par le patron avant le départ de l’entreprise. « Article 4. Tout manufacturier, entrepreneur et généralement toutes personnes employant des ouvriers, seront tenus, quand ces ouvriers sortiront de chez eux, d’inscrire sur leurs livrets un congé portant acquit de leurs engagements, s’ils les ont remplis. Les congés seront inscrits sans lacune, à la suite les uns des autres ; ils énonceront le jour de la sortie de l’ouvrier. »[18]

Le livret donne donc au patron un pouvoir considérable sur ses ouvriers, de même qu’il permet aux autorités — les maires — qui les visent, de surveiller cette classe considérée comme dangereuse.

Lutte de classes dans les filatures.

En 1823, déjà, on a la trace de mouvements sociaux dans les filatures de la région. Les manufacturiers, prétextant une baisse du prix du coton filé, réduisent les salaires. A Barentin le 10 novembre plus de cinquante ouvriers cessent le travail, et le 11, ils manifestent en ville, en faisant le tour des manufactures pour faire arrêter le travail dans les autres filatures.[19] Le maire de Barentin en informe tardivement le préfet, qui lui répond que si l’affaire se poursuivait, il « serait du devoir de l’autorité locale de dresser procès  verbal, en les traduisant ensuite devant le tribunal de police correctionnelle pour l’application de l’article 415 du code pénal[20] ».  Quelques jours plus tard le maire lui écrit que tout était rentré dans l’ordre, sans qu’il n’ait eu besoin de dresser procès verbal. On n’en sait pas plus.

Or, à l’époque, la grève comme l’association sont des délits. Le mot grève n’existe d’ailleurs pas encore. On appelle « coalition » cet ensemble indissocié, que forment organisation collective et arrêt de travail. Les contrevenants encourent des poursuites en correctionnelle et des condamnations à de la prison.

Les ouvriers et les ouvrières, adultes comme enfants, n’acceptent évidemment pas les baisses de salaire. Lorsque cela arrive, les plus hardis profitent de la paie, qui a lieu un samedi toutes les quinzaines, pour manifester leur mécontentement et réclamer de l’augmentation. Ceux qui ne sont pas en charge de famille demandent qu’on leur rende leur livret, et s’en vont chercher à se faire embaucher ailleurs. Car le savoir-faire d’un fileur est très recherché, et l’on retrouve facilement du travail. Ce faisant, les fileurs se rencontrent et font connaissance avec nouveaux compagnons de travail, tout en gardant des contacts avec les anciens, avec qui ils ont passé souvent plusieurs années de labeur. De nombreux ouvriers qui travaillent dans la région sont originaires de l’agglomération rouennaise. Ils y retournent le samedi soir car leurs familles habitent les faubourgs. La semaine, ils sont logés dans des auberges, où ils vivent avec d’autres fileurs.

Si l’on n’a pas le droit de se coaliser, on se concerte entre ouvriers. On échange dans les ateliers, en évitant d’en dire trop en présence des contremaîtres. On discute au café ou dans les auberges, et évidemment en famille, car il n’est pas rare de trouver des frères, des beaux-frères ou des cousins dans le métier.

L’organisation de la résistance et la caisse de solidarité.

Au début juillet 1825, les patrons baissent à nouveau les salaires. L’annonce est faite 2 juillet à ses ouvriers par Pierre d’Arpontigny, filateur à Bondeville[21]. Un ouvrier, Louis Berson, demande son livret, alors que les 15 autres fileurs ne disent rien, mais ils sont tous mécontents. Le patron se déclare prêt à le lui rendre, mais prétexte que Berson lui doit encore, selon la coutume, une quinzaine de travail. Celui-ci se dit prêt à faire sa quinzaine, mais au tarif précédent, ce que refuse le patron qui prétend le payer au nouveau tarif. L’on se quitte là-dessus, mais Berson, accompagné de plusieurs fileurs se rend chez le maire, qui, peut-être peu au fait de la législation, lui conseille de retourner voir le patron. Oui car déjà il s’agit, au terme de la loi, d’une coalition, puisque les fileurs se sont concertés et se sont rendus en groupe chez le maire. La démarche des fileurs est donc déjà répréhensible.

Le lundi, fort de l’appui du maire, Berson vient chercher son livret accompagné de plusieurs autres qui n’avaient rien dit le samedi, mais qui demandent à leur tour leur livret. Le patron cède, et ils quittent la filature. C’est la première manifestation de la coalition en formation.

Après leur visite chez le maire, les fileurs se sont vraisemblablement organisés. Ils ont dû se réunir le dimanche, puisque la paie a lieu le samedi. Ils ont vraisemblablement rencontré aussi des fileurs de la vallée de Pavilly, puisque, nous allons le voir, Berson a un beau-frère qui y travaille. Tous ont compris que la richesse de leur patron vient de la mise en œuvre de leur savoir-faire sur les machines. Ils ont compris que si un grand nombre de machines de tournent pas, le profit de leur employeur va être atteint, or celui-ci s’est souvent endetté pour les acquérir. Pour faire pression sur le patron, ils n’ont qu’un moyen : demander leur livret ; mais cela ne veut pas dire qu’ils veulent réellement quitter l’entreprise. Pour obliger le patron à transiger, parallèlement à leur départ, ils s’organisent pour empêcher d’autres fileurs au chômage de venir s’embaucher à leur place. Et pour passer le cap des quelques jours qu’ils estiment nécessaires à faire céder le patron, ils créent une caisse de solidarité qui servira à pallier à leur perte de revenu. Et la particularité de la caisse de 1825, c’est qu’elle a vocation à venir en aide aux fileurs des deux vallées qui, dans une démarche collective et non plus individuelle, auraient demandé leur livret. Cependant l’impatience est là puisque quelques jours après avoir demandé les livrets, des pierres sont jetées sur les vitres de la filature de Bondeville.

L’organisation se construit dans la discrétion et le secret, même si les participants aux rencontres se font de plus en plus nombreux, car le risque de poursuites est grand. Le bouche à oreille fonctionne, et, progressivement, dans chaque filature des deux vallées (Pavilly, Maromme) on choisit parmi les ouvriers quelqu’un qui sait lire et écrire, que l’on désigne comme caissier, et on organise régulièrement et relativement discrètement des quêtes parmi le personnel. C’est ce que révèleront les interrogatoires de l’enquête qui sera diligentée après les événements du Houlme, un mois plus tard.

Ainsi, Nicolas Tellier, cafetier à Notre-Dame-de-Bondeville témoigne que « Le 16 juillet dernier, 3 ou 400 ouvriers sont venus chez moi, mais je n’en connus aucun, excepté Coudray. Ils déposèrent chacun 20 sols aux mains de Coudray. Je crois cependant que la quête de s’éleva qu’à 140 sols. Guéroult fût délégué pour toucher cette quête »[22].

Adèle Doisy, mécanicienne chez Levavasseur au Houlme, témoigne que le samedi 30 juillet : « j’ai été témoin de la quête qui se faisait parmi les ouvriers fileurs travaillant à la filature de M. Levavasseur au Houlme, à l’effet de former une masse pour alimenter les ouvriers pendant le temps de la cessation de leurs travaux. (…) Dans l’atelier des Cardes, c’était la nommée Rouet, femme de Jean Harel, mécanicienne au Houlme, qui excitait les femmes à cotiser, en disant que celles qui ne donneraient pas, et qui se présenteraient pour travailler lundi, passeraient par les mains des autres »[23]. Adèle Doisy, dont le mari était contremaitre, refusa de cotiser, et se fera harceler jusqu’à son domicile par ses collègues. 

Marie Thérèse Françoise Prévost, mécanicienne, au Houlme témoigne qu’en descendant de la paye, a « aperçu Poullain, déboureur de cardes à la fabrique de M. Levavasseur, qui tenait à sa main une petite liste sur laquelle il inscrivait ceux qui payaient 10 sols, somme que chacun était par lui invité à déposer pour venir au secours des ouvriers pendant qu’ils ne travailleraient pas ».

Martin Fréval, fileur au Houlme, mais absent le jour de la paye témoigne : « le dimanche à cinq heures du matin, Desparrois le jeune est venu chez moi et m’a demandé à parler à mon gendre. Je l’ai accompagné chez ce dernier, et, par là, il nous a proposé à l’un et à l’autre de concourir à une souscription ouverte entre les ouvriers pour secourir ceux qui n’auraient pas d’ouvrage. Il avait à la main une liste sur laquelle il inscrivait ceux qui payaient. Mon gendre et moi lui avons donné chacun vingt sols. Ensuite, il s’est retiré ».

Désiré Poulain, ouvrier à l’atelier de carderie de M. Levavasseur, est plus précis : « Les fileurs donnaient vingt sols, les ouvriers des cardes cinquante centimes, et les rattacheuses des continus cinquante centimes également. Les individus qui recevaient les sommes versées par les fileurs étaient les nommés Fouette et Desparrois ainé ;  moi-même j’ai été désigné attendu que je savais écrire pour percevoir la contribution de 50c par personnes dans les carderies ; on invitait, mais on ne forçait point à donner ».

Les fileurs ont donc créé une sorte un proto-syndicat, avec des sections dans chaque filature, à une époque où le syndicat n’existait pas. Pour faire face à la puissance patronale, ils ont compris qu’il fallait réunir les moyens financiers de la lutte, et il est donc demandé fermement à tout fileur, cardeur ou cardeuse, rattacheur, etc. de cotiser dans la discrétion. Le tarif semble donc être de 1 franc pour les fileurs, entre 50 centimes pour ouvriers et les ouvrières des cardes, et 25 centimes pour les enfants. Les animateurs de la coalition se voient régulièrement, et s’équipent en achetant notamment du papier. Le dimanche, à plusieurs reprises, des réunions plus larges, regroupant les délégués des filatures se réunissent dans des endroits discrets (les bois), où des établissements tenus par des épouses de fileurs réputés sûrs, comme par exemple chez Amable Ancel, le café du Roc[24], à Pavilly. 

L’invention du tract.

Lettre anonyme invitant les fileurs à revendiquer le maintien du tarif (Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563)

C’est le cas le Samedi 30 juillet au soir, des ouvriers de diverses filatures, non seulement de Pavilly et Barentin, mais de la vallée du Cailly, se réunissent dans un endroit isolé, à proximité de Pavilly. « On a tenu des conciliabules. On a arrêté que le lundi aucune filature ne marcherait et qu’il fallait forcer tous les filateurs à une augmentation. »[25] Cette réunion va permettre une action concertée qui va aller crescendo durant la semaine suivante, qui va conduire les filateurs, les uns après les autres à accorder de l’augmentation, sauf les plus puissants qui seront les plus récalcitrants.

Lors de cette réunion, dont on trouve trace dans les interrogatoires, les ouvriers fileurs présents prennent une série de mesures d’organisation. La première est l’écriture d’une ou plusieurs lettres aux ouvriers des diverses filatures, qui devront être lues dans les ateliers. Amable Ancel, cabaretier, demeurant à Pavilly témoigne : « Le premier août dernier, quatre vingt ouvriers environ vinrent chez moi prendre quelques pot de cidre. (…) Je reconnus cependant Dubreuil, Duparc, Feutrier, et Morel. (…) Morel monta sur une chaise devant ma porte et donna lecture d’une lettre. Cette lettre disait qu’il fallait que l’on donna le prix convenu, que plusieurs filatures l’avaient donné, mais que plusieurs filateurs ne s’y étaient pas conformés, tels que le sieur Lemaitre, et aussi qu’il fallait aller chez ce dernier. Qu’au surplus, tout cela se déciderait à la paye. Cette lecture fut suivie d’applaudissements de la part des autres ouvriers. Morel avait écrit cette lettre chez moi. (…) »[26]. En quelque sorte ils inventent le tract.

Comme une minorité d’ouvriers savent lire, mais que les présents à la réunion connaissent bien leur milieu, on n’envoie pas les lettres au hasard. On choisit par avance un ouvrier connu pour savoir lire à qui l’on apportera la lettre, et à qui on demandera d’en faire la lecture aux ouvriers de sa filature. Mais peut-être celui qui reçoit la lettre est-il de mèche ; peut-être est-ce convenu entre les fileurs. Ainsi, Jean Pierre Binet, âgé de 23 ans, fileur à Barentin témoigne : « Un rattacheur que je ne connais pas apporta une lettre à la fabrique. Ce rattacheur nous engagea à demander de l’augmentation et ajouta que ceux qui ne suivraient pas au Houlme seraient des clampins et payés de leur lâcheté. Cette lettre venait de chez M. Valougue, de Malaunay. ». De même Jean Alexandre, âgé de 19 ans, fileur, demeurant Isnauville témoigne : « J’ai entendu dire que Duparc avait apporté une lettre chez le sieur Lefebvre. Cette lettre fut lue par une femme. (…) ». Il faut que le lecteur public puisse prétendre à un éventuel juge qu’il ne connaissait pas le porteur de la lettre, et que ce n’était que contraint et forcé qu’il l’avait fait, car il était l’un des rares de son atelier à pouvoir le faire.

Début août : au moins une semaine de mobilisations et d’actions publiques

La réunion de Pavilly fait entrer le mouvement social dans une nouvelle phase. Les décisions prises produisent un élargissement du mouvement à l’ensemble des établissements des deux vallées.

Le lundi 1er août, vers six heures du matin, les ouvriers fileurs de chez Lemaitre, à Pavilly, se rassemblent devant la filature. Ces ouvriers  demandent en groupe de l’augmentation mais ils ne l’obtiennent pas. Le ton monte, des menaces sont proférées, et l’on arrête la rotation de la roue qui sert à mouvoir les machines de la filature en baissant la vanne d’arrivée d’eau. Le filateur se précipite, et demande qui l’a baissée. « C’est nous tous »[27] répondent-ils, et ils empêchent le patron de lever la vanne lui-même. « Tu ne travailleras pas si tu ne veux point nous accorder notre augmentation ». (…) « J’envoyais chercher l’autorité par quelqu’un qui fût arrêté en route par les ouvriers. Le commissaire de police vint, et en sa présence, ils se refusèrent à ce qu’on leva la vanne. Je fus obligé d’accorder le centime d’augmentation et ils applaudirent tous » [28]

Puis, « en bande » — on dirait aujourd’hui en manifestation — ils font le tour des autres filatures, et dans plusieurs d’entre elles, « ils parviennent à débaucher les ouvriers, et à multiplier leur groupe ». « Cinq à six cents ouvriers coalisés ont parcouru les filatures, ont forcé tous les filateurs à une augmentation, et même ont forcé la suspension des travaux pendant toute la journée. On a parcouru les rues avec des vociférations effrayantes. On a menacé les uns de la potence, les autres de la destruction de leur établissement »[29], écrit le juge de paix de Pavilly.

Les patrons des filatures cèdent les uns après les autres. Ils accordent progressivement les augmentations demandées, pour que leurs ouvriers reprennent le travail. Cependant, on s’attend avant de reprendre le travail. Les autorités, un moment prises au dépourvu, interviennent, comme à Pavilly : « M. le Maire a envoyé chercher la gendarmerie à Barentin. Elle est venue de suite. M. le maire et son adjoint, décorés de leurs écharpes,  précédés par un tambour et les gendarmes, ont parcouru nos rues et nos carrefours, et publiés à haute voix les articles 414, 415 et 416 du Code pénal. Quoi qu’une grande partie des mutins fussent dissipés, il en restait encore pour instruire les autres ».

Le jeudi 4 août, les ouvriers fileurs de M. Levavasseur cessent à leur tour de travailler « après la pesée »[30], c’est-à-dire une fois le travail terminé. Les femmes de l’atelier des cardes font de même. Ils annoncent qu’ils ne reprendront pas le travail avant que leur patron ne les augmente. Mais celui-ci refuse de le faire. Plus exactement, il accorde les augmentations à l’immense majorité des ouvriers et des ouvrières mais refuse d’augmenter les mieux payés, car il sait que ce sont les meneurs de la coalition. Mais au lieu d’attendre son but, c’est-à-dire punir les meneurs et les isoler des autres, les ouvriers se crispent et prennent cela pour ce que c’est : une provocation. Car partout ailleurs les filateurs ont cédé sur toutes les revendications. D’autre part, le Levavasseur refuse de délivrer les livrets aux ouvriers qui les lui demandent. La grève continue donc, et la solidarité des ouvriers des autres filatures va s’exercer avec force.

Jacques Levavasseur, une puissance capitaliste à lui tout seul.

Cependant, la coalition se heurte à une très forte partie. Jacques Levavasseur n’est pas un patron comme les autres. C’est un grand patron, un patron de choc, et qui plus est, c’est une très grosse fortune. Il a compris à qui il avait à faire. Il connaît la loi. Il a des appuis. Il n’est pas homme à céder. Il va tout faire pour briser la coalition, d’autant qu’il peut attendre, puisqu’il possède une autre grosse filature dans la vallée de l’Andelle où tout est calme.

Jacques Levavasseur est né le 23 avril 1767 à Rouen, fils d’un négociant de la rue du Gros-Horloge, prénommé comme lui, qui lui laisse en 1808 un considérable héritage de 146 000 francs de biens à Rouen, plus un domaine rural à Sainte-Geneviève près de Tôtes. Comme le note Jean-Pierre Chaline dans son ouvrage Les dynasties normandes, il semble avoir beaucoup prospéré sous l’Empire, fort demandeur de fil pour la réalisation des uniformes de la grande armée. Il est en 1809 sur la liste des « négociants les plus distingués » de Seine-Inférieure, faisant le commerce des « produits de manufactures et filatures ». On note à son sujet « crédit illimité, fortune toujours croissante ». En 1812, l’administration le décrit comme «  négociant très opulent, n’ayant pas d’autre considérations que celle que lui donne sa fortune.[31] » Sous la restauration, il est plus florissant encore. En 1820, il paie l’énorme impôt — le cens — de 18 077 francs, incluant une patente de 750 francs et 17 000 francs d’impôt foncier, correspondant à ses placements terriens considérables.

Annonce de la vente par folle enchère de la filature du Houlme en construction; Extrait  du journal de Rouen du 25 juillet 1811.
Annonce de la vente par « folle enchère » de la filature du Houlme en construction; Extrait du journal de Rouen du 25 juillet 1811.

Jacques Levavasseur a créé l’établissement du Houlme en 1811, en achetant dans une enchère publique une filature de 4600 broches[32], semble-t-il encore en construction, installée à la place d’un moulin à papier. Le domaine avait une surface de 35 hectares. La filature comportait plusieurs grands bâtiments construits autour d’une grande cour, dont l’un de cinq étages au bout duquel est installée la grande roue motrice, avec un atelier de cardes au premier et au troisième étage, et les métiers au deuxième et quatrième. Au rez-de-chaussée était installé un atelier de mécanique, peut-être provisoire, servant à la construction des machines et des engrenages. Il était équipé de plusieurs tours dont deux tours « anglais » à métaux. Un deuxième bâtiment à deux étages, perpendiculaire au premier servait au stockage et à la préparation du coton. Il y avait encore une écurie pour 15 chevaux, une forge, et une maison de maître. En 1825 elle employait au moins 130 personnes. Le grand bâtiment s’ornera bientôt au fronton de son portail de ses armoiries de baron, car il réussira à se faire attribuer les armes de son beau-père, Charles-Bernard Chapais de Marivaux, juge rouennais et noble de robe. Cette usine hydraulique sera plus tard complétée d’une machine à vapeur. Son domicile étant rue du Gros-Horloge à Rouen, il a fait aménager la maison de maître, où il loge très régulièrement avec l’un de ses fils, pour diriger l’entreprise. Par ailleurs il possède cette autre grande filature de 4000 broches dans l’Eure, à Fontaine Guérard.

Puissant industriel, Jacques Levavasseur développe aussi d’importantes activités de négoce et d’armement naval. « Les cotons employés par les filatures de Fontaine-Guérard – et donc aussi du Houlme – venaient d’Amérique par ses propres navires, qui exportaient les produits de Rouen (…) Il avait à son décès 30 navires faisant les voyages au long cours, dont un tiers était employés à la pêche à la baleine. »[33]. « De quoi », note Jean-Pierre Chaline, « jouer sur plusieurs tableaux et, contrôlant ses approvisionnements, spéculer fructueusement sur les cours du coton ».

Dans les événements qui vont suivre, Jacques Levavasseur est toujours accompagné d’un de ses fils, vraisemblablement Charles, le cadet, qui plus tard reprit la direction des filatures du Houlme et de Fontaine-Gérard. Celui-ci se fera élire député de Dieppe en 1842, puis de Rouen, en 1846. Il se fera connaître en devenant l’opposant principal de Victor Schœlcher et de l’abolition de l’esclavage.

Les troubles du samedi 6 août 1825 au Houlme

Les ouvriers de sa filature se mettent en grève le 1er août. Le 4 août, Jacques Levavasseur accède à une grande partie de leurs demandes, mais refuse d’augmenter les ouvriers qu’il a repéré comme des meneurs. Le 5, il porte plainte contre eux auprès du procureur pour les faire arrêter et condamner pour délit de coalition. Il s’agit de Deperrois jeune, Fouette jeune, Godalier, Dieul, Duval, Baillif, Hauchecorne, et Hurel.

Pressentant des difficultés au moment du versement de la paie de la quinzaine, Jacques Levavasseur a demandé au préfet un renfort de gendarmerie. Huit gendarmes à cheval sont envoyés au Houlme. Ils s’installent dans la cour de la filature le samedi 6 août. En effet, si les fileurs ont cessé le travail, on leur doit le prix de leur travail au moins pour une semaine entière, et le début de la 2e semaine.

C’est vers quatre heures de l’après-midi que les ouvriers des filatures de toute la région qui sont venus à pied de 10 km à la ronde, se rassemblent devant la filature de Levavasseur le samedi 6 août, pour soutenir ses ouvriers. Voyant 2 à 300 personnes attroupées devant la barrière, le brigadier de gendarmerie sort de la manufacture, seul et à pied, et tente de discuter avec eux. Il leur demande de se retirer et de se disperser, ce qu’ils refusent de faire.

Le brigadier revient alors dans la cour. Il donne l’ordre à ses gendarmes de monter à cheval, et les fait se ranger en ligne devant la barrière. Le brigadier s’avance alors, toujours seul, mais cette fois-ci à cheval, et somme les manifestants, au nom de la loi, de se disperser. Les ouvriers dont le nombre continue de croître refusent de bouger en disant que rien ne pourrait les forcer à s’éloigner.

Alors le brigadier fait faire mouvement au petit peloton qui charge au petit trot, à plusieurs reprises, le sabre dans le fourreau. La colère monte chez les manifestants, et une grêle de pierres assaille bientôt les gendarmes. Ceux-ci sortent leurs sabres des fourreaux et foncent dans la foule, sabre au clair, frappant avec le plat de la lame ceux qui ne s’écartent pas assez rapidement. La manifestation qui s’est transformée en émeute se disperse temporairement. Dans l’affrontement, un ouvrier est blessé au coté, puis à la main par deux coups de sabre. Il aurait tenté de porter un coup de couteau dans le ventre d’un cheval. Le gendarme qui suivait le premier, lui a porté un coup de pointe de sabre dans le coté gauche, puis un autre sur la main qui portait le couteau. Dans l’action, les gendarmes arrêtent six manifestants qui sont enchaînés dans les locaux de la filature.

Une centaine d’ouvriers environ se portent en avant pour tenter de les libérer, et l’affaire menace de dégénérer un peu plus. Aussitôt, M. Adeline, le maire de la commune du Houlme, s’interpose. Il se présente aux gendarmes, paré de son écharpe officielle, et négocie avec eux la remise en liberté des six prisonniers, en leur expliquant que « c’était le seul moyen de dissiper la foule qui se rassemblait de nouveau, et qui se disposait à envahir la filature »[34]. Ayant pleinement conscience de leur situation délicate, les gendarmes libèrent les prisonniers. Le maire remet bientôt son écharpe dans la poche, et se retire sans avoir réellement dissipé l’attroupement, ce qu’il avait promis aux gendarmes. Cela lui sera reproché par la suite, et lui coûtera son poste de maire. Mais la foule, quelque peu calmée, reste massée à l’extérieur de la cour.

Les manifestants demandent alors à parler à M. Levavasseur. Celui-ci se rend au milieu d’eux, accompagné de son fils. Ils lui disent : « A présent que nos camarades sont relâchés, il est temps que vous souscriviez aux conditions que nous vous avons prescrites ou bien nous marcherons et nous verrons ». Le filateur leur répond : « j’ai souscrit aux neuf dixièmes de vos demandes. Ce n’est que par insubordination que vous persistez dans la révolte. Je veux vous traiter comme je voudrais l’être si j’étais dans votre position. Mais je suis chef de manufacture. Je dois faire la loi et non la recevoir. »[35] Les ouvriers réponde en scandant « l’augmentation ou les livrets ! ». C’est l’impasse, d’autant que la foule continue de grossir.

M. Levavasseur se résout alors de quitter Le Houlme et de rentrer à Rouen, où il réside. Il monte en voiture, un cabriolet tiré par deux chevaux, et prend la fuite, escorté de quatre gendarmes. A la sortie du Houlme, sur la route de Rouen, l’équipage se heurte à un barrage. La petite troupe qui est au galop, fait une trouée au milieu de cet attroupement, les gendarmes tirant chacun un coup de pistolet, et, toujours au galop et le pistolet à la main, foncent ainsi jusqu’à Bondeville.

Après le départ de M. Levavasseur, tous les manifestants, au nombre de 4 ou 500, armés de perches, bâtons, et pierres, envahissent la filature. Il ne reste plus que le brigadier et trois gendarmes qui ne peuvent pas, compte tenu de leur nombre, leur opposer de résistance. La foule se met à jeter des pierres sur la façade est du bâtiment, et casse tous les carreaux et châssis des fenêtres du rez-de-chaussée. Au premier étage peu d’entre eux sont épargnés. Au second étage, environ un tiers des carreaux sont cassés, et toutes les croisées à l’extrémité des magasins sont totalement détruites. La foule se déplace ensuite au nord de l’édifice, mais l’intervention des gendarmes réussit à les arrêter.

Les émeutiers se portent ensuite sur la route, où ils s’en prennent au pavillon qui sert de pied à terre à M. Levavasseur. Ensuite ils se mettent à démolir un mur à hauteur d’appui, sur une longueur de 25 à 30 mètres. C’est alors qu’un renfort de troupes apparait, provoquant la dispersion du rassemblement. Il s’agit d’une soixantaine de gendarmes et de gardes royaux envoyés par le préfet pour rétablir l’ordre et assurer la sécurité des biens du filateur.

L’insurrection du lundi 8 août au Houlme

Courrier en date du 11 août 1825, du colonel de gendarmerie au préfet (Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U565)

Chez les ouvriers, le dimanche a été utilisé pour se concerter. L’émotion est grande chez eux. L’affaire du samedi est un tournant. Levavasseur a refusé de céder, et le saccage de sa filature est un point de non retour. Le risque est grand d’une reprise en main de la situation par les autorités. La rébellion va vraisemblablement conduire à des enquêtes et des arrestations. La coalition ne fait plus de doute et va entraîner des poursuites. La décision est donc prise d’organiser une grande démonstration de force de toute la profession, pour soutenir les ouvriers du Houlme. Le mot d’ordre semble avoir été « nombre, calme et fermeté ». Mais la situation va échapper aux meneurs.

Au Houlme, le personnel de la filature Levavasseur se rend cependant sur son lieu de travail comme à l’ordinaire, comme s’il ne s’était rien passé, et comme si personne ne savait ce qui se préparait. Le patron est absent. Aucun ordre ne leur est donné venant de la direction. Tout monde attend paisiblement et avec calme dans la cour de la filature.

Pendant ce temps, la plainte déposée par Jacques Levavasseur, commence à être instruite à Rouen, où celui-ci a fait déplacer une série de témoins à charge, qui sont entendus par le procureur, M. Langlois du Plichon. Mais à peine commencée, l’instruction est arrêtée, suite aux nouveaux événements qui se produisent au Houlme. Le 19 août, Jacques Levavasseur retirera sa plainte, puis poussera même le cynisme à prétendre que la coalition était extérieure à la filature.

Les ouvriers de la vallée du Cailly, après avoir travaillé toute la matinée dans leurs ateliers, quittent leurs filatures pour se rendre au Houlme. Ils se rassemblent en deux groupes compacts qui se déplacent vers Le Houlme, en grossissant de filature en filature, l’un venant du sud (Bondeville), l’autre du Nord (Montville). Ils en profitent pour faire cesser le travail à ceux qui ne l’auraient pas encore fait, comme raconte Louis Auguste Vallée, filateur à Malaunay : « Le lundi huit de ce mois, les ouvriers des manufactures circonvoisines, vinrent à la porte de notre filature, et nous contraignirent à laisser sortir nos ouvriers ». À ces foules viennent s’agglutiner des ouvriers d’autres corporations et des badauds.

Dans la vallée de l’Austreberthe, à Barentin et à Pavilly, on s’est mobilisé plus tôt, dès le début de la matinée, et l’on s’est mis en route vers le Houlme. Le juge de paix du canton tente de discuter à plusieurs reprises avec les manifestants. Il se voit répondre à chaque fois que les ouvriers du Houlme doivent être payés « comme la généralité des autres ouvriers de la vallée ou [qu’on leur rende] leur livrets »[36] .

Vers onze heures du matin, les ouvriers des fabriques de la région sont déjà très nombreux à être réunis sur les coteaux qui dominent Le Houlme. Le commandant de gendarmerie et le maire du Houlme vont leur demander ce qu’ils veulent. Ils se voient répondre qu’ils ont pour but de soutenir leurs camarades du Houlme, « mais que si on voulait bien donner leurs livrets à ces derniers, ils se retireraient ». [37]

Vers les trois heures de l’après-midi tous les groupes de la région sont arrivés aux abords du Houlme. Il y a du monde tout autour. La foule est impressionnante. D’après le Journal de Rouen, ils étaient « au nombre de 1000 à 1200, « pour la plupart armés de bâtons et de fourches »[38]. Le témoignage  des gendarmes parlent de 3000. Ceux-ci prennent les armes et patrouillent dans le village. Ils invitent les habitants à fermer leurs portes et à n’ouvrir à personne. Un caporal et quatre soldats de la garde royale, qui formaient un avant poste à la sortie du village, tentent d’opposer une résistance à la foule qui gonfle. Ils sont maltraités par elle, et le caporal est laissé pour mort sur la place, la foule se partageant des morceaux de son chapeau, ses galons et ses boutons.

A ce moment, ceux qui sont au sud se mettent en mouvement. Massive, la foule aborde le Houlme par la grande route. En tête, un groupe de bâtonnistes de Bondeville en formation militaire ouvre la marche. Le flot humain déborde largement les côtés de la route, et s’avance à travers les champs et les jardins. Un détachement de garde royale et de gendarmerie à cheval, sabre au clair, tente de s’opposer à leur mouvement. Après avoir fait une série de sommations, auxquelles les manifestants répondent en leur demandant de mettre bas les armes, et en scandant « l’augmentation, ou les livrets », ils chargent.

Dans un premier temps, les manifestants s’égaillent sur les côtés. Ils se réfugient derrière les barrières et les haies des jardins, où les chevaux ne peuvent pas les suivre, et dans les maisons qui bordent la route. Mais d’autres peut-être arrivés de Rouen par la Forêt verte sont installés sur la hauteur qui surplombe la route — actuellement occupée par la gare et la ligne de chemin de fer —.  Ils font pleuvoir sur eux une grêle de pierres. « Après quatre charges différentes, comme nous étions foudroyés par les pierres qu’on nous lançait de sur la hauteur qui domine le ravin, nous nous sommes décidé à monter pour expulser les rebelles de cette position » témoigne un gendarme. Mais la pente freine les chevaux, et rend l’opération impossible. Criblés de pierres et de projectiles divers, l’assaut se disloque.

C’est pendant ce dernier assaut sur la colline qu’un groupe de quatre ou cinq individus armés de fusils de chasse surgit d’une ruelle, et fait feu sur un gendarme qui s’est trouvé isolé. Le gendarme Vivier s’effondre, blessé à la tête ; il décédera dans la soirée, malgré les soins apportés par le docteur Leudet, adjoint du docteur Flaubert[39], chirurgien-chef de l’hôtel-Dieu de Rouen. A ce moment les cloches sonnent le tocsin, car des mutins sont entrés dans toutes les églises de la vallée dont ils se sont fait délivrer les clés des clochers. Profitant de la confusion, d’autres manifestants percent le barrage au nord, et avancent en force. La foule a le dessus. Les gendarmes se voyant submergés, tirent quelques coups de feu et se replient devant la filature. Deux autres d’entre eux sont blessés.

A peine les manifestants sont-ils entrés dans le village, que presque toutes les portes leur sont ouvertes. La population du Houlme fraternise avec les fileurs. On distribue de la nourriture et de la boisson à la porte de l’église. Le grand nombre des manifestants se porte alors vers l’entrée de la filature de M. Levavasseur. Les gendarmes et les gardes royaux se sont eux regroupés, et, rangés en bataille, se préparent à charger de nouveau.

Le maire du Houlme tente alors de s’interposer et, accompagné de deux officiers de la garde royale, tente de parlementer. Alors que, devant la maison de Levavasseur, des émeutiers  s’écriaient « la voilà cette maison, il faut qu’elle soit brulée », il va au devant des mutins et leur demande de se retirer. « J’employais envers eux tous les moyens persuasifs, qui les déterminèrent à se dissiper peu à peu, de manière qu’à sept heures du soir il ne restait de leur bande que quelques traineurs qui se sont trouvés saisis par les patrouilles »[40]. Ses arguments sont assez simples à imaginer : un renfort de troupes a été demandé au préfet, dès le matin ; il ne va tarder à arriver, et alors cela va être terrible ; les fileurs ne feront pas le poids devant plusieurs centaines de militaires bien armés. D’autre part, plusieurs gendarmes ont été blessés, et l’on ne sait pas encore que l’un d’eux est dans un état grave : la répression va être terrible ; le pouvoir ne laissera pas ce crime impuni. Cette description de la situation conduit les émeutiers à déposer leurs armes de fortunes, à se disperser, et à vider les lieux. Alors qu’ils avaient le dessus, la situation s’est inversée. L’effervescence se calme. Des piques, des fourches, des hallebardes, des broches à rôtir, des compas, des bâtons et des pierres, jonchent le sol.

La répression

Aussitôt que la mobilisation populaire a été connue à Rouen, le général commandant de région fait mobiliser un renfort de 400 hommes, et les envoie au Houlme. Il les accompagne en personne sur les lieux, accompagné du préfet. Trente quatre personnes qui ne s’étaient pas retirées suffisamment vite sont arrêtées. Elles sont immédiatement regroupées et enchaînées, conduites à pied à Rouen où elles sont internées dans la soirée à la prison de Bicêtre. Ce sont les premières arrestations d’une longue série. Une fois sur place, le préfet de la Seine-Inférieure, le baron de Vaussay, décrète « l’État d’urgence » et les militaires engagent immédiatement une répression de grande ampleur. Il faut à la fois trouver les coupables des blessures faites aux gendarmes, et briser la coalition. La mort pendant la nuit du gendarme Vivier dramatise un peu plus la situation.

Dès le lendemain, les autorités déploient une grande activité. L’on fait imprimer et placarder partout dans les communes où existent des manufactures, ainsi qu’à Rouen, les articles du code pénal relatifs « aux coalitions et aux attroupements séditieux ». Les maires reçoivent l’ordre du préfet de faire fermer les cafés, les cabarets et autres lieux publics à 7 heures du soir.

Le procureur du roi se rend sur place. Les maires des communes, les juges de paix, les patrons-filateurs, les gendarmes, et tout ce que les deux vallées comptent d’autorités, sont sollicités par le préfet pour collecter les renseignements, et les faire converger vers le préfet. Il y a 400 soldats installés au Houlme qui visitent une à une les maisons au porte à porte, et arrêtent tous les suspects, et notamment les blessés. Pour être laissé libre il ne faut évidemment pas avoir gardé de trophées (ex : morceaux de chapeaux de gendarmes, armes, etc.). Divers objets sont d’ailleurs ramenés volontairement aux autorités, comme des fusils qui ont été prétendument retrouvés dans les haies. Le cabinet du préfet livre régulièrement au procureur toutes les informations qu’il a pu glaner, qui, croisées avec les interrogatoires réalisés sur le terrain, conduisent à de nouvelles arrestations. Enfin, les gendarmes se saisissent des ouvriers soupçonnés de faire partie de la coalition directement sur leur lieu de travail.

Cependant l’affaire n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. La population se tait, solidaire des fileurs. Le 9 août, le travail n’a pas réellement repris partout, et lorsqu’il a repris, il se fait lentement, très lentement, ce qui ne fait pas l’affaire des patrons. A Pavilly plusieurs meneurs font des efforts pour que le travail s’arrête de nouveau. Le soir un incendie criminel se déclenche au Houlme, dans un entrepôt de la filature Levavasseur pourtant occupée par l’armée, ce qui alourdit encore le climat. 

Interrogatoire d’un prévenu (Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563)

Ce n’est que petit à petit que l’enquête avance. Elle tâtonne. La gendarmerie ratisse large, et arrête au hasard. La prison de Rouen est bientôt saturée. Au bout d’une semaine, plus de 130 personnes ont été arrêtées. Chacun est interrogé. Tous en disent le minimum : ils ont été « contraints » d’arrêter le travail, par « des inconnus ». S’ils ont versé de l’argent à la collecte, ce n’est que sous « la contrainte », ou pour « aider les malheureux ». S’ils ont été chargés de « la caisse » de leur filature, c’est parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fasse et que tout le monde a fait pression sur eux pour qu’ils le fassent. Même Étienne Coudray, le trésorier général, déclare avoir été « contraint » de se charger de la caisse de la coalition. C’est une foule anonyme et menaçante qui serait la responsable de la création de la coalition, et personne n’aurait rien fait de sa propre volonté.

Cependant l’enquête avance. Les filateurs livrent la liste des meneurs de leurs ateliers au maire de leurs communes ou au juge de paix. Quant à la filature Levavasseur, il est important de savoir que, deux jours avant les événements, celui-ci avait déjà dénoncé au procureur les meneurs de ses ateliers. Sa lettre, écrite d’une graphie si petite et tellement hachée, laisse imaginer l’emprise d’une violente colère. Cela ne l’empêchera pas de déclarer plus tard, dans la presse, que l’affaire était extérieure à son entreprise, en s’appuyant sur le fait qu’aucun de des condamnés ne provenaient de son personnel.

Cependant certains les élus rechignent à délivrer des informations. Ainsi le maire de Montville écrit-il au préfet le 13 août que les maitres-filateurs lui ont déclaré que « tout est rentré dans l’ordre, et qu’aucun [fileur] ne s’était absenté le 8 août »[41] ce qui est manifestement faux, puisque l’un d’entre eux, Jules Roustel sera le principal accusé du procès aux assises à venir.

On recherche activement les tireurs qui se sont évanouis dans la nature. On a retrouvé les armes abandonnées dans des haies, trois fusils à un coup, et un à deux coups. Leurs propriétaires disent qu’elles ont été volées. Des noms circulent : La Rose, un ancien militaire se serait, semble-t-il réengagé dans le courant du mois ; un Cagnard du Houlme. Mais le père de celui-ci, receveur des impôts, conteste qu’il ait pris part au coup de main. Et il dénonce un homonyme, celui-ci ouvrier fileur dont le surnom est Cagnard.

En effet, dans le numéro des 15 et 16 août du Journal de Rouen, on apprend qu’un nommé Roustel, connu dans le pays sous le nom de Cagnard, a été arrêté et aurait avoué avoir tiré le coup de feu dont le gendarme Vivier a été victime. C’est le coupable idéal. Il ne se défend pas, bien qu’il s’avère qu’il ne sache pas se servir d’une arme à feu. La piste La Rose est abandonnée. On abandonne les recherches pour trouver les 2 autres tireurs. On a le coupable tout trouvé.

En fait, les autorités sont pressées de clore l’affaire. Il faut des coupables, et vite, mais pas trop. Il faut sévir durement, mais réduire la cible.

Le procès en correctionnelle : celui de la coalition.

A l’issue de cette enquête il y eut en fait deux procès. L’un aux assises ; l’autre en correctionnelle.

Aux assises, on jugea les auteurs présumés des troubles du 8 août. En correctionnelle on poursuivit les meneurs présumés de la coalition.

Sur un total supérieur à cent trente personnes arrêtées, cinquante cinq au moins sont libérés au bout d’une semaine. François Berson, dont nous avons parlé au début de l’article, et qui a à l’évidence été l’un des moteurs de la coalition, en fait partie. Il en reste soixante quinze, pour l’essentiel des ouvriers et ouvrières de filatures, à l’évidence quasiment tous membres de la coalition. Mais lorsqu’il faut juger la coalition, les autorités sont assez embarrassées. Il n’était sans doute pas envisageable de les condamner tous, d’autant que les filateurs font pression pour libérer leurs fileurs.

Le 16 août le procureur relaxe 25 accusés. Mais le nombre de mis en causes restants étant sans doute trop élevé, le 23 août il en relaxe à nouveau 25 autres. Mais il en restait encore trop. À l’ouverture du Procès Le 11 Septembre, 10 autres sont encore relaxés[42].

Au final il ne reste que quinze inculpés : Jean-Baptiste Duparc, François Amable Dubreuil, Pascal Cantel, Jean-Louis Sébastien Morel « dit L’avocat », Alphonse Chopart, Modeste Feutrier, Paschal Boeuf, Jean-Baptiste Maillard, Élie Bigot, de Pavilly ; Alexandre Miocque, de Maromme ; Louis-Auguste Chandelier, de Montville, Valentin Duprey, François Lemoine, Étienne Louis Frédérique Coudray, et Jean-Louis Guéroult de Notre-Dame-De-Bondeville. Le 28 septembre ils sont tous condamnés à deux mois de prison, sauf Alexandre Mioque qui est relaxé.

Le procureur du roi fait immédiatement appel, au prétexte que le tribunal a écarté l’accusation de « chefs ou moteurs de la coalition » et, donc, ne leur a pas infligé la peine prévue au 2e paragraphe de l’article 415 du code pénal, qui prévoyait un emprisonnement de deux ans à cinq ans. Contre toute logique, car les condamnés sont de toute évidence des éléments moteurs de la coalition, le 24 octobre, la cour d’appel confirme ce jugement de deux mois d’emprisonnement. Sans doute est-ce parce ce que l’autre procès, celui des assises, a abouti des verdicts très lourds, une condamnation à mort et trois longues peines de prison. La coalition est brisée, ainsi que les velléités revendicatives des fileurs, et le patronat a besoin d’apaisement pour que la production reparte.

Un aspect notable des condamnations c’est aucun ne travaille dans les filatures du Houlme. Une majorité des condamnés est employée dans celles de Pavilly, situées à une dizaine de kilomètres à l’ouest, et quatre à Notre-Dame-de-Bondeville, à quatre kilomètres au sud. Pourtant on a vu que plusieurs ouvriers du Houlme avaient été arrêtés puis relâchés le 6 août, et que le procureur avait la dénonciation de Levavasseur et plusieurs témoignages sur l’activité de la coalition dans sa filature Levavasseur. La justice a donc tous les éléments pour les poursuivre, mais elle ne le fait pas. Ils sont certes arrêtés et interrogés, mais sont tous relâchés avant le procès. Isidore Godalier, le caissier local, fait partie des derniers relaxés le jour de l’ouverture du procès.

Cependant, Jacques Levavasseur est rancunier : après le procès, il ne reprendra aucun des ouvriers dénoncés par lui. Godalier sera embauché par son beau-père, entrepreneur de couverture, et dont il reprendra l’entreprise à la mort de celui-ci[43].

Ce qui n’apparait pas dans le procès : des liens familiaux entre inculpés !

Liens familiaux entre cinq prévenus; Louis Berson est le premier fileur a demander son livret; Félix Coudray sera interrogé mais pas poursuivi; Isidore Godalier sera arrêté, mais sera écarté in-extrémis de la liste des poursuivis; Étienne Goudray et Jean-Baptiste Duparc seront condamnés pour délit de coalition.

En faisant des sondages dans l’État civil pour une partie des mis en causes et des condamnés, nous avons découvert que, parmi eux, il y avait de nombreux liens familiaux. Nous formulons l’hypothèse que ces liens familiaux éclairent les mécanismes de la mobilisation simultanée des ouvriers des deux vallées. Car si les réunions d’ouvriers d’une même corporation étaient interdites, rien n’interdisait les réunions de familles !

En effet, on trouve au moins deux couples de beaux-frères parmi les condamnés : d’un coté Jean-Baptiste Duparc et Étienne Coudray, de l’autre Auguste Chopard et François Dubreuil. À Pavilly, il y a aussi les frères Cantel, dont l’un, Aimable Cantel, est relaxé le 16 août, l’autre, Pascal Cantel, est condamné.

Or rien que les beaux-frères Coudray-Duparc pourraient, à eux seuls, expliquer la proximité des deux vallées : Jean-Baptiste Duparc travaille chez Lasne à Pavilly, pendant qu’Étienne Coudray travaille à Bondeville. Arrêtons-nous un instant sur eux, car ils illustrent plus précisément encore certains ressorts secrets de la coalition. En fait ils ne sont pas deux mais quatre beaux-frères. Nous connaissons bien l’un d’eux, François Berson, celui par qui le mouvement va s’enclencher, et Étienne Coudray, le caissier général de la coalition. La sœur de François Berson est mariée à Étienne Coudray, pendant que Jean-Baptiste Duparc est marié à une sœur d’Étienne Coudray. Le quatrième est un Coudray, et se prénomme Félix. Si François Berson est interrogé après le 8 août, il est relaxé très vite. À la lecture de son interrogatoire, il confirme qu’il a certes demandé son livret, mais il n’est, d’après lui, pour rien dans la suite mouvement. Il aurait trouvé du travail ailleurs et ne l’aurait pas quitté pendant les événements. Quant à Félix Coudray, il ne semble pas même avoir été inquiété. Pourtant son nom apparaît dans un interrogatoire. On y apprend que si Étienne est le « caissier général » de la coalition, c’est Félix qui était chargé de mettre l’argent en lieu sûr. Le juge a l’information mais ne se sert pas. Félix a-t-il pris la fuite ? S’est-il caché ? Les archives n’en disent rien.   

Le cas Félix Coudray, et de son beau-père Rodolphe Thuillier

Félix est un personnage intéressant à plus d’un titre. Nous avons poussé plus avant des recherches dans l’État civil. Elles nous ont appris qu’il s’était marié avec Barbe Thuillier, née à Paris le 2 janvier 1793, dans la section des quinze-vingt, à moins de 4 km des Tuileries, et à 2 km de la conciergerie où le roi était emprisonné. Rappelons que Louis XVI fut condamné à mort et exécuté le 21 janvier 1793. A l’époque la mère de Barbe a 20 ans. Devenue fileuse à Notre-Dame-de-Bondeville elle y meurt en 1812. De son mari Jacques Rodolphe Thuillier on sait peu de choses si ce n’est qu’en 1825 il est ouvrier-imprimeur en indienne, et travaille du coté de Bolbec. Pourquoi et comment ces personnes qui n’ont, semble-t-il, aucune attache en région rouennaise, se sont-elles se retrouvés à Notre-Dame-de-Bondeville ? Ouvrier imprimeur, aurait-il commencé son apprentissage dans la fameuse imprimerie Réveillon[44] qui fut saccagée au début de la Révolution française ? Si l’on se rappelle que la Section des Quinze-vingt, où ils habitaient, fut l’un des moteurs de la Commune révolutionnaire parisienne pendant la Révolution, on peut imaginer que ce fut pour fuir la terrible répression thermidorienne, la famine, et la terreur blanche qui régna de 1795 à 1797, qu’ils s’installèrent dans la région. Trente mille parisiens firent de même. Or nous ne somme que 30 ans après ces événements. Mais de là à penser que Thuillier pourrait avoir été un conseil de la coalition, bien au fait de la loi Le Chapelier, et ayant peut-être déjà expérimenté la lutte politique et économique dans les années 1789-1795, il y a un pas qu’il nous est impossible de franchir, en l’absence d’éléments factuels. D’autant qu’il ne figure pas parmi les arrêtés. Mais le fait est troublant. Il mourra à Paris 3 ans plus tard, ce qui n’est pas banal, compte tenu des moyens de transport de l’époque, d’autant que sa fille habite à Bondeville.

De son côté, Félix, s’il s’est peut-être caché pendant la période, il réapparait à Bondeville par la suite. Il y vivra jusqu’au moins le début de 1848, en ayant périodiquement des relations tendues avec la justice.

En tout cas cette investigation généalogique nous laisse à penser qu’il y a sûrement énormément de choses à découvrir sur la coalition, en suivant le fil des liens familiaux.

Le procès aux assises : un procès précipité ? Des condamnés innocents ?

Ouverture du procès en Cour d’Assises, dans le Journal de Rouen du 20 septembre 1825

Suite aux désordres des 6 et 8 août, aux affrontements entre les émeutiers et les gendarmes qui ont provoqué le décès du gendarme Vivier et les blessures infligées à deux autres gendarmes, quatre fileurs sont jugés aux assises, du 18 au 23 septembre suivant, soit un mois et demi seulement après les faits. Les accusés contestent les accusations, mais rien n’y fait. Il faut des condamnations rapides. C’est ailleurs au cœur du réquisitoire du procureur: « Ce procès a tous les caractères de l’anarchie : le mépris des lois ». (…) « La rébellion du Houlme n’est pas l’effet d’un mouvement irréfléchi, subit et spontané ; c’est au contraire l’affligeant résultat d’une conspiration effrayante, ourdie de longue main. Le plan des ouvriers conspirateurs embrassait généralement les établissements de filature dans les vallées de Déville et de Pavilly. Ils préludaient par des lettres anonymes et d’horribles menaces aux assauts qu’ils livraient successivement aux chefs d’ateliers, en chantant La Marseillaise et le Réveil du Peuple. Au bruit du tocsin, on voyait accourir de toute part des masses armées de piques, de lances, de broches, de bâtons et de fusils. » (… ) «  Et, par un nouvel exemple de bonne justice vos consciences libres, pures et fortes PORTERONT DANS L’ÂME DES MÉCHANTS UN EFFROI SALUTAIRE en signalant de grands coupables à la vindicte publique »[45].

Louis Lefebvre, dit Cuirassier, ouvrier fileur de Malaunay, âgé de 23 ans est condamné douze ans de travaux forcés, pour avoir mobilisé son groupe de bâtonnistes le 8 août. Le bâton est à l’époque une forme d’escrime très prisée dans les milieux populaires et dans le compagnonnage. Louis Lefebvre tient un club de bâtonniste à Bondeville. On s’entraîne dans l’arrière salle du café tenu par sa femme. Il les aurait conduit militairement de Bondeville au Houlme, les bâtons à l’épaule, et ceux-ci auraient affronté les gendarmes. Mais seul celui-ci est poursuivi, accusé d’avoir blessé le maréchal des logis Boullenger. Le jury ne tient aucun compte d’un certificat du maire de Bondeville, contresigné par un grand nombre d’habitants, qui assure qu’il est d’un caractère pacifique et de bonne moralité.

Si Louis Adolphe Cadot, ouvrier fileur à Pavilly, reconnait avoir joué un rôle dans le mouvement dans la mesure où il a lu dans son atelier de Pavilly, une lettre venant de la vallée du Houlme, « par laquelle on nous engageait à demander que notre salaire fut remis sur le même pied », ce n’est pas pour cette raison qu’il est condamné à dix ans de travaux forcés. On l’accuse d’avoir été un organisateur actif du déplacement d’un millier de salariés de la vallée de l’Austreberthe au Houlme le 8 août, ce qu’il conteste, et on le condamne pour cela. Son avocat a beau produire plusieurs certificats qui mettent à mal l’image du caractère turbulent qu’on fait de lui, le fait qu’il ne peut pas avoir été un des meneurs car il était nouveau à Pavilly et donc peu connu, qu’à un moment il avait été choisi pour son calme par la force publique pour clamer les mutins, et qu’aucun fait constitutif de « rébellion » ne pouvait lui être reproché par ailleurs.

Jean Louis Gossent, de Maromme, est, comme le précédent, accusé d’avoir été un meneur de l’émeute, et d’avoir incité et organisé la résistance face à la force armée. Il fait partie des retardataires, et donc des premiers à avoir été arrêtés au Houlme. Certes il a « paru se mettre en défense » avec son bâton lors de son arrestation, mais des témoins affirment qu’il n’a fait partie d’aucun attroupement. Personne ne l’a vu tentant d’exciter « les attroupés à résister à la force publique». Il est condamné à huit ans de réclusion.

Le quatrième, Jules Roustel, est lui aussi fileur. Il est condamné à mort pour le meurtre du gendarme Vivier. On l’a vu, un groupe de quatre ou cinq émeutiers ont débouché d’une rue et a tiré sur un gendarme qui s’était retrouvé isolé de son groupe. Il est l’un des membres de ce groupe. Pourtant Roustel ne connait pas le maniement des armes. Ce n’est pas lui qui a chargé le fusil. On le lui a mis dans les mains, et le coup est parti en même temps que les trois autres fusils. Il conteste avoir blessé le gendarme, mais il se défend avec difficulté, et son avocat commis d’office n’est pas très habile. Plusieurs témoins avaient pourtant déclaré que Théodore Hyppolite Larose, un autre émeutier alors en fuite, s’était vanté d’avoir tiré le coup mortel. Celui-ci est un jeune fileur de 19 ans, ouvrier à Bondeville. Au cours de l’enquête, plusieurs personnes prétendent qu’il se serait engagé dans l’armée le lendemain des troubles, mais le préfet informe le procureur que, s’il a bien tenté de le faire, il n’a pas été pris[46]. Si un avis de recherche est lancé au niveau national, il ne donne rien[47]. En fait il se cache. Finalement Larose est arrêté après l’exécution de Roustel et, le 23 décembre,  est condamné à seulement 6 mois de prison, pour « rébellion commise par une personne avec une arme dans le mois d’août 1825, envers des agents détenteurs de l’autorité publique »[48]. Faible condamnation s’il en est, en regard de la dureté des autres condamnations. Quant aux deux autres tireurs, on n’en saura rien. Ils se sont évanouis dans la nature. Y avait-il, parmi eux un ancien militaire, comme le bruit en a couru ?  Un agent provocateur ? On ne le saura jamais. À l’évidence Jules Roustel paie pour les autres. Il est condamné à mort le 23 septembre et guillotiné le 23 novembre 1825 sur la Place du Vieux marché à Rouen, après le rejet de son recours en grâce par la cour de cassation. Il avait vingt-cinq ans.

Le lendemain de son exécution, les trois autres condamnés subissent l’exposition au carcan, au même endroit, avant d’être envoyé purger leur peine.

Ainsi se termine l’affaire des troubles du Houlme, qui a lieu cinq ans avant la Révolution de 1830, et bien avant les célèbres révoltes des Canuts (1831, 1834). A l’évidence cette affaire marqua pour longtemps les esprits dans la classe ouvrière des vallées, et plus largement de la région rouennaise. Elle eut un retentissement national, car la presse se fit partout l’écho du procès aux assises, des condamnations, et de l’exécution de Jules Roustel.

Et la lutte continue en 1830.

Le fait est peu connu, mais cinq ans plus tard, en fin août début septembre 1830, un grand mouvement social a secoué les filatures de Rouen et de sa région, quelques mois après la révolution des 3 glorieuses et l’avènement de Louis-Philippe. De nombreuses coalitions se constituèrent, et un regroupement des coalitions fut tenté. De grandes manifestations eurent lieu à Rouen et à Darnétal[49]. Il y eut des affrontements entre les ouvriers et les forces de l’ordre à Darnétal. Mais les fileurs de la vallée du Cailly et celle de Pavilly, qui se mobilisèrent pourtant, échappèrent quasiment aux poursuites à l’exception de trois membres d’une coalition d’enfants de Déville — rappelons que la majorité était à 25 ans, et qu’en dessous de cet âge on était considéré comme un enfant — et du fileur Pierre Drély, qui fut condamné à deux ans de prison suivi de deux ans de surveillance. Celui-ci avait participé comme délégué des fileurs de Barentin à ce conseil de fileurs réuni le 28 août à Sotteville-lès-Rouen. Il avait surtout commis une erreur que n’avaient pas commise ceux de 1825, celle de signer une invitation à une réunion à l’intention des délégués ouvriers de la vallée appelés « curés ». C’était une preuve imparable, qui montrait aux juges qu’il était un meneur, et donc encourait une peine de deux ans à cinq ans de prison. Mais à part ces deux condamnations, dans les vallées du Cailly et de l’Austreberthe les ouvriers échappent à la répression, malgré le détachement de gendarmes à cheval envoyés sur place qui visita une à une toutes les filatures. A  l’évidence, les fileurs avaient appris à être encore plus discrets dans la préparation de leurs actions revendicatives.

En guise de conclusion

L’affaire du Houlme resta longtemps dans les mémoires. Au sein des vallées, comme dans les faubourgs industriels de Rouen, où nombre de ses acteurs finirent leurs vies, on la raconta dans les repas de familles ou les veillées. Elle fournit un arrière plan au roman Le Roman des ouvrières[50] d’Amélie Bosquet, écrivaine rouennaise née en 1815 à Rouen, qui l’écrivit sous le pseudonyme d’Émile Bosquet. Le Journal de Rouen, évoqua cette histoire à l’occasion de son centième anniversaire. Dans les années 1960, elle était présentée dans les stages syndicaux organisés par l’Union départementale CGT, dans les cours sur l’histoire du mouvement syndical.

Car cette affaire montre que les conflits sociaux ne sont pas une invention de révolutionnaires ou d’extrémiste de gauche du siècle passé. La lutte des classes est une permanence de l’histoire économique et sociale, depuis la nuit des temps, et comme l’écrivirent Marx et Engels, elle est le moteur de l’Histoire et le restera.

L’affaire du Houlme met en évidence que, de tout temps, les travailleurs ont été contraints de s’organiser pour défendre leurs intérêts. Les fileurs ne se sont pas repliés sur la défense de leur catégorie, mais ont élargi la mobilisation à l’ensemble des métiers de leur filière industrielle, que ce soient les ouvrières, qui étaient souvent des épouses, leurs sœurs, ou leurs filles, mais aussi aux jeunes, voire aux très jeunes.

Elle confirme que les luttes les plus déterminées ne sont pas le fait des catégories sociales les plus défavorisées. Comme nous l’avons écrit, les fileurs étaient une sorte d’aristocratie de la classe ouvrière en formation. Sachant généralement lire et écrire, ils aimaient la vie, et voulaient conserver leurs conditions sociales au dessus de la moyenne, dans un environnement de qualité. Ce n’est qu’au cours de la décennie suivante, que ceux qui n’avaient pas réussi à accrocher à ouvrir un commerce — comme Pascal Cantel —, quitteront les vallées du Cailly et de l’Austreberthe, pour s’entasser dans les faubourgs sud de Rouen, dans une situation de déclassement professionnelle et sociale, comme ce fut le cas de Jean-Louis Morel dit l’Avocat qui mourut à Rouen en 1882.

A bien y regarder on s’aperçoit que le métier de fileur, comme tous les métiers, connait une courbe de développement en forme de cloche. Dans les années 80 du XVIIIe siècle, il fut d’autant mieux rémunéré qu’il était rare et recherché par un patronat industriel, qui avait besoin d’une rentabilité rapide de ses investissements. Il fut d’autant plus apprécié — dans toutes les acceptions du terme — qu’au cours des journées d’émeutes anti-machines à Rouen et Sotteville, des 11, 12, 13, et 14 juillet 1789[51], puis en septembre et octobre, les fileurs et le personnel des filatures furent armés par leurs patrons pour défendre leurs ateliers. Ils firent feu sur les assaillants qui étaient des artisans toiliers de Darnétal, victimes de la concurrence anglaise. Pendant la période de la Révolution et de l’Empire, leur industrie bénéficia de l’énorme marché d’État que consistait l’équipement en uniformes des armées, qui compensa la perte du débouché traditionnel du commerce triangulaire. Leurs rémunérations restèrent fortes malgré l’accroissement rapide du nombre des filatures, et du nombre de fileurs. Pendant la Restauration, marquée par un fort recul des marchés de l’État consécutif à la paix, mais surtout dans les  années 20, les fileurs commencèrent à subir des pressions régulières sur les salaires, sous prétexte de crises économiques. Et comme nous l’avons écrit plus haut, les progrès techniques eurent finalement raison de leur métier dans la 2e moitié des années 30.

À bien y regarder c’est le cas de tous les métiers. Ils apparaissent, se développent, atteigne une acmé, puis décroissent et disparaissent, et avec eux une certaine culture ouvrière. On observe, par exemple, le même phénomène avec les ajusteurs qui, en plus d’être une aristocratie ouvrière à la fin du  19e siècle et au début du siècle suivant, fournissent des légions de militants de premier plan tant au plan syndical que politique.

En faisant connaître cette histoire de fileurs, nous avons conscience de faire découvrir un monde disparu, et au sein de celui-ci des acteurs qui, parmi les premiers au 19e siècle, ont ouvert la voie de l’organisation collective qui deviendra le syndicalisme. Dans une complète clandestinité, contraints par l’absence totale de droits et de libertés, ils ont su construire un processus revendicatif impliquant la masse de leur profession, et au delà. Ils avaient tout contre eux : les lois, l’État, le patronat. Et malgré cela ils se sont levés, poussant le plus loin possible l’action pour la satisfaction de leurs revendications. Dans le patronat ils sont nombreux à vouloir nous ramener dans cet état de domination. Prenons soin de nos droits et libertés d’aujourd’hui. Défendons le droit de grève et les libertés syndicales.

Ouvrages consultés :

Le Journal de Rouen, août-décembre 1825, ainsi que des articles et avis épars, sur la période de 1810 à 1848.

Alexandre Alain, l’évolution industrielle de la Vallée du Cailly (1850-1914), in : Études normandes N°252, 3e trimestre 1972,

Alexandre Alain, Les « Événements » du Houlme (août 1825). Une révolte d’ouvriers fileurs dans la banlieue rouennaise. In: Études Normandes, 30e année, n°4, 1981. Normands d’ici… et d’ailleurs… pp. 41-46.

Alain Alexandre, Les Cahiers de Sylveison, N°10, sept. 2006, Les événements du Houlme d’Août 1825, une révolte d’ouvriers fileurs dans la banlieue rouennaise.

Boucher Athelme, Troubles du Houlme, pièces préliminaires antérieurement produites à l’appui de divers mémoires, Imprimerie, novembre 1825,

Chaline Jean-Pierre, Les dynasties normandes, Perrin, 2009

Costaz, Lois et instructions ministérielles sur les Manufactures, les Ateliers, les Ouvriers et la propriété des Auteurs de Découvertes Dans les Arts; (Brevets d’Invention.), Le tout précédé d’un mémoire sur les moyens qui ont amené le grand essor pris par l’industrie française depuis 1793, jusqu’en 1815. 1819, Ed. Firmin Didot ; Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, 8-F-3750

Dubuc Georges, Les troubles du Houlme il y a cent ans, in : Journal de Rouen, 27 septembre 1925, p3

Fallue Léon, l’Histoire du château de Radepont et de l’abbaye de Fontaine-Guérard, 1851

Hubert-Rouger, la France socialiste, tome III, in Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative de l’Internationale ouvrière / publ. sous la dir. technique de Compère-Morel ; dir.-propagateur Jean-Lorris ; 3, 9-12  

Le Prat D., Aide-mémoire de l’Industrie textile, Librairie polytechnique, Ch. Béranger éditeur, Paris VIe, 1er juin 1920.

Tigier Hervé, Tribunal correctionnel de Montfort [Montfort-sur-Meu], tome II.

Vautier F., l’Art du filateur de coton, 1821

Voir ci-après

1 -la liste des relaxés

2- liste des ouvriers animateurs de la coalition de son entreprise, dénoncés par Jacques Lavavasseur

3- liste des ouvriers arrêtés le 6 août et libérés suite à l’intervention du maire

Annexes :

1- Liste des fileurs libérés :

Le 16 août le procureur en relaxe 25 personnes :

  • Larose Louis Félix, de Barentin ;
  • Hédier Cécile, Cafournel Anne, Graindor Jean Auguste, Cantel Aimable, de Pavilly ; Carzy Alzéard et Filleul Antoine Benoit, de Montville ;
  • Vesques Louis, Leroux Amand, Meyant Hyppolite, et Joly Jean Prosper, de Malaunay ;
  • Philippe Louis François, Petit Pierre, Mmes Delahaye, née Grevon, Rosalie Dormesnil née Quesnel, Quesnel Jean François, Quevillon Jean Baptiste, et Guéroult Jean Baptiste, du Houlme ;
  • Gouelle Jean-Charles, et Bénard Aimable, de Bondeville ;
  • Minard Jean Stanislas, Dijon, Pierre Félix, et Barbier Pierre Charles Vincent, de Déville ;
  • Caumont Louis et Hurard Pierre Victor, de Rouen.

Le 23 août il en relaxe 25 autres :

  • Colignon Pierre Auguste, Colignon Louis, Pain Eugène, Foulon Louis Frédérique, Gravé Jean Louis, de Pavilly ;
  • Mercier Jean Auguste, de Barentin ;
  • Ballout Louis, Caron Jacques, Desbleds Michel, Briffard Prosper Nestor, Mme Madeleine Lezuriernée Quesnel, et Mlle Letellier du Houlme ;
  • Alexandre Arsène, d’Émanville ;
  • Jouanne Louis Alexandre d’Houppeville ;
  • Mazurier Jean, Le Billonnais Amédée, De Montville ;
  • Dumont Jacques Lambert, De Maromme ;
  • Damourette Narcisse Désiré, de Bondeville ;
  • Vintras Désiré, Farcy Jacques, Gouellain Jean Hyacinthe, Aveigne Auguste, de Malaunay ;
  • Plouin Père, Plouin René, Fils, et Baunel Napoléon, de Rouen.

À l’ouverture du Procès Le 11 Septembre, il en relaxe 10 autres:

  • Petit Parfait, de Fresquiennes ;
  • Barbier Vincent, de Déville ;
  • Leclerc Arsène, Fouet Louis Joachim, Hurel Ange Benjamin, de Malaunay ;
  • Godalier Isidore Julien, Beaucousin Jean-Christophe, du Houlme ;
  • Binet Jean-Pierre, de Barentin ;
  • Martin dit Faucon Thomas, de Pavilly ;
  • Edde dit Largillier Adolphe, de Sotteville ;
  • La Ferriere Aimé, originaire de Paris.

2- Liste des ouvriers de la filature Levavasseur, dénoncés par celui-ci

  •  Cérille Deperrois dit Deperrois « le jeune », Isidore Godalier, Duval, Hauchecorne, demeurant au Houlme ;
  • Fouette [Fouet ?] « Fouette jeune », demeurant à Malaunay au lieu dit le Nouveau-monde ;
  • Hurel, demeurant à Malaunay, hameau de St Maurice ;
  • Baillif, demeurant à Montville.

3- Liste des fileurs arrêtés le 6 août et libérés suite à l’intervention du maire du Houlme.

  • Pierre-Frédéric Bataille, Pierre Bénard, Jean-François Quesnel, Louis Vêque, Louis Droit du Houlme
  • Paul Hébert, de Bondeville

[1] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563, lettre du juge de paix de Pavilly  au procureur du Roi : « Par suite d’une faiblesse de commerce, les filateurs ont cru de leur intérêt de réduire les salaires de leurs ouvriers. Ils y ont réussi à diverses reprises. (…) »

[2] Fernand Leganeux fut secrétaire général de l’Union locale unitaire du Havre en 1931, avant de devenir secrétaire général de la 19e région unitaire. En 1936, il devint le secrétaire général de l’Union départementale CGT réunifiée jusqu’à 1939. A la Libération il retrouva son poste de secrétaire général et le resta jusqu’en 1955. Voir Le Maitron.

[3] Par contre les troubles du Houlme sont omis dans la France socialiste d’Hubert-Rouger, tome III, dans l’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative publiée sous la direction de Compère-Morel, publiée entre 1912 et 1921, ainsi que dans la Monographie de la Seine-inférieure d’Ernest Lepez, 1921, éditée par le Parti communiste.

[4] Comme moteur, dans les premières filatures et notamment celles de Rouen, on a pu utiliser des manèges de chevaux. Plus tard on remplacera le moteur hydraulique par la machine à vapeur

[5] Le Cailly est une rivière de Seine-Maritime, affluent de la Seine dans laquelle elle se jette à l’ouest de Rouen. Elle coule dans une vallée étroite et encaissée, et traverse, du nord au sud, les communes de Montville, Malaunay, le  Houlme, Notre-Dame-de-Bondeville, Maromme et Déville-lès-Rouen.

[6] Alizarine : colorant rouge d’origine végétale, extrait de la racine de la garance (Rubia tinctorum L.)

[7] Indigo : colorant  d’une couleur bleu foncé très puissante

[8] Alain Alexandre, l’évolution industrielle de la Vallée du Cailly (1850-1914), Études normandes N°252, 3e trimestre 1972.

[9] Vers 1825, l’Austreberthe s’appelle encore Esne.

[10] La mule-jenny est une machine à filer à énergie hydraulique qui, au fur et à mesure de ses perfectionnements, fila d’un même mouvement de 30 à 1 000 fils en même temps. Elle fut inventée en Angleterre en 1779 par Samuel Crompton.

[11] Bély ou Billy : mulle-jenny utilisée pour le filage en doux.  Vautier F., l’Art du filateur de coton, 1821, page 202

[12] Chapitre « de la filature en fin », Vautier F., ouvrage cité, page 229.

[13] En 1821, le chariot se déplace sur une distance de 90 cm et 1,20 m selon les machines : « Le chariot étant arrivé au terme de sa course qui est de trois à quatre pieds, un mécanisme fait dégrener la roue » (…) ; Vautier F., ouvrage cité, page 213

[14] Cardes : Machines servant à carder c’est-à-dire à démêler et aérer les fibres textiles à partir de divers matériaux bruts, avant de pouvoir les filer.

[15] La loi Le Chapelier, promulguée en France le 14 juin 1791, est une loi ayant interdit tout groupement professionnel, que ce soit de gens de métier, les « maitres », ou de leurs ouvriers et apprentis

[16] Costaz, « Lois et instructions ministérielles sur les Manufactures, les Ateliers, les Ouvriers et la propriété des Auteurs de Découvertes Dans les Arts; (Brevets d’Invention.), Le tout précédé d’un mémoire sur les moyens qui ont amené le grand essor pris par l’industrie française depuis 1793, jusqu’en 1815 », 1819, Ed. Firmin Didot ; Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, 8-F-3750

[17] Extrait de l’arrêté du 9 frimaire an XII, instaurant le livret ouvrier 

[18] idem

[19] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 10M330.

[20] Art. 415. « Lorsque les faits punis par l‘article précédent auront été commis par suite d’un plan concerté, les coupables pourront être mis, par l’arrêt ou le jugement, sous la surveillance de la haute police pendant deux ans au moins et cinq ans au plus. »

[21] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563, interrogatoire lors de l’audience du tribunal lors du procès pour coalition des 26, 27 et 28 septembre 1825.

[22] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Interrogatoire de Nicolas Tellier, cafetier à Notre-Dame-de-Bondeville, lors de l’audience du tribunal lors du procès pour coalition des 26, 27 et 28 septembre 1825.

[23] [23] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Instruction d’Alexandre Charles Langlois du Glichon, juge d’auditeur au tribunal civil de Rouen, le 8 août 1825, interrogatoire d’Adèle Doisy, du Houlme.

[24] Situé à Pavilly, rue de Goupillières, à coté du Pont, vraisemblablement le bâtiment en brique occupé actuellement par l’optique Lefebvre. Il fut construit au tout début du 19e siècle par M. Joly, pionnier de la filature à Pavilly, pour loger les jeunes fileurs rouennais embauchés dans ses filatures.  Voir Le Journal de Rouen jeudi 24 octobre 1822, page 4 ; et ADSM 4E 87, bail le sieur Joly au sieur Ancel, le 6 août 1820.

[25] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Lettre du juge de paix de Pavilly  au procureur du Roi 

[26] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Interrogatoire d’Amable Ancel, cabaretier, demeurant à Pavilly. Audience du tribunal lors du procès pour coalition des 26, 27 et 28 septembre 1825.

[27] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Interrogatoire de Jacques Lemaître, filateur à Pavilly. Audience du tribunal lors du procès pour coalition des 26, 27 et 28 septembre 1825.

[28] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Lettre du juge de paix de Pavilly  au procureur du Roi 

[29] Idem. 

[30] La pesée du fil permettait de valider le travail quotidien du fileur

[31] Jean-Pierre Chaline, Les dynasties normandes, Perrin, 2009, p 201-202

[32] Le Journal de Rouen, 22 juillet 1811, annonce de la vente par « folle enchère » de la filature du Houlme

[33] Jean-Pierre Chaline, Les dynasties normandes, Perrin, 2009, filateurs et tisseurs, note 19 : Léon Fallue, l’Histoire du château de Radepont et de l’abbaye de Fontaine-Guérard, 1851, p100-101.

[34] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Information 8 août 1825, dans l’affaire de Deperroy jeune, Jouette jeune, et autres ; instruction de Alexandre Charles Langlois du Glichon, juge d’auditeur au tribunal civil de Rouen ; interrogatoire deJean-Baptiste Portevin, âgé de 38 ans, brigadier de gendarmerie.

[35] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Interrogatoire de Deperroy jeune, Jouette jeune, et autres, 8 août 1825,; instruction de Alexandre Charles Langlois du Glichon, juge d’auditeur au tribunal civil de Rouen ; interrogatoire de Jean-Baptiste Portevin, âgé de 38 ans, brigadier de gendarmerie.

[36] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Lettre du Juge de Paix du canton de Maromme au procureur du roi, 8 août 1825, 3 heures de l’après-midi.

[37] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Lettre du maire de la commune du Houlme au procureur du roi près le tribunal civil de Rouen, Le Houlme, 9 août 1825.

[38] Le Journal de Rouen, 10 août 1825

[39] Le père de Gustave Flaubert

[40] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Lettre du maire de la commune du Houlme au procureur du roi près le tribunal civil de Rouen Le Houlme, 9 août 1825,

[41] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Lettre de Terrien, maire de Montville, au procureur du roi, en date du 13 août.

[42] Arch. Dép. de Seine Maritime, cote 2U 565

[43] Recherches dans l’État civil du Houlme.

[44] L’affaire Réveillon est une révolte populaire, qui eut lieu du 26 avril au 28 avril 1789 au faubourg Saint-Antoine, à Paris, dans une imprimerie de papier peints. Cet événement est considéré comme un élément avant-coureur de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789 et, à plus grande échelle, de la Révolution française.

[45] Le Journal de Rouen, 23 septembre 1825

[46] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U563. Lettre du préfet de Seine-Inférieure au procureur de la République, en date du 24 août 1825

[47] Hervé Tigier, Tribunal correctionnel de Montfort [Montfort-sur-Meu], tome II. Arrestation à Boisgervilly (35) d’un individu présentant une ressemblance avec Théodore Larose, « prévenu de rébellion dans la région deRouen. Il est mis en liberté par non-lieu, le 25 septembre 1825.

[48] Arch. Dép. de Seine-Maritime, cote 2U 1365, cour d’assises.

[49] Archives départementales de Seine-Maritime, cote 2U/4/1320, Greffe du tribunal correctionnel Rouen, jugements (du 5 avril 1829 au 24 octobre 1831) ; cote 10M330 ; et Journal de Rouen, de fin août à fin septembre 1830.

[50] Émile Bosquet, Le Roman des ouvrières, Paris, A. Faure, 1868 ; réédité par L’Écho des Vagues, 6 octobre 2011

[51] Jef Horn, Machine-breaking in England and France during the Age of Revolution, https://historycooperative.org, 2005 ; Vautier F., ouvrage cité, page 14 ; Archives départementales de Seine-Maritime,  202 BP 12, 13, et 14.