Hygiène, sécurité, conditions de travail
Hygiène, Sécurité et Conditions de Travail
Un besoin urgent que décrire lhistoire sociale en ce domaine.
La catastrophe de Toulouse a mis en évidence limportance de prendre au sérieux les questions de sécurité dans les entreprises, notamment en cette période particulière de déréglementation et dintégrisme libéral.
Le dogme de lentreprise devant se « centrer sur son métier » et loffensive libérale contre lÉtat qui ne devrait plus singérer dans les affaires des entreprises, ont montré leurs limites à Toulouse.
Les normes de type Iso 9002, aboutissement dune logique dautocontrôle, ne remplaceront jamais le contrôle public.
Dans ce contexte de renforcement du risque industriel, les salariés des entreprises sont en première ligne. Or lactivité de leurs syndicats en ce domaine est peu connue.
Les Comité Hygiène et Sécurité et Conditions de Travail (CHS-CT) ne cessent, depuis des années, de pointer les risques et de tirer la sonnette dalarme, souvent dans le désert. Il est urgent de travailler à écrire leur histoire, celle de leur persévérance revendicative, celle de leurs militants dévoués au service de la santé et de la sécurité au travail comme à lextérieur.
Le témoignage de Jacques Defortescu est un appel à engager ce travail nécessaire.
Gilles Pichavant
Prise en charge de lenvironnement chez Tréfimétaux au Havre.
Par Jacques Defortescu
Je suis très satisfait de voir ce que sont devenues les questions de pollution, de risques technologiques et écologiques, et les dimensions que ces questions prennent dans le public.
Jen suis dautant plus satisfait que ce nest pas daujourdhui quavec dautres je me suis battu sur ces questions, et il se trouve quà lépoque nous nétions pas nombreux.
Je me dis que dans un passé peut-être pas très lointain, nous avons peut-être manqué lopportunité de pour dénoncer publiquement les situations, rendre publiques nos actions et les faire savoir hors de lentreprise.
Jen veux pour preuve les multiples luttes que nous avons menées sur ce sujet à lépoque où jétais dans lentreprise Tréfimétaux dont je fus le secrétaire du syndicat CGT de 1969 à 1979.
Je ne peux pas ici soulever les multiples actions qui furent les nôtres au sein du Comité dhygiène et de sécurité, dans les ateliers où les conditions de travail étaient particulièrement pénibles. Les tréfileurs avaient tous au moins un doigt coupé par leur machine.
En tréfilerie cuivre, nous avions « le plaisir » de travailler dans la plus vieille tréfilerie dEurope. On y voyait par beau temps voleter des paillettes de cuivre, qui bien évidemment pénétraient nos poumons. Quand il fallait dépanner une machine cétait notre quotidien nous nous roulions dans un mélange dhuiles et de boues. Les câbleurs risquaient leur vie. Certains dentre eux y laissèrent un bras et quelque fois leur vie, entraînés par un tourillon, une bobine ou une autre botte de cuivre.
Je me souviens notamment dune lutte menée et gagnée grâce à laide du labo-chimie de lUniversité de Rouen qui, alors que la direction déclarait que les produits quutilisaient les fondeurs nétaient pas nuisibles pour leur santé, nous aidèrent à faire la démonstration que ces dits produits étaient chargés de phosphore à létat pur, produit mortel pour la santé. Après de nombreuses protestations, la direction enleva le produit, non sans avoir protesté auprès de lUFR de Sciences.
Mais lhistoire la plus caractéristique, me semble-t-il, du mépris avec lequel le patronat traitait ces questions décologie, fut celle du laminoir « Garrett ».
Nous sommes à la fin des années 70. Un laminoir très performant dit « de coulée continue » a été installé après deux ans de mise au point. Depuis quelques temps il produit des tonnes de fil de cuivre par bottes de 2,5 tonnes. Le vieux laminoir qui avait produit des milliers de tonnes et battu des records de productivité (à ce sujet dailleurs, je me souviens que quand un record était battu, lingénieur de production payait du rhum pour remercier les compagnons), reléguant au placard les images de ces tréfileurs qui, dans la chaleur du laminoir attrapaient à la pince, à la sortie de coulée, le fil en fusion, pour lintroduire dans la goulotte suivante. Le travail était dangereux à lextrême et bon nombre douvriers qui se relayaient tous les quarts dheure y laissèrent qui une jambe, qui un bras.
Ce laminoir obsolète est donc démonté dans le courant des années 70, laissant à la place une friche industrielle avec en son centre une énorme fosse dans laquelle, chaque jour, toute lusine jetait des détritus de toutes sortes, des huiles de machine ou de coupe, des éthers, des résidus de pétrole et autres déchets gras en grande quantité, et même des acides. La fosse fut vite remplie.
Comme chaque lundi, nous sommes réunis en réunion du bureau du syndicat lorsquun camarade responsable du syndicat me signale que, chaque nuit, paraît-il, deux salariés pomperaient la fosse et reverseraient les liquides sales, usés et quelques peu encombrants, dans le canal qui jouxte lusine.
Quelle nest pas ma surprise ! Je travaille à côté de ce lieu et je nai pas remarqué de manutention. Décision est prise: cette nuit, mon camarade membre du CHS et moi-même, munis dun appareil de photo, nous nous rendons sur les lieux. Tout ce que lon avait raconté était encore plus vrai que nous aurions pu limaginer. Non seulement un gardien de lusine pompait, à laide dune grosse pompe, les cochonneries qui se trouvaient dans la fosse, pour les déverser dans le canal derrière lusine, mais il était aidé dans sa tâche nocturne par un jeune employé dune entreprise temporaire de moins de 16 ans qui de toute manière naurait pas dû travailler de nuit.
Fort de ce constat et des photos que nous firent, dès le lendemain matin, tous les membres du CHS, moi-même, secrétaire du syndicat CGT et mon camarade R. Zelek, alors membre du CE, nous rendons auprès de la direction pour exiger que soit mis fin à cette pollution. Le directeur dalors, champion dans la démagogie, nous jura ses grands dieux quil nétait pas au courant et quil convoquait illico lingénieur de sécurité, également ingénieur responsable de la pollution et quil lui passerait un savon.
Le midi même nous distribuions à tout le personnel notre journal syndical qui relatait les faits. Nous informions la DRIRE, mais lingénieur qui nous fut dépêché sur place ne fit rien, car dans lentrefaite tout avait disparu.
En effet, laprès-midi même un camion venait chercher les déchets contenus dans la fosse, y compris les ferrailles qui sy trouvaient, pour les stocker en vue dêtre reconditionnées.
Et lingénieur me direz-vous? Et bien il fut muté . Au siège de la société Tréfimétaux, comme responsable des questions décologie dans lentreprise.
La conclusion de cette histoire, je la laisse à André Maurois, le célèbre romancier et essayiste elbeuvien, qui a écrit « la vérité de chacun est ce qui le grandit ». Gageons que ces hommes là nen sont pas sortis grandis.