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Fil rouge N°10

Guerre d’Algérie et mouvement syndical en Seine-Maritime

La lutte pour la paix en Algérie au Havre (1954-1957)

Par Albert Perrot

A l’automne 1954 débute la guerre d’Algérie qui durera près de huit ans. S’il est une guerre qui mérite le nom de « sale guerre », c’est bien la guerre d’Algérie.

Le peuple algérien, comme tant d’autres peuples coloniaux, entendait conquérir son indépendance.

Les colons français, très nombreux sur le sol algérien voulaient à tout prix conserver le dernier camp retranché de l’ère coloniale. Et la lutte pour la Paix en Algérie ne fut pas des plus faciles. Elle exigea lucidité et courage, allant souvent à l’encontre d’une opinion largement répandue : la France ne devait-elle pas rester Française de « Dunkerque à Tamanrasset » ?

A cette époque, un million de métropolitains vivent en Algérie, de très nombreux algériens travaillent en France, l’économie algérienne représente une grande importance, une idéologie à base raciste est développée par les forces de droite : autant de facteurs qui ont contribué à rendre la situation plus complexe, et l’action plus difficile.

Dès le début de la guerre, la CGT, quant à elle, n’a pas hésité. Fidèle à ses principes et à ses traditions de solidarité internationale, elle a pris position en affirmant immédiatement la nécessité de « satisfaire les aspirations nationales du Peuple algérien » et « en s’élevant contre une répression coloniale qui ne saurait rien résoudre, mais ne pourrait au contraire qu’aggraver la situation » (communiqué du Bureau confédéral de la CGT du 3 novembre 1954).

C’est surtout à partir de 1956 que l’action pour la paix en Algérie va se développer : le rappel des soldats du contingent fait prendre conscience de la nocivité de cette guerre et de la nécessité de lutter pour y mettre fin.

Le 26 mars 1956, des travailleurs algériens du Nickel et des Tréfileries et Laminoirs du Havre font grève pour réclamer la grâce des condamnés à mort, pour l’abolition des mesures gouvernementales concernant l’interdiction des départs en Afrique, pour la libération de Mersali.

Le 24 mai 1956, une première manifestation a lieu à la gare du Havre pour s’opposer au départ des rappelés de la classe 52/2 au train de 8 h 30. Cette manifestation organisée à l’appel de l’Union locale des Syndicats CGT rassemblera trois cent personnes, surtout des travailleurs du Bâtiment, et plusieurs adjoints de la Municipalité : André Duroméa, Daniel Colliard, Maurice Schléwitz, André Duquesnoy.

Le mardi 29 mai, les métallos sont à nouveau invités à un meeting à Franklin, à 17 h 30 et à cesser le travail à 17 h 00, contre le rappel des jeunes et pour la Paix en Algérie.

La pression se fait de plus en plus forte. La plus puissante des manifestations d’opposition au départ de rappelés fut celle du 7 juin 1956. Répondant à l’appel des syndicats CGT, notamment du Syndicat des métaux du Havre, mais aussi à l’appel des mères et femmes de rappelés, de nombreuses personnalités, quatre mille manifestants se rassemblèrent ce matin là à la gare du havre, pour s’opposer au départ du train de 8 h 40, qui emmenait de jeunes rappelés.

Nombreuses sont les entreprises qui ont débrayé : Tréfileries et Laminoirs du Havre, Mazeline, Graville, Chantiers de Normandie, Caillard, Fourré, Fonderies Havraises, Peinture Navale, Augustin Normand, Duchesne, Entreprises du bâtiment.

Les travailleurs arrivent en cortège ou en petits groupes et se massent devant le train pour empêcher son départ. Face à eux, les CRS sont là, en rangs serrés, casqués, avec leur fusils, leurs gourdins et leurs sacs de grenades. Les manifestants se tiennent au coude à coude. Certains montent dans les wagons tirer la sonnette d’alarme ou sectionnent les tubulures en caoutchouc alimentant les freins. De ces milliers de travailleurs monte soudain une vibrante « Marseillaise ».

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L’atmosphère est tendue et houleuse. Parmi les manifestants se trouvent au premier rang, un homme et une femme dont le fils compte parmi les rappelés. La femme est giflée par un commissaire de police. Ce dernier est pris violemment à partie et bousculé.

Ce face à face dure quelques temps puis, tout d’un coup, les CRS chargent. Charge brutale : à coups de gourdins, de matraques et de grenades lacrymogènes. Les manifestants sont forcés de reculer et se trouvent bloqués dans le hall de la gare, cependant que les grenades continuent de pleuvoir. Les yeux et les gorges piquent. Chacun se protège comme il peut avec son mouchoir.

Peu à peu les manifestants arrivent à sortir de la gare, se rassemblent et commencent à arracher les pavés pour les lancer sur la façade et le toit en verre de la gare. Les bris de verre dégringolent sur les CRS, pris à leur tour au piège du hall.

Le train des rappelés partira avec une bonne heure de retard. Un participant à cette manifestation dira tout simplement : «  Je me suis senti, comme qui dirait, grandi en revenant de cette manif. On a fait ensemble une belle chose ». A la suite de cette manifestation, trois manifestants sont arrêtés : Saunier, de chez Mazeline, Paporé et Lamache.

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Dans l’après-midi de ce même jour, de nouveaux débrayages ont lieu aux Tréfileries et Laminoirs du Havre et chez Mazeline., contre la provocation policière, pour exiger la libération des trois travailleurs arrêtés, et pour la Paix. Une motion est portée à la sous-préfecture par une délégation de militants de Mazeline.

Le jeudi 14 juin 1956, un nouveau meeting est organisé à 10 h 30 à Franklin, à l’appel du Comité de défense des emprisonnés, pour obtenir la libération des emprisonnés, contre les poursuites judiciaires et pour la paix en Algérie. Dans la plupart des entreprises de la métallurgie des arrêts de travail ont lieu pour participer au meeting : Normand, Caillard, Tréfileries et Laminoirs du Havre, Graville, Béliard, Mazeline, Duchesne, Fourré, Bichet, Lemat, Cemas, Fonderies Havraises, Chantiers de Normandie, Peinture Navale, Veillée, mais aussi à la Transat et chez les Traminots.

Du 20 au 27 janvier 1957, une semaine d’actions pour la Paix en Algérie est organisée par le Syndicat de métaux du Havre, donnant lieu à diverses initiatives : prises de paroles, signatures de pétitions portées en délégation à la Mairie le samedi 27. Les délégations comprenant des militants de la CEM, Mazeline, Worms, Lemat, Chargeurs, Graville, Tréfileries et Laminoirs du Havre.

Au cours de leur congrès tenu les 16 et 17 février 1957, les métallos du Havre ont pu recenser soixante actions pour la Paix en Algérie , de mars à décembre 1956.

Le 17 octobre 1957 à 17 h 00, un meeting se tient à Franklin, accompagné d’arrêts de travail dans de nombreuses entreprises : Graville, Pont V, Peinture Navale, Duchesne Dumontier, Tréfileries et Laminoirs du Havre, Lemat, Béliard, Bichet, Worms, Chargeurs, Normand, Fonderies havraises, Citec, Transat, Multiplex, Traminots, dockers, Municipaux, marins de « l’Antilles » et sur les cargos à quai, vingt cinq entreprises du bâtiment, le Gaz, etc.

Le 15 novembre 1957, une journée d’actions pour la Paix en Algérie organisée par l’Union des syndicats ouvriers du Havre et de la Région, se termine par un meeting salle Franklin.

Les années 1956-1957 montrent, à l’évidence, que l’action pour la Paix en Algérie a été une constante de l’activité syndicale et de la lutte des travailleurs havrais. (à suivre)

 Sources :

- Archives de l’Union locale CGT du Havre

- Archives du Syndicat des métaux du Havre

- Archives municipales

- Photos C.L.X, coll. Archives municipales du Havre, TDR.

 

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