Numéro 8
130e anniversaire de la Commune de Paris
Quelque faits marquant de la période communarde en Seine-Inférieure
Par Guy Décamps
Guy Décamps est l’un des animateurs de l’Association dieppoise des Amis de la Commune de Paris.
Il est membre du Conseil d’Administration de l’Institut CGT d’Histoire Sociale de la fédération des Cheminots.
Ayant travaillé pour une exposition sur la Commune de Paris, vue de Dieppe, il nous avait fait parvenir cet article il y a quelques années, que nous publions bien volontiers, en raison de l’actualité.
L
a Commune de Paris n’a pas éclaté comme un coup de tonnerre dans un ciel serein.Les années 1864 / 1871 constituent, dans l’histoire du mouvement ouvrier français et international, une période décisive suite à la loi du 25 mai 1864 sur les coalitions ouvrières et du 30 mars 1868 sur les chambres syndicales, création des premières chambres syndicales, chambres fédérales, sociétés ouvrières, autant d’acquis obtenus par une classe ouvrière sur un pouvoir impérial qui s’effrite.
L’association Internationale des Travailleurs (A.I.T.) dont le siège est à Londres est un soutien important pour les luttes qui se développent, notamment dans notre département, relié à l’Angleterre par des lignes de navigation.
Vers la fin des années 60, l’A.I.T. est implantée dans des vallées industrielles de la Seine à Rouen, Elbeuf, du Cailly, de l’Austreberthe, à Bolbec, au Havre et dans l’arrondissement de Dieppe, Longueville, Torcy, Saint Nicolas d’Aliermont.
A la même époque, nous relevons pas moins de 27 grèves touchant tous les corps de métiers entre 1868 et 1870 dans la seule région rouennaise.
Le « Cercle d’études économiques », formé fin 1865 par le lithographe Emile Aubry, fut accusé d’être l’instigateur de ces mouvements. Les objectifs de cette association –on disait « société » - sont formulés dans l’avant propos de ses statuts :« (…) la société n’ayant d’autre but que de propager les idées économiques qui font la base de l’organisation et qui peuvent se résumer par ses mots: « GUERRE AUX MONOPOLES », devra aider, moralement et matériellement, chacune des industries qui entretiennent la richesse de notre circonscription à se constituer corporativement en accord avec les lois qui régissent la société moderne… »
Par la suite, ce cercle se ralliera à l’A.I.T. Une des rares publications de l’A.I.T. paraissant à Rouen, était « la Réforme Sociale » ; elle disparaîtra en 1870.
Ce n’est cependant qu’à partir du 4 septembre 1870 que l’AIT se montre en public dans des réunions publiques, à côté de la Démocratie radicale.
A partir de décembre 1870 (le 5 pour Rouen, les 9 et 14 pour Dieppe), la Seine Inférieure fut envahie et occupée par les Prussiens jusqu’au 3 juin pour Dieppe et le 22 juillet pour Rouen. Le Havre ne fut ni conquise ni occupée, l’armistice intervenant avant l’arrivée de l’armée allemande. Le département est donc coupé en deux, avec deux situations différentes.
La situation dans la région rouennaise
Au plébiscite impérial du 8 mai 1870, si le NON obtient 39 % dans l’agglomération rouennaise, il est majoritaire dans la ville.
Rouen est alors une des principales villes industrielles de France (101 000 habitants en 1866) fortement marquée par le textile.
Le 20 mars 1871, le Conseil Général de Seine Inférieure prend position contre la Commune de Paris et demande aux communes de s’opposer à ce qu’il qualifie de « révolte de Paris et de sa population ». Sur les 50 conseillers généraux, 43 signèrent l’appel. Parmi les 7 réfractaires, on comptait quatre radicaux dont Jacques Cord’homme, de Rouen, qui était l’oncle de Guy de Maupassant, et trois havrais dont Peulevet.
Le 24 avril 1871, les membres de la Fédération ouvrière rouennaise et le Comité radical font cause commune au cours d’une assemblée. Ils adoptent un manifeste en faveur de la Commune de Paris.
« Unis dans une fraternelle solidarité pour la revendication des franchises du peuple, et du triomphe de la révolution, les membres de la fédération rouennaise et du comité radical de Seine Inférieure saluent avec enthousiasme l’avènement de la Commune de Paris et adhèrent sans réserve à son programme.
Dans ce duel sanglant de l’autorité contre la souveraineté du peuple, du privilège contre l’équité, alors que les monarchistes ont consommé la criminelle coalition sanctifiée par l’Église, il est bon que Paris sache que, malgré la corruption et la pression administrative, malgré les mensonges et les calomnies d’une presse déloyale, il est, en province, des cœurs qui battent à l’unisson des aspirations de la capitale et partagent ses espérances.
Que la commune de Paris dans son œuvre sans relâche et sans faiblesse sûre que, par toute la France, la démocratie désavoue hautement le gouvernement fratricide de Versailles. La victoire ne sera pas lente à consacrer l’émancipation du peuple et le triomphe de la République.
Vive la Commune– Vive la République. »
Le Préfet, craignant un mouvement révolutionnaire emprisonne les meneurs : Jacques Corpd’homme, Ernest Vaughan, Désiré Frisht, Boulanger, Louis Fossard, Gustave Mondet, Jean-Claude Creusot, Jacques Percheval, Paul Delaporte, Jean-Louis Lécureuil. Les emprisonnés, appelés « Communards » furent jugés à Rouen le 15 novembre 1871.
Émile Aubry est à Paris depuis le 17 mars. Vaughan le remplaçait donc à la tète de l’AIT qui se retrouve ainsi décapitée. Cependant, l’association qui a compté plus de 2000 adhérents dans la région rouennaise essaie de réagir.
Fin avril deux affiches sont collées à Elbeuf, où l’AIT a de nombreux sympathisants :
« République Française – Liberté – Égalité – Fraternité – Citoyens: Comme nous sommes sous la terreur de Versailles, nous vous engageons à ne pas voter. Vive la République, Vive la Commune ».
Et « Citoyens – La police emprisonne nos frères, l’aristocratie d’Elbeuf s’entend avec les versaillais pour égorger nos frères de Paris. Que les sbires tremblent: nous n’avons pas d’arme, faisons la St Barthélemy ».
Un appel à une manifestation est lancée à Darnétal pour le 29 avril. Du coté de Montville et de Fontaine-Le-Bourg, le commissaire de police signale que « des individus se sont présentés dans les ateliers pour détourner les ouvriers de leurs devoirs, et faire de la propagande en faveur de la commune de Paris ».
Cependant, le coup à porté, si bien que la conjonction de l’occupation allemande et de l’arrestation des principaux militants empêche le déploiement de tout soutien à la Commune de Paris.
La situation dans la région dieppoise.
Le Sous-Préfet de Dieppe signale que, à l’exception de Dieppe, où la seule concentration ouvrière est la manufacture des tabacs, fermée par l’occupant en 1870, « dans toute agglomération d’industrie, on rencontre un développement marqué de l’esprit révolutionnaire, et la plupart des ouvriers professent des idées révolutionnaires plus ou moins avancées ».
« Il existerait quelques adhérents » (de l’AIT) à Longueville, Torcy – notamment
Le Petit - se trouvent plusieurs fabriques importantes » (textile, teinture, horlogerie)».« D’autre part, la commune de St Nicolas d’Aliermont a, de tout temps été signalée comme un foyer d’opinions anarchistes. L’on a vu depuis quelques mois plusieurs enterrements civils, et tout donne lieu à supposer que l’AIT y aurait des recrues plus ou moins nombreuses. »
Un événement va retentir dans le ciel dieppois. Le matin du 24 avril 1871, une affiche placardée sur les murs du port de Dieppe signée par six ouvriers de Saint Nicolas et un de Torcy est découverte par le commissaire de police. Dans son rapport du Sous-Préfet tente de minimiser l’affaire : « …C’est à peine si quelques ouvriers ont eu le temps dans prendre connaissance et ceux qui la lisait ne pouvaient en approuver le contenu. Le parquet est saisi de l’affaire …..effet de découvrir l’auteur de cette ridicule et odieuse provocation de désordre. A supposer, comme le prétendent certaines personnes qu’il règne une agitation sourde au sein de la classe ouvrière, cette agitation ne s’est produite encore par aucun fait matériel et saisissable ». Le texte de l’affiche est sans ambiguïté:
« AU NOM DE LA SAINTE LIBERTÉ CITOYENS Français, L’heure de partir est arrivée, il faut rompre nos chaînes et courir au devant de Paris outragé, car ce jour les justes révolutionnaires, les vrais républicains, ils nous appellent, allons-y leur donner la main, ils nous montrent l’exemple, ils sacrifient leur sang pour nous. Le nôtre leur appartient, il nous faut assurer notre avenir, nous avons des armes et sauront en trouver. Paris seul se montre mais nous devons tous nous présenter le poing armé car voulant étouffer la liberté à Paris, la France entière succombera et nous, nous serrons replongés dans cet abîme dont nous sortons à peine. Le sang français après la crise que nous venons de passer n’est pas dégénéré, et il faut faire voir au gouvernement de Versailles qu’il ne peut exister plus longtemps. Rappelez-vous comme l’a dit un grand homme, que celui qui ne pense que pour lui doit être pendu, ainsi (…) fait Bazaines, Canrobéri, Urel de Paladines, Trochu et Ducroc, et ces infâmes généraux oseraient nous conduire à achever notre entière destruction. (…)
La situation au Havre.
Au Havre, seule région du département qui n’est pas occupée par l’armée allemande, la Commune a de nombreux sympathisants organisés dans le « démocrates radicaux », et dans le « Club des socialiste », appelé encore « Club communiste », qui se regroupent vers la mi-avril, dans un « Comité central républicain de solidarité ». Il tint des séances fréquentes, rue Bernardin de Saint-Pierre en avril 1871. L’un de ses objectifs était de préparer les élections municipales du 30 avril.
Son président, Détré, 27 ans, correcteur d'imprimerie qualifié « d‘homme intelligent et dangereux » par le préfet, s’efforçait, d’après ce dernier « de recruter des adhérents à la commune ». Cependant, il tempère régulièrement l’ardeur des participants aux réunions en rappelant: « nous n’avons pas le sou et pas de relation avec l’AIT ».
Les sympathies de tous ceux qui prirent part aux débats, étaient acquises à la Commune de Paris. « Toutefois, dans les derniers temps de la lutte, alors que la prolongation de la résistance jetait l’inquiétude et l’alarme dans les esprits, certaines personnes dissimulaient leur sympathie pour l’insurrection » signale le rapport de la préfecture de Rouen, dans l‘enquête sur les causes de l’insurrection du 18 mars, et ses ramifications..
Ce Détré, havrais en 1971, est sans doute le même Détré qui accueillera Louise Michel à Dieppe le 9 novembre 1880.
Manifestation pendant la Commune
La « Commune de Paris » a donc été moins isolée qu’on ne le dit. On a parlé avec raison, d’un communalisme de Province. Il est marqué par une profonde tradition républicaine plus que sociales. Il est marqué par une profonde tradition républicaine plus que sociales.
La Seine-Maritime compte de nombreux martyrs.
En effet, de nombreux originaires de Seine-Maritime travaillaient à Paris, et ont participé à la défense de la Commune de Paris. Nombreux sont ceux qui ont payé de leur vie leur engagement.
Leur nombre est trop important pour tous les citer ici. Cependant il est possible de les recenser à l’aide du dictionnaire Biographique du Mouvement ouvrier, « le Maitron ».
Nous avons décidé de nous limiter à quelques uns, ceux qui sont mort en exil en Nouvelle Calédonie, pour leur idéal, à la suite de leur condamnation par les Versaillais :
Pierre, né le 08/09/1848 à Bolbec mort à l'hôpital de Numbo, île des Pins, le 25 février 1875.
LECORNU
Philippe, garçon de magasin, né le 06/04/1855 à Fécamp, mort le 26 juin 1873, à l'ambulance d'Uro (l’île des Pins) ; PAIN
, typographe, né le 17/03/1846 à Sanvic, mort le 25 juin 1873 à l'ambulance de Numbo, presqu'île Ducos-Noum. PÉRRÉE Eugène
, serveur, né le 18/07/1836 à Rouen, mort à l’île des Pins le 18 novembre 1875 ; THILLARS Paul
, terrassier, né le 15/12/1846 à Elbeuf, mort à le 22 décembre 1877, à l'hôpital de l’île des Pins ; VARENNE Jules
Sources:
Archives Départementales de Seine-Maritime, Fonds ancien de Dieppe, Bulletin de l’Association des Amis de la Commune de Paris, le Maitron.