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Les friches Caillard au Havre

Sauver la mémoire du quartier industriel Saint Nicolas de l’Eure au Havre

Par Marius Bastide  

Le plan de rénovation du quartier de l’Eure.

En début d’année 2006, les bulldozers et pelleteuses sont entrés en action, la place est libre maintenant pour les travaux de nivellement et de voierie de la rue Aviateur Guérin aux quais de la Marne et de la Saône, pour édifier le nouvel ensemble immobilier.

C’est le 7 mars 2005 que la Municipalité du Havre a présenté le projet de restructuration de ces friches industrielles de l’ancienne Société Caillard.

Déjà sur le quai Frissard et près du Bassin Paul Vatine les anciens Docks ont été transformés en salles de Sport, de Spectacle et d’Exposition : les docks Océane et les Docks Café.

A quelques encablures va être édifié « Odyssey 21 » le Centre de la Mer et du développement durable, avec ses installations ludiques et son centre commercial « les Docks Vauban ». Le 17 février 2006, la Commission Départementale de l’Équipement Commercial a donné son autorisation à ce projet phare de la Municipalité.

Cette rénovation urbaine s’inscrit dans des perspectives à moyen terme de développement du centre ville vers les quartiers sud. Déjà de grands travaux ont été engagés à l’entrée du Havre au niveau des gares avec la construction d’hôtels, de buildings à vocation commerciale dont le nouveau siège de la Chambre de Commerce.

Le quartier Saint Nicolas de l’Eure est entré  dans une profonde mutation. Déjà, suite au transfert des Dépôts et Ateliers de la Compagnie des Autobus de la Communauté d’Agglomération, la Clinique des Ormeaux a construit, sur ces terrains de la rue Marceau, ses nouvelles installations.

L’actuel plan de rénovation comporte la construction de 442 logements, un tiers en locatif dont 40 en locatif social. Une résidence médicalisée  de personnes âgées de 105 chambres s’installera à l’angle des rues Pierre Guinard et Louis Eudier. Un jardin fluvial sera aménagé aux quais de la Marne et de la Saône. Divers bureaux et laboratoires viendront redonner vie à trois bâtiments des anciennes usines Caillard.

On attend environ 1500 nouveaux résidents. Les investissements privés s’élèvent à 100 millions d’euros. Les collectivités engagent un apport de 21 millions.

Les habitants sont satisfaits de la disparition des friches mais  redoutent que les promoteurs de ces constructions de standing étendent leurs ambitions au détriment de l’habitat traditionnel du quartier. Déjà pour le futur parc immobilier, le prix du mètre carré s’envole… 3000, 3200 euros… des prix de vente comparables à ceux pratiqués dans les quartiers « cotés » du Havre.

Les élus de l’opposition au Conseil Municipal dénoncent ce projet immobilier qui ne correspond pas aux besoins de logements sociaux pour des familles à revenus modestes.

De fait, même si le projet immobilier actuel, à l’initiative de la Municipalité, inclut 40 logements « sociaux » sur 442 logements neufs, le mouvement est enclenché vers une mutation importante de l’habitat. Ce remodelage du tissu social du quartier aura des répercussions sur la composition du corps électoral local.

Le processus de désindustrialisation de la ville du Havre se poursuit. Dans deux à trois ans, de nouveaux habitants vont s’approprier ces espaces réaménagés. Beaucoup ignoreront que, pendant des décennies, voire un siècle et demi, ce quartier a été le centre des embarquements des marins, de l’embauche des dockers, des allées et venues du millier d’ouvriers de Caillard employés à la construction des grues portuaires et à la réparation des navires.

Puisque les bulldozers n’ont pas attendu pour « faire la une »… Cet article voudrait livrer un premier aperçu sur l’histoire de l’ensemble de ce quartier Saint Nicolas de l’Eure.

Un village de pêcheurs, dit de « Leure » est devenu, en 1852, un « quartier » de la ville du Havre

A grand pas, remontons le passé…

Dès le XIème siècle, sur une crique de l’estuaire, s’est installée une population de pêcheurs, de palétuviers, d’éleveurs de bétail, qui donne naissance au village Saint-Nicolas de Leure.

Avec le développement des activités de négoce des Armateurs rouennais, la crique de Leure devient un relais du Port d’Harfleur. Les navires viennent y décharger leurs denrées sur des « aléges et des forçets » qui se dirigent ensuite vers Harfleur et Rouen.

La fosse de Leure devient un premier chantier naval. En 1517, François 1er  y fera construire une nef de 500 tonneaux

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Sortie des ateliers Caillard

La décision royale de créer, sur une crique plus avant dans l’estuaire, le nouveau Port du « Havre de Grâce » provoque le déclin économique de Leure. De plus, les incursions de la Marine anglaise vont, à plusieurs reprises, piller le petit port côtier. Les terres retournent en grande partie aux marais.

La vocation militaire du Port du Havre, décidée par François 1er est abandonnée au profit des activités de commerce : suppression de l’Arsenal, des corderies… La ville étouffe derrière ses remparts. Le 9 juillet 1852, une loi programme la démolition des fortifications et l’annexion au Havre des terres de Leure, d’Ingouville, du bas-Sanvic et d’une partie de Graville (jusqu’au quartier Sainte-Marie).

Ainsi le village de Leure revit en devenant un quartier du Havre. Il devient le centre du trafic maritime et portuaire du Havre. Les fortifications démolies, l’extension principale de l’activité maritime ne peut se faire qu’en direction du sud.

Après les premiers bassins, du Roy, du Commerce, de la Barre, Vauban… les grands travaux maritimes concernent la création des bassins de l’Eure et Bellot. Puis ce sera le grand bassin de marée accessible aux grands Transatlantiques.

Foyer du marin

Le quartier des marins.

L’ancien village est devenu le rendez-vous des marins des nouveaux  bassins.

C’est un relais d’hébergement lors des embarquements. Des « taxis-bretons » assurent le transport groupé et l’acheminement des navigants jusqu’à leur domicile familial en Bretagne.

Le Syndicat CGT des Marins y a installé son siège et tient ses permanences rue Pierre Guinard.

Cafés, bars et restaurants sont nombreux et souvent fréquentés. Ce sont des lieux de convivialité, de rencontres de « pays », de passe-temps lors des escales. Des noms sont encore dans les mémoires : les Grands Bassins, Marie-Louise, le syndicat, le Jean Bart…

Les Œuvres sociales de la marine feront édifier, Boulevard Amiral Mouchez, un bâtiment important dénommé « Foyer du Marin ». Plus tard, cette structure d’accueil servira au logement de travailleurs immigrés. Aujourd’hui, au Centre-ville, au quartier des Halles, la « Maison des Gens de Mer » poursuit des activités au service des navigants.

De nombreuses familles bretonnes s’installeront à Saint-Nicolas. Un ensemble immobilier, dit aujourd’hui « Le Foyer Belge », à l’angle des rues actuelles de Prony et Louis Eudier, servira à l’hébergement de ces nouveaux havrais.

Après le quartier Saint-François, Saint-Nicolas de l’Eure, peu à peu, perdra sa réputation, souvent surfaite, de marins en goguette à la recherche d’un embarquement. Adieu le folklore… Les Compagnies Maritimes se sont attachées leur personnel, les embauches sont programmées, les bureaux gèrent les embarquements au rythme de plus en plus régulier des navires.

La CGT du milieu maritime développe son action syndicale au niveau des grandes sociétés comme la Compagnie Générale Transatlantique, les Chargeurs Réunis, Worms, la Péninsulaire… La structure syndicale saura s’adapter pour répondre aux besoins spécifiques de chaque catégorie de navigants et de tous niveaux hiérarchiques. Syndicats de marins du Pont, de la Machine, du personnel civil si nombreux sur les paquebots, Syndicats des Officiers, Pont Machine, Syndicat du Personnel Sédentaire (services et ateliers d’entretien des Compagnies). Des Conventions Collectives sur le statut des gens de mer ont été négociées grâce aux luttes syndicales. La profession de navigant, malgré ses astreintes, restera très attractive jusqu’aux années 1975 – 1980.

Depuis, la situation est toute autre. Le désarmement du « France » et sa mise au garage au quai de « l’oubli » ont sonné le glas du transport des passagers sur les lignes transatlantiques.

La Marine Marchande Française, en prélude au déferlement du mouvement de « mondialisation libérale » qui atteint, aujourd’hui, tous les secteurs de l’Économie, a perdu son identité nationale. Rares sont les navires sous Pavillon Français ou assimilés. Les marins sont d’origine étrangère. Seul l’encadrement supérieur (trois personnes ?) est assuré par des ressortissants français ou européens.

Les Navires accostent à l’est de l’ancien Port, près des nouveaux espaces portuaires accessibles aux porte-conteneurs.

Les marins, lors des escales, n’ont plus le temps de venir « en ville ». De plus, on voudrait les utiliser comme main d’œuvre sur les opérations portuaires, lors des escales.

Il est bien fini le temps des marins du quartier de l’Eure.

Diverses vues du quartier de l'Eure vers 1900

Le quartier des Dockers

Du Pont 3, quai de la Marne, au quai de la Saône et à la rue Marceau, nous sommes au cœur du passé des Dockers.

Plusieurs écrits ou films ont évoqué les dures conditions de travail des ouvriers des quais. Armand Salacrou créera la pièce de théâtre « Boulevard Durand » relatant le procès du secrétaire général du syndicat des dockers charbonniers. Plus récemment, Philippe Huet, dans son livre  « Les quais de la Colère » rappellera ces événements et les luttes syndicales du début du vingtième siècle.

On ne peut parler des dockers du quartier de l’Eure sans évoquer la figure du militant syndical, Jules Durand.

Le 20 février 2006, au cimetière Sainte-Marie, pour les 80 ans de sa mort, devant la stèle érigée en son hommage, les syndicats des Ports et Docks et l’Union Locale CGT du Havre ont célébré la mémoire de ce militant poursuivi par la haine patronale, victime de manœuvres de « jaunes » briseurs de grève, de campagnes de presse, de machination politico judiciaires.

Suite à la mort d’un provocateur lors d’une rixe, Jules Durand est accusé d’avoir appelé au meurtre au cours d’une prise de parole. Il est condamné le 25 novembre 1910 à être décapité. Suite à la grève générale au Havre le 28 novembre 1910, aux mouvements de solidarité des dockers anglais et américains, à la protestation générale initiée par la ligue des Droits de l’Homme, Durand est libéré le 15 février 1911. Il sera totalement innocenté le 18 juin 1918. Mais Jules Durand n’a pu supporter son injuste condamnation et son internement. Il sera maintenu 40 jours en camisole de force, il mourra le 20 février 1926 à l’asile de Rouen (Quatre Mares).

C’était un militant qui habitait au quartier de l’Eure, quai d la Saône. Les dockers n’oublient pas ces années noires. Mais le pouvoir des grandes sociétés du Négoce, en éliminant un militant, n’ont pu écraser le mouvement d’émancipation des travailleurs des quais.

Les divers syndicats CGT des nombreuses corporations portuaires vont progressivement se rassembler en un syndicat unifié qui peut parler d’une seule voix face aux Employeurs de Main-d’œuvre.

La puissance syndicale s’impliquera dans la gestion de la profession. Un statut particulier est mis en place, pour les relations Employeurs et Syndicat CGT, en ce qui concerne les embauches, l’organisation du travail, les contentieux collectifs et individuels, les rémunérations, voire la participation aux  résultats bénéficiaires du trafic marchand mensuel.

La cloche des dockers en 2006


C’est au Pont 3, place Léon Carlier, que se déroulent les embauches journalières des dockers. Au tintement de la cloche, les bordées sont constituées en fonction du trafic. Les petits chefs ont leurs habitués. La journée de travail est souvent modulée en deux « shifts » (deux équipes ». des conventions particulières prévoient que le shift peut être « pété en deux », fractionné en deux sous équipes, quand le travail est urgent et exige un rendement maximum. Alors, on tire au sort qui sera de la première ou de la deuxième bordée. Tant mieux pour la seconde équipe si la première a bien avancé le déchargement. Tant pis pour elle si des imprévus sont intervenus. Il faudra « aller à finir ».

Quand est terminée l’embauche des « professionnels », si besoin est, on embauche des dockers occasionnels. Il s’agit de personnes qui désirent devenir, un jour des « pros ». Ce sont des gens qui complètent ainsi leurs revenus. D’autres vivent de ces embauches aléatoires au jour le jour.

Chaque matin, au Pont 3, se déroulait un spectacle singulier. C’était une marée de vélos couchés sur la chaussée qui s’étalait du quai de la Marne à la rue Amiral Courbet devant les portes de l’Atelier de Mécanique de l’Usine 1 Caillard.

Quand la vague de vélos des 2 000 dockers s’était retirée, arrivait la nouvelle vague des vélos des Métallurgistes, des 1 000 employés des usines Caillard.

Cette organisation collective d’embauche des ouvriers des quais a représenté une étape importante de la normalisation de la profession, en comparaison de pratiques antérieures quand le recrutement et les remises de payes étaient effectués par des petits chefs dans les café du quai de la Saône.

Le Centre d’embauche sera déplacé du Pont 3 vers l’est du quartier, au niveau de la rue Marceau. Un hall important est édifié ; le « Bureau Central de la Main d’œuvre » (BCMO), dénommé familièrement « le parapluie ». Désormais, on embauche à couvert : les surfaces sont suffisantes pour mettre chacun à l’abri des intempéries. En annexe au BCMO sont adjoints des services administratifs dont la  Caisse des Congés Payés. Les temps ont changé ; finie la marée des bicyclettes, les dockers garent leurs voitures sur un vaste parking et dans les rues adjacentes.

Face au BCMO est construit, rue du Général Chanzy, l’immeuble du Syndicat, des Activités Sociales au service des dockers, restaurant, lieux d’accueil, salles de réunions…

Le célèbre Café de la Métallurgie et de la Marine qui devrait être préservé dans la rénovation du quartier.

Le trafic du Port du Havre connaîtra de profondes mutations. Les transports en vrac vont diminuer, réservés au pétrole, aux minerais, aux produits chimiques, aux céréales… Les nouveaux conditionnements des marchandises et leur manutention de plus en plus mécanisée, modifient les conditions de travail, font reculer la pénibilité, mais réduisent le nombre des emplois.

Ces changements sont amplifiés avec la généralisation  de la conteneurisation du transport maritime. Le stockage des marchandises n’est plus effectué sous des hangars. Les conteneurs sont gérés sur des surfaces en plein air qui vont se multiplier au détriment des anciens docks devenus obsolètes.

Pour ce nouveau trafic maritime, le Port Autonome engagera deux grandes vagues d’investissements. Une première étape consistera à créer des « Terminaux » de déchargement pour les navires porte-conteneurs, au niveau du quartier des Neiges, puis d’étendre ces installations en construisant la Grande Ecluse François 1er qui ouvre la voie vers de nouveaux bassins à niveaux constants, le long du Grand Canal Maritime. Compte tenu du gigantisme des nouveaux porte-conteneurs et des astreintes liées au franchissement de l’Ecluse, le Port a engagé la construction de Port 2000, un nouveau bassin de marée gagné sur l’estuaire. Les premiers quais sont terminés et seront progressivement mis en service au cours de l’année 2006 et les suivantes.

Les évolutions du Port ont provoqué le déplacement des lieux de travail des dockers. La profession s’est réorganisée en fonction de ces nouvelles réalités. Des luttes syndicales importantes ont fait face aux tentatives patronales de mettre fin au statut des dockers.

Un accord est intervenu en 1992 qui met fin au Bureau Central de la Main d’œuvre et rattache chaque docker à une entreprise de manutention portuaire. Le Syndicat a négocié le maintien de structures communes à la profession et la gestion centralisée des activités sociales. Le Hall du BCMO rue Marceau prolongée est devenu une salle de sport. Le foyer des dockers, rue Général Chanzy, est toujours le siège du syndicat et des activités sociales.

Ainsi sont tournées les pages d’histoire écrites au quartier de l’Eure par les ouvriers du port. L’avenir des 2 000 travailleurs se déroule sur les terminaux et sur Port 2000. Les luttes syndicales se poursuivent, en particulier contre les directives libérales de Bruxelles. Les mouvements de grève se mènent aujourd’hui, en commun avec les dockers de la Communauté Européenne et au niveau mondial.

Le quartier de l’Eure, dès 1850, devient une pépinière d’entreprises artisanales et industrielles.

Le développement des activités maritimes et portuaires au quartier de l’Eure créé un « appel d’air » pour l’installation de nombreuses sur des terrains occupés précédemment par des pêcheurs et des ostréiculteurs.

Ces terrains disponibles se situent à l’est du Bassin Bellot, dans un quadrilatère délimité par la rue du Dock, les quais  Bellot, de la Seine, de la Marne et des rues Amiral Courbet, François Arago, Joseph Périer (Louis Eudier).

La rue Amiral Courbet fixe, alors, la limite entre le centre commerçant de l’ancien village de Leure et ces terrains à future destination industrielle.

Parmi ces entreprises venues s’installer, certaines vont gagner de prochains chapitres de ce mémoire. Il serait regrettable de laisser dans l’oubli toutes les autres initiatives artisanales qui témoignent, sur le quartier de l’Eure de l’essor extraordinaire des industries à partir de 1850.

La recension, pour l’arrondissement du Havre, établie par la Chambre Syndicale Patronale de la Métallurgie, nous permet d’établir la liste des ateliers venus s’installer sur ce quartier de l’Eure.

Selon l’ordre chronologique, autant que possible, voici un aperçu un peu didactique de cette « pépinière d’entreprise », au quartier de l’Eure.

1853 - Les Ateliers Nillus ouvrent sur la partie est du bassin de Leure un chantier pour le montage des « coques en fer », nouvelle technique remplaçant les coques traditionnelles en bois des navires. Le chantier verra la construction de 25 navires. En 1860, 200 personnes travaillent au Chantier. En 1870, les activités cessent. Suite à l’achèvement du bassin de Leure, on construit le quai Renaud.

1858 - La Société des Chantiers et Ateliers du Canal Vauban (Mazeline) acquiert un terrain dans la partie est du bassin de Leure et y effectuera jusqu’en 1872 le montage de « coque en fer ». Cette société est de venue « Compagnie Anonyme des Chantiers et Ateliers de l’Océan. En 1868, elle obtient le droit de construire des navires, à l’est du bassin de Leure. En 1872, la société est rachetée par les Forges et Chantiers de la Méditerranée. 210 personnes sur le chantier du bassin de Leure. Ce chantier sera transféré pour créer le « Chantier de Graville » au site des Neiges.

1878 - La société Victor Dubus, après un transfert rue de Fleurus, s’installe au quartier de Leure, rue du Dock. Cette entreprise a repris les activités mécaniques d’Achile Louvet qui a créé en 1850 un atelier de mécanique, boulevard d’Ingouville. La raison sociale, en 1887, devient « Société Dubus et A. Dupont ». En 1914, la Société deviendra «  SA Dupont » avec un effectif de 100 personnes. Les ateliers construisent des machines pour l’industrie et font de la réparation navale. En 1918, la société « SA Dupont » cèdera ses ateliers à la Maison « Beliard Crighton et Compagnie ».

Les usines Caillard dans le quartier de l'Eure

1883 - La Société Caillard, fondée en 1859, s’installe sur l’ancien Parc à Huîtres, quai de la Marne. Transfert de la chaudronnerie Commauche rue du Dock, entreprise qui avait en 1880 repris l’ancienne forge Cailly et David, 12, cours de la République, près de la Gare.

1884 - La Société Delhomme et Compagnie s’installe dans l’Eure, 48 – 50, Rue Joseph Périer et 40 – 44, Rue du Dock (Aviateur Guérin). En 1872, Delhomme avait racheté un petit atelier à Saint-François, rue de Percanville. La maison est spécialisée dans la construction de chaudières marines, d’appareils de cuisine pour les navires. Fournisseur de la Marine Nationale, des grands chantiers de construction, réparateur de navires, Delhomme et Compagnie sera repris par la maison Beliard Crighton et compagnie en 1924.

1885 - La Compagnie Maritime des Chargeurs Réunis qui dispose de Services techniques rue de l’Église acquiert des terrains rue du Dock. Là seront installés les services de maintenance et de réparation des navires  des « Chargeurs ».

1886 - Fondation de la Maison Halm, rue Amiral Courbet, entreprise de voilerie, confection de bâches. Après 1945, la production s’oriente vers les profilés métalliques et tout types de glissières à biles. Devenue la société Chambrelan, elle s’installe en 1960 rue Joseph Périer    

1895 - Création de la Chaudronnerie Samson, rue du Dock.

1914 - La Société Belge de réparation de navires, Béliard Crighton et Compagnie s’installe 50, Rue Aviateur Guérin avec des ateliers rue Joseph Périer, François Arago, Amiral Courber. En 1918, elle reprend les ateliers « A. Dupont » et en 1924 les Ateliers « Delhomme ». Après la guerre de 1914-1918, Béliard reprend ses activités en Belgique mais conserve un siège social en France et des ateliers au Havre et à Dunkerque. Avec son millier d’employés au Havre, Béliard est devenu un sérieux concurrent de Caillard en réparation navale. En 1957, des accords de fusion-absorption conduiront à la suppression des Ateliers Béliard Crighton et Cie au Havre

1920 - Création de la Fonderie Simmoneau spécialisée en bronze phosphoreux, 35bis – 39 – 43, Rue Amiral Courbet. Reprise en 1933 par la « Fonderie du Havre et de Normandie » elle occupait 60 à 70 personnes. Elle sera fermée en 1956.

1921 - Fondation de la Maison Maubisson, 34, Rue de Prony, chaudronnerie, tôlerie, réservoirs à mazout et à air comprimé.

1948 - La SARL « Anciens Etablissements Bichet » est transférée 48, Rue Marceau. Société de chaudronnerie et de travaux pour la Marine, Emise Planchais l’avait créé en 1895. En 1902, les frères Delozanne l’avaient reprise. En 1920, Ed. H. Bichet la rachète. Cette société sera transférée au 15, Boulevard Jules Durand et sera mise en règlement judiciaire en 1980

1952 - André Lepetit créé une SARL pour la réparation des moteurs diesel et groupe électrogènes de bord. Aujourd’hui la SA Lepetit dispose d’un réseau de distribution et d’agents spécialisés. La société a été transférée 169, Boulevard de Strasbourg.

1956 - La Société SACEM monte des ateliers de construction d’ascenseurs, rue Aviateur Guérin. En 1970, les activités cesseront et une partie du personnel sera repris par la Société Caillard. Dans les locaux, SORETEX va engager des activités de décaféinisation. Elle deviendra l’usine havraise de Hag-Coffex du Groupe Kraft-Foods-France, filiale du géant américain de l’alimentation et de la boisson « Kraft-Foods ». En octobre 2005, la décision est prise de fermer trois sites de production, dont le Havre.

1979 - Création de la Société Normande de Protection des Métaux SNPM spécialisée dans les traitements de surface des métaux, 30, Rue Joseph Périer. Sur les friches de Caillard, viendront s’implanter des services de la Ville, des sociétés de transports, des activités d’emballage et de caisserie.

Cette recension du passé industriel du quartier de l’Eure concerne surtout des entreprises de la métallurgie. Il faudrait évoquer d’autres secteurs d’activités :

Rue Amiral Courbet subsiste encore le fronton de la société « Leraitre et Cahierre » qui deviendra, pendant de nombreuses années, le correspondant officiel de la gare SNCF marchandises. La maison est implantée aujourd’hui au Hameau de Gournay en Caux sous la raison sociale « Transport Leraitre ».

De nombreuses entreprises avaient leur service de transport. Caillard livrait sur les quais ses matériels lourds, sur des remorques hippomobiles. En 1939, à la déclaration de  guerre, le dernier cheval de Caillard, « Bijou », a fait l’objet d’un ordre de réquisition des pouvoirs publics. Beaucoup de transport s’effectuait sur des charrettes à bras. Avec le transport automobile, plusieurs garages sont créés pour l’entretien et la réparation des véhicules et des clarks.

Il ne faut pas oublier de citer « Les Transports Masselin » spécialisés dans la manutention et les convoyages exceptionnels. Cette société était devenue la maison de confiance de Caillard pour l’acheminement des grues ou éléments de portiques sur le réseau routier ou sur les quais pour l’Afrique ou d’autres destinations. En 1980, suite à la liquidation judiciaire de Caillard, l’avenir de la société sera remis en question.

Les artisans locaux vont, eux aussi, bénéficier de cette expansion industrielle. Les allées et venues journalières de milliers de travailleurs souvent « postés », à horaires variables, ou appelés à poursuivre leur tâche au-delà de l’horaire affiché, vont « faire marcher » les commerces locaux : cafés, boulangeries, charcuteries…

Les entreprises elles-mêmes s’adressent à ces commerçants. Quand les travaux à bord des navires imposent une prolongation d’horaire, c’est la maîtrise qui va commander les casse-croûtes. Il y a intérêt à ne pas mégoter sur les rations. Quand ces prolongations du temps de travail engagent des horaires de nuit, la Direction doit commander des « repas chauds » qui sont livrés à bord par les commerçants locaux.

D’une manière habituelle, pendant de nombreuses années, des commerces « de bouche » vont compléter leurs chiffres d’affaires par des livraisons des produits frais pour l’avitaillement des navires, lors des escales. La boulangerie « de la Marine », rue de l’Église, était réputée pour livrer à bord son pain frais, en l’absence du boulanger du navire, en congé. Plus tard, on découvrira les secrets de la congélation et le déclin des »artisans d’escale ».

Local du syndicat des marins

Pour que l’arbre ne cache pas la forêt.

On aurait pu ne pas s’attarder sur le passé du quartier de l’Eure et se limiter à relater l’histoire de la Société Caillard, mais la réalité en aurait été défigurée.

Aussi notoire que fût le renom de la firme havraise, il était important de la situer dans le terreau artisanal local où elle a pris racine et trouvé sa croissance.

Depuis 1883, elle a vécu en osmose avec la vie locale de l’ensemble ouvrier de Saint-Nicolas. Elle en a partagé les heures fastes et  les épreuves des bombardements et de la reconstruction. Le quartier et l’usine avaient tissé tant de liens de solidarité.

Aujourd’hui, les usines, à capitaux anonymes, à raisons sociales changeantes, sont installées sur des zones industrielles. Les travailleurs habitent des cités HLM ou des ensembles pavillonnaires.

Les sociologues ne parlent plus de « quartiers ouvriers » mais de « banlieues populaires ».

Et pourtant, l’histoire de Caillard est bien celle « d’une usine au cœur d’un quartier ».

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