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Les papeteries de la Chapelle Darblay:
Des usines géantes en banlieue de Rouen au milieu du 20e siècle
Par Gilles Pichavant
La région rouennaise a toujours été une grande région de production de papier. Ce n’est pas le fait du hasard, mais d’une situation géographique exceptionnelle. Le papier est composé de produits divers, souvent importés : de la pâte à bois, des rondins de bois, du kaolin, etc. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, les tonnages directement liés aux besoins des papeteries rouennaises transitant par le port de Rouen étaient considérables : 350 000 stères de bois, 800 000 tonnes de pâte.
Les deux immenses papeteries qui fonctionnent toujours en 2003 sont les Papeteries Chapelle-Darblay, situées au sud de Rouen, de chaque côté de la boucle de la Seine, l’une en aval de Rouen à Grand-Couronne, l’autre en amont de la ville à la limite de St Etienne du Rouvray et de Oissel.
Elles ont été créées à la fin des années 20 du siècle dernier, pour répondre à la fois aux besoins de papier journal de la région parisienne dont elles sont proches, tout en étant capables de répondre aux besoins du marché international en utilisant les capacités du port de Rouen.
Rien de plus économique, en effet, que de traiter tous ces produits à l’endroit même où ils sont déchargés. C’est pourquoi les grandes papeteries rouennaises ont toutes été implantées en bord de Seine, entre la route, la voie ferrée et l’eau, dans le site économique idéal du port français le plus proche des grands centres de consommation.
L’usine de Grand-Couronne
Elle est située en aval de Rouen, où elle occupe l’un des plus vastes emplacement de la ceinture industrielle de la ceinture industrielle du vaste port normand.
La Société Nouvelle de Papeterie (SO.NO.PA) a été créée en 1928. A sa fondation, son principal outil était une machine à papier équipée pour fabriquer du papier journal.
En 1932, les Papeteries Darblay deviennent majoritaires dans le capital de l’entreprise, et l’usine connaît une grande extension. Deux nouvelles machines à papier, une râperie de bois, une grande centrale électrique en développent considérablement la puissance.
A la Libération, l’usine couvre déjà plus de 32 hectares. Les matières premières arrivent par navires complets, et c’est sans aucun transbordement qu’elles sont stockées sur le terrain même de l’usine et que les produits finis repartaient pour l’exportation par voie de mer. « Celle-ci est en effet importante dans les périodes où les besoins nationaux sont assurés, car cette position géographique lui permet de produire au moins à parité des cours mondiaux » écrit la Revue de Rouen en 1950. Comme quoi, la « mondialisation » ne date pas d’hier. L’usine ressemble à une véritable gare de marchandise avec ses voies ferrées raccordées sur le réseau portuaire de la SNCF
.
La centrale électrique de l’usine, avec 120 millions de kWh par an, était l’une des plus puissantes existant en France, à l’époque, dans l’industrie privée. La râperie, capable de produire 150 tonnes de pâte mécanique de bois, consomme la grande majorité de l’énergie produite. L’usine possède, trois machines à papier, dont deux d’entre elles fabriquent du papier sur une largeur de 5 m 30 et pèsent 160 tonnes chacune. La plus récente produit à une vitesse de 365 mètres à la minute, soit 525 kilomètres de papier, par jour. La troisième machine produit du papier d’une largeur de 3 m 60.
Les papiers fabriqués dans l’usine sont des papiers apprêtés et satinés, destinés aux publications de presse : journaux, publications hebdomadaires, etc.
Sur la machine la moins large, on fabrique du papier pour l’édition, la décoration, etc.
En 1950, la production de l’usine est de 315 tonnes de moyenne par jour.
L’usine emploie 900 personnes, dont 160 sont logées par la Société dans des maisons construites à Grand-couronne et à Petit-Couronne.
Bastion du syndicalisme rouennais, les acquis sociaux y sont nombreux. Ainsi au début des années 50, la Revue de Rouen peut elle écrire que « tout les personnel verse au Comité d’Entreprise une cotisation volontaire pour assurer la marche des œuvres sociales: la Société verse le double de la cotisation du personnel. Grâce à ces fonds importants reçus mensuellement , le Comité d’entreprise a pu:
- Gérer un centre social sis à Grand Couronne, avec assistante sociale et infirmières;
- Louer, aménager et meubler le château de Conteville, à proximité de la mer, et y faire passer d’agréables vacances à une centaine d’enfants;
- Aider les membres du personnel malades et les retraités par des compléments aux versements à la sécurité sociale;
- Aider les jeunes mariés dans leur établissement et les jeunes soldats pendant leur service. »
L’usine de St Etienne du Rouvray
Elle est située en amont de Rouen, où elle occupe une emprise de 40 hectares, plus importante donc de que sa voisine de Grand-Couronne, dont elle est séparée par l’isthme que constitue la boucle de la Seine.
Les Papeteries de la Chapelle ont été fondées en novembre 1928 par un groupe suisse. L’usine a commencé sa production deux ans plus tard, en novembre 1930. Les terrains occupés par l’usine se situent entre la Seine et la ligne de chemin de fer Paris-Rouen, au sud de la gare de triage de Sotteville. Un embranchement particulier de 7,500 km la relie au réseau de la SNCF. Il traverse toute l’usine, y dessert tous les secteurs les plus importants, y conduit les pièces lourdes directement à pied d’œuvre, et permet le chargement du papier à l’abri des intempéries dans un hall ouvert.
A la différence de celle de Grand-Couronne, les cargos ne peuvent pas y accoster car ils ne peuvent passer sous les ponts de Rouen. Cependant, elle est à proximité du port normand, d’où elle peut recevoir les matières premières. Un grand appontement équipé de trois grues électriques a été construit dès l’origine sur la Seine. Il permet le débarquement des péniches de grands tonnages de matière première et l’embarquement des produits manufacturés.
En 1952, l’usine produit annuellement 80 000 tonnes de pâte mécanique et 100 000 tonnes de papier.
L’usine possède 4 machines à papier installées dans deux salles de 7200 m2 chacune. La hauteur entre le plancher et la toiture est de 12 mètres. Les quatre machines produisent du papier d’une largeur de 3 m 60, format de papier principalement utilisé par le marché français. Il s’agit essentiellement de papier de journal apprêté ou satiné.
A cette époque, les deux premières machines produisaient à la vitesse de 330 mètres par minutes, la machine III produisant à 400 mètres par minutes , la 4ème étant en cours de modernisation pour atteindre des vitesses de 500 m par minute.
La pâte à papier est fabriquée dans une râperie équipée de 15 défibreurs. Après avoir été classée et épaissie, la pâte mécanique est pompée dans un immense cuvier de 1000 m3, à partir duquel sont alimentées les 4 machines à papier.
L’usine possède sa propre centrale thermique qui produit toute l’électricité nécessaire à son fonctionnement. A l’origine, les chaudières étaient alimentées au charbon qui arrivait par trains entiers ou par péniches. Mais après le 2ème guerre mondiale, elles seront progressivement replacées par des chaudières au fuel. En 1952 il y a donc 6 immenses chaudières qui fonctionnent simultanément pour alimenter en vapeur, 6 turbines électriques et le réseau de chauffage de l’usine.
Une papeterie a besoin d’énormes quantités d’eau. L’eau de fabrication est prélevée directement dans la nappe souterraine dans 7 puits profonds d’une trentaine de mètres. Pour alimenter les chaudières, l’eau est pompée directement dans la Seine.
Comme son homologue de Grand-Couronne, l’usine est un bastion de la CGT. La syndicalisation y est massive, au point que quarante ans plus tard, à la veille du conflit qui est traité dans l’article précédent, la Vie Ouvrière du 15 mars 1982 pourra écrire que 80% du personnel était syndiqué à la CGT.
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Sources:
La Revue de Rouen, quatrième année, N°31 (1951)
La Revue de Rouen, cinquième année, N°5 (1952)