Fil Rouge N°2 (1998)
Quand une “Union Locale” fête ses 90 ans
Les fondations de l’Union Locale CGT du Havre
Par Albert Perrot
La création de l’Union Locale CGT du Havre en 1907 n’est pas le fruit d’une génération spontanée. Elle est l’aboutissement de multiples actions, de luttes souvent très dures, du travail opiniâtre de l’organisation des travailleurs.
C’est pourquoi il était juste que soit fêtée cette création de l’Union Locale, 90 ans après.
A cette occasion, l’Union Locale a organisé diverses manifestations pour fêter l’événement:
Un salon d’art contemporain avec la participation de 13 peintres et 4 sculpteurs,
4 forums sur:
“La CGT au Havre, son histoire”
“La jeunesse et le syndicalisme”
“La santé et la protection sociale”
“Les questions d’aujourd’hui”
Cet événement a aussi été marqué par des distributions de tracts en direction des jeunes (lycées, universités). Un repas convivial a clos ces festivités le 28 novembre 1997. Il a réuni 200 personnes.
A partir du milieu du 19ème siècle, Le Havre va se développer industriellement avec la création de nombreuses entreprises qu’on appellera “les Méridionaux du Nord” .
A la naissance de ce prolétariat tout neuf, les idées anarchistes seront dominantes et vont imprégner fortement le mouvement syndical.
Les militants des premiers syndicats seront pour la plupart des anarchistes libertaires.
Ce prolétariat va subir de plein fouet une exploitation souvent féroce de la part des patrons: conditions de vie pénibles, souvent misérables, conditions de travail très dures avec de longues journées de travail, sans oublier le travail des enfants.
Sous le second empire, entre 1868-1870, une vague de grèves secoue Le Havre avec pour objectif un salaire journalier de 5 francs et, déjà la réduction du temps de travail.
Le 31 mars 1870, la totalité des ouvriers métallurgistes fait grève pour la journée de 10 heures. Ils obtiennent satisfaction.
Après la Commune de Paris, une répression sauvage s’abat sur les travailleurs, étouffant toute possibilité d’organisation. Des épidémies de rage et de choléra, de 1871 à 1873, aggravent la misère, sèment la mort par centaines.
Il faut attendre plusieurs années pour voir surgir la première forme d’organisation syndicale. Elle se réalisera sous l’impulsion d’André Le Lyonnais, personnage quelque peu ambigu, appelé “Le Petit Mirabeau”, ou “le Petit Gambetta”, surnom dû à ses talents d’orateur et à son aspect physique. Les conceptions mises en avant par André Le Lyonnais sont avant tout celles de la conciliation, de l’entente, de l’arbitrage pour résoudre les conflits, le refus de la grève.
Il veut faire des syndicats des défenseurs de la République et fait confiance au suffrage universel. C’est dans ces conditions que sera crée le 1er janvier 1877 le premier véritable syndicat havrais sous l’appellation de “Chambre Syndicale des Ouvriers Métallurgistes Réunis du Havre”; son secrétaire s’appelle Reine. Elle compte au départ 150 membres, chiffre doublé en 1 mois, avec 300 membres en février. Son siège social est 32 rue Franklin.
Ses fondateurs mettent en avant “la concertation” et “l’éducation” comme l’indique l’article 2 des statuts:
“Le but de la société est de représenter et défendre les intérêts de la corporation. Fonder un enseignement professionnel, théorique. Fonder une caisse de prévoyance et prêts gratuits. Traiter les questions de salaires, cause des grandes dissidences entre patrons et ouvriers et qui disparaîtront dès que l’on pourra en référer à l’appréciation juste et équitable du syndicat”.
Les années 1878-1880 verront une véritable flambée syndicale avec la création de multiples Chambres Syndicales correspondant aux différents corps de métiers. En novembre 1880, 15 chambres syndicales sont recensées au Havre.
Le Congrès National Ouvrier du Havre qui s’ouvre le 14 novembre 1880 sera un congrès très important, où vont s’affronter le courant réformiste avec Le Lyonnais à sa tête et le courant révolutionnaire représenté par les collectivistes et anarchistes révolutionnaires.
Le Lyonnais fait tout pour réduire la représentation du courant révolutionnaire en fixant à 25 le nombre d’adhérents pour être représenté au congrès. A l’ouverture du congrès, l’atmosphère est houleuse, c’est un véritable tollé qui va provoquer la scission en deux congrès: le premier qui se tient à Franklin rassemble les tenants du courant réformiste, le second qui se tient dans la salle de l’Union Lyrique rassemble les représentants du courant révolutionnaire. A cours de débats passionnés , parfois tumultueux, les congressistes révolutionnaires adoptent le programme que Marx a personnellement aidé à élaborer: appropriation du sol, du sous-sol et des instruments de travail, journée de travail de 8 heures, égalité de l’homme et de la femme, instruction laïque et gratuite, participation aux élections avec un programme minimum. Ils font leur la devise de l’internationale: “l’affranchissement des travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes”.
Le congrès du Havre constitue ainsi une étape décisive marquant la naissance du “premier véritable mouvement ouvrier en France” (K. Marx).
Les travailleurs renforcent leur organisation en créant la Fédération des Chambres syndicales en 1880.
Le 22 janvier 1888, une des grandes figures de la Commune de Paris, Louise Michel, celle que l’on surnomme “La Vierge Rouge” tient 2 meetings au Havre, l’un au théatre de” la gaîté, l’autre à la salle de l’Elysée où elle est l’objet d’une tentative d’assassinat. Ce sont là des moments forts pour les anarchistes révolutionnaires.
Sous la pression de la Fédération des Chambres Syndicales, la municipalité du Havre décide d’ouvrir une Bourse du Travail, avec son siège au Cercle Franklin. L’inauguration de cette première Bourse du Travail, le 29 avril 1898, sera particulièrement houleuse.
Le président de cette Bourse du Travail sera Charles Marck du Syndicat du Port.
Trois ans plus tard, à la suite d’incidents pendant le 1er mai 1901, elle sera chassée de Franklin.
Une “Maison du Peuple” est alors ouverte rue Lemaistre.
Le début du siècle, l’année 1900, connaît une véritable explosion sociale d’avril à septembre avec une succession de grèves très dures. Au total 10 000 grévistes vont lutter pour leurs revendications:
grève des terrassiers qui durera 60 jours.
grève des matelots de la Compagnie Générale Transatlantique qui, malgré la répression et grâce à la solidarité des ouvriers du port, obtiendront des augmentations de salaires.
grève des métallurgistes de la Constructuion Navale: Caillard, Duchesne, Forges et Chantiers de la Méditerannée (plus de 7 000 grévistes) se soldera par un échec.
Forts de leurs luttes, riches de leurs expérience, de leurs succès et aussi de leurs échecs, déjà solidement organisés, les travailleurs du Havre vont franchir une nouvelle étape en 1907.
En effet, le 17 novembre 1907, lors d’un congrès des chambres syndicales du Havre est créée: “L’Union des Syndicats du Havre et de la Région”. Elle regroupe 46 syndicats et 13 700 adhérents. Ce chiffre traduit bien son importance.
Les principales Chambres Syndicales adhérentes sont: Les Ports et Docks, le Bâtiment, la Métallurgie, les Gens de Mer.
Soucieuse d’une solide information des travailleurs, l’Union Locale va se doter d’un outil d’information: ce sera le journal “Vérités”, organe social, économique, scientifique des syndicats ouvriers, coopératives et universités populaires, fondé et dirigé par des travailleurs organisés du Havre.
En 1907, il est édité à 1 millier d’exemplaires, et, prouvant sa vitalité, il sort en format double. En 1908, il sort en 2000 exemplaires.
Pour assurer la sortie de ce journal en toute indépendance, l’Union Locale créée en 1909 une imprimerie coopérative, avec des actions individuelles de 25 francs. “L’imprimerie de l’Union” s’installera au fond d’une cour au 105 de la rue Hélène.
En 1908, l’Union Locale fonde une clinique et un dispensaire pour blessés du travail, destinés aux syndiqués CGT, grâce au concours du docteur -chirurgien Houdeville qui en assurera la direction. Cette clinique sera en activité jusqu’en juin1914 où elle sera contrainte de fermer à la suite de difficultés.
Pour assurer son fonctionnement et son action dans de bonnes conditions, l’Union Locale a besoin de moyens et, notamment, d’une grande salle de réunions pour rassembler syndiqués et travailleurs. La Bourse du Travail, chassée de Franklin en 1901, est installée rue Turenne dans des locaux trop petits et inconfortables. Elle décide de louer les locaux de l’ancien théatre de l’Ambigu au Rond-Point, occupés par une maison d’ameublement “l’Etoile du Nord”.
Le bâtiment est partagé en deux parties. La première partie sera occupée par la Bourse du Travail devenant ainsi le siège de l’Union Locale des Syndicats Ouvriers. Elle dispose de 22 bureaux sur 3 étages.
L’autre partie appelée “Maison du Peuple” est constituée d’une brasserie et surtout d’une grande salle pouvant accueillir 1 200 à 1 500 personnes et servir à des réunions ou à des spectacles.
Les 9 et 10 novembre 1907 seront jours de liesse à l’occasion de l’inauguration de la “Maison du Peuple”. C’est Renaudel, administrateur de l’Humanité qui préside à cette inauguration. Hommes, femmes, jeunes, enfants, c’est toute une foule qui se presse pour visiter cette maison qui est la leur. Le meeting du samedi fera salle comble.
Belle réponse à ceux qui avaient chassé les organisations syndicales de Franklin et tentaient de les étrangler. Situées en plein coeur de la ville, cette Maison du Peuple et cette Bourse du Travail allaient devenir un foyer extrêmement actif et vivant, fortifiant les travailleurs dans leurs moyens d’action pour défendre leurs revendications.
Depuis, l’Union Locale a franchi de nouvelles étapes.
Riche de ses 90 ans d’expérience, forte de toute cette histoire si dense, l’Union Locale CGT du Havre se tourne vers l’avenir avec confiance et optimisme, pour continuer l’action et la lutte des travailleurs pour la défense de leurs droits, de leurs revendications.
Plus que jamais, sa jeunesse lui donne l’esprit de conquête.