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Les filles des Chèques Postaux

L’importance du Centre de Rouen

dans les luttes de l’informatisation des Chèques postaux.

Interview de Paulette Dayan, ancienne secrétaire de la fédération CGT des PTT, responsable des services financiers.

Propos recueillis par Elyane Bressol, secrétaire générale de l’Institut CGT d’Histoire sociale (Institut confédéral).

Texte en Annexe 1 du livre de Sylviane Mangiapane « Les filles des Chèques postaux - Contribution à l’histoire du syndicalisme PTT – 1945-1978 »-Le Temps des Cerises.

Comment débute cette aventure qu’est l’automatisation des chèques postaux ?

Nous sommes dans les années 1960, la « bancarisation » a provoqué un développement impétueux de l’activité des Centres de chèques et rien n’indiquait que leur expansion allait s’arrêter. Des milliers de personnes travaillaient dans les grands centres de Lille, Lyon, Marseille, Paris. Il fallait pousser les murs ; dans les couloirs il y avait des vestiaires de chaque coté. Je me souviens, j’étais enceinte de ma fille, pour me préparer à partir j’attendais que les filles de la brigade montante soient installées parce qu’avec mon gros ventre ce n’était pas facile de se croiser.

Les dirigeants de la Poste voulaient diminuer l’importance des centres. La gestion manuelle était obsolète. Ils voyaient l’arrivée des matériels informatiques comme une aubaine qui leur permettait de faire face à l’augmentation du trafic sans recrutements massifs ni ouverture de nouveaux centres. Pour eux, le progrès technique devait servir à supprimer des emplois, c’était le fondement de leur politique.

Et s’ils n’automatisent pas tous les centres à la fois c’est qu’ils craignent des inconnues techniques, les réactions du personnel, l’énormité du problème. Ils savent aussi que les matériels vont se perfectionner rapidement. De fait les ordinateurs de deuxième génération sont déjà là pour les centres moyens.

Avec Rouen, vous découvrez le vrai sens du projet ?

Jusque là nous participions à des comités techniques paritaires où la direction de la Poste nous faisait de grand discours abscons. C’est avec Rouen que nous tombons dans le concret et que nous comprenons l’organisation du centre en chaîne de travail. Schéma à l’appui, Max Valentin, Jeanine Ponthieu et Jean Julien m’ont montré l’éclatement des postes de travail. En arrivant le matin, les filles des groupes font une vérification rapide et ensuite ça part à l’atelier de saisie. Elles ne réinterviennent qu’après la saisie. Et comme les ordinateurs se traînent lamentablement, la coupure dure des heures : les premiers documents prévoyaient une journée de travail pouvant aller jusqu’à douze heures d’amplitude. La machine confisque aux agents une partie intellectuelle du travail, ce qui provoque à la fois un désintérêt et des conséquences désastreuses sur les horaires. La direction n’avouera jamais qu’elle a retenu cette conception du travail parce qu’elle permet des économies maximales d’emplois et de locaux.

Au départ, nous sommes dans l’incertitude, mais, d’emblée, nous sommes convaincues que « le progrès technique doit améliorer les conditions de travail et de vie ». Nous voulions travailler moins et mieux et garder un maximum d’effectifs. Nous ne pouvions pas chiffrer, nous plongions dans l’inconnu ? En effet dans la CGT, notre fédération essuie les plâtres, il n’y avait pas d’ordinateurs ailleurs, nous ne pouvions pas nous inspirer des expériences des autres.

Nous n’avons jamais pu être tranquilles. Pour les petits centres comme Nancy, c’était facile, la méthode Rouen s’appliquait. Ensuite, à partir des centres moyens rien ne se répétait. Je me souviens que je descendais dans le centre concerné pour dire aux militantes : « Vous ne pourrez pas mettre vos pas dans les pas du centre qui vous a précédé ».

Certes, il y avait des constantes, l’organisation de la chaîne de travail n’a jamais bougé mais autour tout changeait. L’évolution rapide des ordinateurs et des périphériques le permettait.

La méthode de la direction consistait à prendre un centre expérimental. Prenons le cas de Nantes, la méthode initiale est modifiée puis envoyée à La Source. Puis à nouveau modifiée, elle revient à Nantes. Ce va et vient se traduit à chaque fois par de nouveaux bouleversements pour les employées. Du coup nous n’avions jamais un capital de connaissances que nous pouvions utiliser pour les centres suivants, en permanence nous naviguions dans l’inconnu et les nouveautés. Et en même temps, les premiers centres automatisés s’adaptaient aux nouvelles possibilités techniques. Il fallait une grande souplesse dans notre activité.

Avec cette diversité de situations, comment parveniez-vous à créer des convergences de luttes ?

Notre pratique syndicale a dû tenir compte de deux impératifs, la diversité des situations et l’étalement de l’automatisation sur plus de vingt ans. Les luttes locales et les nationales se confortaient. Elles constituaient aussi un encouragement.

Nous avions des revendications qui unissaient : les 35 heures, les deux jours de repos consécutifs, les samedis libres, les emplois.

Les actions locales permettaient d’adapter les revendications, elles étaient nombreuses et massives parce que souvent elles rassemblaient tous les syndicats, y compris FO que nous n’avions pas au plan national.

Dans cette bataille, nous avons eu plusieurs facteurs chance.

Premièrement je veux souligner l’apport des militants et militantes de Rouen. D’abord, ils et elles ont compris que leur responsabilité allait bien au-delà de leur centre puisque dix-huit centres suivraient.

Ensuite, ils et elles ont su tirer profit de l’expérience de Paris CNE tout en sentant tout de suite que la chaîne de travail était quelque chose de différent et d’assez machiavélique.

Enfin, ils et elles ont administré la preuve qu’un centre pouvait se battre seul et gagner sur des revendications fondamentales et générales.

Cela a donné confiance aux autres centres. Leur succès a radicalement changé le climat social y compris pour les directeurs généraux. J’avais le sentiment que tous ces directeurs pensaient qu’ils pourraient passer en force, qu’ils imposeraient horaires et suppressions d’emplois sans aucun problème. Pour eux la surprise a été totale.

Il faut dire qu’il y a eu à Rouen, des grèves quasi totales. Je me souviens d’un jour, c’était avant 1968, il n’y avait pas encore de locaux syndicaux, j’étais très tôt à la fédération, pas de nouvelles des camarades, je me faisais un sang d’encre, je décide d’appeler le centre. Je tombe sur un monsieur très poli, je me présente et il me répond : « Eh bien ! Moi, Madame, je suis le chef de centre, je réponds au téléphone parce qu’aujourd’hui, même ma secrétaire est en grève ».

La deuxième chance, c’est la période historique, le climat revendicatif extrêmement stimulant qui a précédé  et suivi 1968.

Les femmes et leur état d’esprit du moment sont la troisième chance. L’expansion des centres de chèques est contemporaine d’une modification sociale de la France : les femmes vont au lycée, elles ont le brevet et le bac, le tertiaire explose, elles viennent travailler dans les grandes villes.

Dans les années 1950, on a affaire à des femmes qui sont différentes de leur mères, elles ont devant elles une vie de travail. Les modes de vie changent : elles veulent le confort ménager, la voiture, partir en vacances. Pour cela les couples ont besoin de deux salaires. C’est dans ces années là que naissent les revendications du mieux vivre au travail et celles concernant le hors travail, la garde des enfants comme la maîtrise de la fécondité. C’est nouveau et ça ira en s’amplifiant dans les années 1960 et la naissance des organisations féministes.

Quatrième chance : au sein des syndicats départementaux CGT des PTT, nous avions des commissions féminines  et la plupart du temps les animatrices étaient des militantes des Chèques, bien intégrées dans leurs sections syndicales et qui amenaient les problèmes des femmes dans leur globalité. C’est une conception très positive qui explique beaucoup de succès.

Mais avant les acquis il y a eu la résistance de l’administration ?

Ah ! Oui ! Au départ, avec leurs ambitions de faire des économies de toute nature, les responsables du ministère refusent tout. Ils ont commencé à céder à l’atelier de saisie de Rouen-Chèques et ils ont eu tellement peur qu’ils ont répercuté les acquis sur les petits centres qui ont suivi. Après est arrivé 1968 qui a amélioré tous les acquis et avec les luttes, petit à petit, nous avons décroché un samedi sur deux, puis trois. La grande amélioration sur les horaires s’est produite quand la gestion informatique a basculé en nuit pour tous les personnels qui étaient  autour de l’ordinateur.

On mesure l’importance du rapport de force. Pour lui donner corps, il a sans doute fallu une grande dose de discussion et de démocratie. Comment faisiez-vous pour y parvenir ?

Nous tenions, tous les ans, une réunion des principales responsables des centres de chèques pour échanger les expériences. Il y avait aussi, dans les centres qui allaient être automatisés, des journées d’étude pour les militantes, la fédération y apportait toute l’expérience acquise ailleurs. Enfin les militantes réunissaient les syndiquées, puis elles allaient dans les services.

Les horaires de travail ont beaucoup joué du point de vue de la démocratie. Ils ont donné lieu à des discussions passionnées pendant des jours et des jours. Il y avait des contre-propositions permanentes aussi nombreuses que les besoins si différents d’une femme à l’autre. Les actions ne se résumaient pas à la grève, il y a eu des délégations de masse, des pétitions.

Je me souviens qu’à Marseille, elles avaient mis les revendications en chansons et allaient chanter sous les fenêtres du chef de centre. A Nantes, elles ont fait dix-huit grèves. Il y a eu tout un remue-ménage permanent.

Toutes n’ont pas eu satisfaction, mais au bout il y avait 132 types d’horaires, ce qui déplaisait aux directeurs généraux.

Cette inventivité est à relever, d’habitude quand on parle de syndicalisme de cette époque, on dit que ça marchait au « coup de sifflet ».

Je n’ai jamais vécu ce syndicalisme là. Aux Chèques postaux, il fallait qu’elles soient à la fois convaincues sur l’objectif revendicatif et sur la forme d’action. Après, il y avait discussion sur le jour, la date, l’heure. Alors l’unité se faisait, les actions de services et les grèves locales ont toujours été le fruit d’un grand consensus parmi le personnel. Faire jouer la démocratie était facile. Je me souviens d’avoir prévu une journée de réunions à Lille-chèques, le chef de centre ne voulait pas nous donner de salle et nous interdisait d’aller dans les services. Du coup, le personnel est venu à notre rencontre : tout le centre était dans les escaliers et les halls.

J’imagine que ce harcèlement de luttes avait des conséquences pour les titulaires de comptes. Aviez-vous un souci d’information à leur égard ?

Avec les syndicats départementaux, les militantes avaient le souci de contacter la presse locale. Pour ma part la fédération s’est adressée aux usagers.

Le gouvernement n’avait plus d’ambitions pour le développement des CCP, il ne misait que sur les banques. Au lieu de rechercher une connaissance fine des besoins des usagers pour mieux y répondre, les dirigeants de la Poste ne pensaient qu’à imiter les banques. A notre revendication d’un grand service public doté de moyens, ils répondaient ne pas vouloir faire des Chèques postaux, la banque des pauvres.

Comment ça s’est passé dans la fédération CGT des PTT; Avais-tu les moyens de travailler ?

 Nous étions insuffisamment organisés dans les services féminins, nous avions pris la décision de parvenir absolument à progresser.

Chacun a compris qu’aux Chèques, avec cette automatisation, il se passait quelque chose d’important. Aussi, dès le départ, j’ai eu les moyens pour organiser les réunions, aller dans les centres, sortir du matériel.

Le retour sur investissement a été immédiat. Certains camarades en ont été surpris. Très vite nous avons recruté et amélioré notre audience aux commissions administratives paritaires.

En 1971, la CGT obtient 9969 voix, la CFDT 8148, FO 6593. En 1977, 29% des adhésions à la fédération sont des femmes. Dans ces résultats ;la volonté politique de la fédération a beaucoup compté ainsi que le travail, dans les centres, de femmes dirigeantes prodigieuses sans lesquelles rien n’aurait été possible.

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Texte extrait du livre de Sylviane Mangiapane « Les filles des Chèques postaux - Contribution à l’histoire du syndicalisme PTT – 1945-1978 » (Annexe 1) — le Temps des Cerises éditeurs, et l’Institut d’Histoire sociale de la CGT PTT, 2003

 

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