Ecrire au fil rouge

Numéro 9

1954-1962: la Guerre d’Algérie

Un exemple remarquable de la Solidarité et de l’action pour la Paix en Algérie.

La révolte des rappelés de la caserne Richepanse

Par Serge Laloyer

Dès la fin de la deuxième Guerre mondiale, les peuples colonisés manifestent leur volonté d'indépendance.

En Indochine, à Madagascar, au Maroc, en Tunisie et en Algérie des mouvements politiques s'organisent et agissent.

Le mouvement ouvrier de notre département fort des traditions anticolonialistes et pacifistes qu'il a manifestées dans la période précédant la guerre et plus particulièrement en assurant sa solidarité avec l'Espagne républicaine en 1936, n'allait pas rester indifférent à la lutte d'émancipation des peuples colonisés.

Dans les années 50, de multiples actions sont engagées contre la guerre d'Indochine : manifestations, solidarité matérielle, refus des dockers de Rouen, du Havre, de Dieppe de charger le matériel de guerre. Le cessez le feu est décrété en Indochine le 20 juillet 1954, c'est une journée de joie pour tous ceux qui ont agi contre cette guerre coloniale. La défaite de l'armée coloniale à Dien Bien Phu, le 7 mai 1954, n'est pas passée inaperçue chez les autres peuples colonisés par la France, notamment en Afrique du Nord où depuis 1945 la volonté de se libérer du colonialisme fait son chemin.

En Algérie, c'est dès le mois d'avril 1945 que des manifestations sont organisées pour exiger l'indépendance. Ces manifestations seront violemment réprimées, ainsi à Alger où l'on dénombrera 11 morts. Mais c'est à Sétif le 8 mai 1945 que la répression sera la plus sanglante. La gendarmerie ouvrira le feu sur des manifestants réclamant la libération de dirigeants nationalistes emprisonnés. Le 9 mai la répression militaire s'abattra sur toute la région de Sétif. Le P.P.A. (Parti Populaire Algérien) parlera de 40 000 victimes, le Consulat des USA d'Alger en dénombrera 45 000, le gouvernement français en annoncera à peine 2 000.

Les peuples marocain et tunisien manifesteront également leur volonté de se libérer de l'autorité française qui répondra à cette aspiration par la répression. D'ailleurs la Tunisie n'obtiendra son indépendance qu'en 1955 et le Maroc en mars 1956.

En France où les travailleurs algériens sont plusieurs centaines de milliers, cette aspiration à l'indépendance est vive comme en témoigne une manifestation organisée à Paris le 14 juillet 1953. La police charge les Algériens, 6 seront tués ainsi que Maurice Lurot, trésorier du syndicat CGT des métaux du 18e arrondissement.

Le 1er novembre 1954 une nouvelle guerre coloniale commence. Elle durera 8 ans.

La lutte armée pour l'indépendance jusque là circonscrite au Maroc et à la Tunisie va se manifester en Algérie

Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, sur l'ensemble du territoire algérien, des gendarmeries, des casernes, des bâtiments administratifs sont attaqués par des groupes armés qui formeront plus tard l'ALN (Armée de Libération Nationale) et une organisation politique le FLN (Front de Libération National).

Le gouvernement français interdit le 5 novembre les mouvements nationalistes algériens. Le 6 novembre le Ministre de l'Intérieur François Mitterand a beau déclarer "L'Algérie c'est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d'autre autorité que la sienne", la guerre d'indépendance est commencée et sept ans plus tard elle se terminera par la naissance d'un état indépendant.

Sans relâche, pendant toutes ces années, les militants de la CGT avec d'autres organisations, syndicales, politiques ou pacifistes, vont mener une bataille difficile pour exiger le cessez le feu sous les formes d'action les plus diverses : grèves, pétitions, manifestations traduisant la volonté des travailleurs de voir mettre fin à cette guerre et d'accorder au peuple algérien son indépendance.

Les soldats du contingent contre la guerre.

Nous sommes à une époque où le Service militaire est en vigueur. Les engagés sont minoritaires parmi les effectif de l’armée. C’est pourquoi des soldats du contingent rejoignent dès 1954 l'Algérie ou le Maroc, même si l'ensemble du contingent n'est officiellement engagé qu'en 1956.

Depuis novembre 1950 le service militaire s’est allongé de 6 mois pour passer à 18 mois. Il était précédemment, depuis octobre 1946, d’une durée de 12 mois. Les jeunes vivent mal ce qui s’apparente à un nouvel allongement de la durée du Service qui conduit au rappel de ceux qui viennent de terminer leur temps. Il partent pour quatre mois. En fait ils en feront généralement huit. C’est pourquoi on les appelle les « Rappelés ».

Ils vivent d’autant plus mal la situation qu’ils ont le sentiment d’aller se battre pour une mauvaise cause. Ainsi, dès décembre 1954, le Président du Conseil des Ministres, Pierre Mendès France, reçoit une lettre ouverte signée de quelques dizaines de milliers de jeunes contre la répression en Algérie. Cependant, le 4 février 1955 le Ministre de l'Intérieur déclare à l'Assemblée Nationale : "J'ai envoyé le contingent et je ne le regrette pas".

Les jeunes résistent par tous les moyens. En février 1955, un train spécial qui transporte 1000 soldats en Afrique du Nord aura sept heures de retard, sur le trajet de Bordeaux à Toulouse. Les appelés ont tiré 17 fois le signal d'alarme. Dès le 25 mai 1955, le député communiste Raymond Guyot dépose une proposition de loi à l'Assemblée Nationale tendant "à interdire en temps de paix l'envoi de jeunes du contingent sur des territoires où se déroulent des opérations militaires et à en retirer ceux qui s'y trouvent".

Mais c'est à partir du mois d'août 1955 que l'opposition des soldats va se manifester publiquement. Le 23 août 1955 le gouvernement d'Edgar Faure (celui de Mendès-France a été renversé le 5 février) décide le rappel des soldats libérés de leur service militaire et le maintien sous les drapeaux de ceux incorporés depuis le début de 1954 soit 104 000 hommes. Dans les casernes, les camps et les bases militaires, c’est la colère.

A partir de septembre, les manifestations de jeunes soldats appelés ou rappelés se multiplient. A Paris, le 5 septembre, gare Montparnasse des rappelés scandent "Pas de rappelés en Algérie".

Le 11, c'est gare de Lyon que quatre cent rappelés font un sit-in pour empêcher le départ d'un train qui doit les conduire à Marseille.

Le 29, trois cent soldats catholiques du 401e RAA se réunissent dans l'église St Séverin à Paris et diffusent un tract disant "leur honte à servir par la violence la cause qui n'est pas celle de l'ensemble des Français". L’UJRF (Cette Union des jeunesses républicaine de France deviendra plus tard la Jeunesse communiste ) appuie leur action.

Le 8 octobre, la sédition s'étend au camp de la Courtine. Une journée d'action a lieu à l'appel des syndicats à Brive-la-Gaillarde contre le départ en Algérie du 126e régiment d'infanterie. A Tulle, les cheminots débrayent pour empêcher le départ du matériel militaire vers l'Algérie.

A Rouen, la révolte des rappelés de la caserne Richepanse

Depuis plusieurs mois se développait, en Seine-Maritime comme dans le reste du pays, un large mouvement pour la paix et contre le rappel des soldats et contre le maintien des « libérables » sous les drapeaux .

A partir du 5 octobre 1955, ce mouvement prend une autre dimension à Rouen. Depuis plusieurs semaines des « rappelés » étaient cantonnés avec des « appelés » du contingent dans la caserne Richepanse. Déjà, à plusieurs reprises, les soldats avaient manifesté contre la nourriture infecte qu'on leur servait et avaient obtenu satisfaction. Nombre d'entre eux étaient liés avec les jeunes du quartier et fréquentaient les activités du cercle de l'UJRF installé dans un local place St Clément.

Le mercredi 5 octobre vers 22 heures les soldats (pour la plupart des rappelés) sont rassemblés par les officiers qui leur annoncent qu'ils partent pour le Maroc ; les appelés, eux, sont envoyés en manœuvre dans la Somme.

Fernand Legagneux, Secrétaire général de l'Union départementale CGT de Seine-Maritime raconte: "Les rappelés devaient former un bataillon du 406e RAA auquel il manquait une centaine d'hommes pour être au complet. Afin de compléter l'effectif, le Commandant usa d'un moyen méprisable, s'adressant aux jeunes appelés alors en manœuvre, il leur fit croire que des pères de famille se trouvaient parmi les rappelés de Richepanse et il fit appel aux volontaires qui voudraient bien les remplacer. Généreusement, des appelés se proposèrent mais, à leur arrivée à Rouen, il ne tardèrent pas à se rendre compte qu'ils n'étaient pas venus remplacer les rappelés mais tout simplement compléter l'effectif pour partir au Maroc".

Le 6 octobre, en soirée, les 600 hommes du 406e RAA refusent collectivement de monter dans les camions. Le départ est reporté au 7 octobre.

Le vendredi 7 octobre, les soldats défoncent à l'aide d'un camion le mur de la caserne et sortent en ville. Les forces de police interviennent pour les faire rentrer à la caserne. C’est alors qu’une première escarmouche oppose policiers et rappelés.

La population est alertée. A l'appel de la CGT des débrayages se produisent chez les communaux de Petit-Quevilly, les cheminots, aux Chantiers de Normandie, à la Métropolitaine Coloniale (future CFEM) , dans les chantiers du bâtiment et chez les dockers. Vers 17 heures, les travailleurs et la population accourent de partout pour soutenir les soldats juchés sur les murs et les toits de la caserne. A 18 heures, 5 à 6000 personnes sont rassemblées pour soutenir les soldats et les ravitailler en nourriture. La police est vite débordée et ne peut plus empêcher l'avance de cette foule composée de jeunes, d'ouvriers, parmi lesquels on trouve de nombreux militants de la CGT, mais aussi des militants des partis de gauche, socialistes et communistes, des élus, et même des prêtres en soutane. Dans la nuit tombante éclate de la foule et de la caserne "La Marseillaise" et "Pas de rappelés au Maroc", "Le Maroc au marocains".

Un meeting est improvisé, un responsable de la CGT et un dirigeant local du Parti Communiste Français prennent la parole. C'est alors que surgissent trois compagnies de CRS et des escadrons de Gardes Mobiles qui se ruent sur la foule, frappant à coup de matraque et en lançant des grenades lacrymogènes. Il y a des dizaines de blessés parmi les manifestants, une véritable bataille opposera jusque tard dans la nuit les soldats et les manifestants aux policiers.

Ces violences dureront jusqu'au 9 octobre où, vers 3 heures du matin les rappelés sont embarqués, encadrés par des forces de police en grand nombre.

Le Dimanche 9 octobre, le Comité général de l'Union départementale CGT exalte "le caractère patriotique de la manifestation, soulignant que l'intérêt commun du peuple français et des peuples marocain et algérien est d'arriver à la paix par une solution négociée des conflits".

Des soldats et des civils sont condamnés.

Des manifestants ont étés arrêtés et trente d'entre eux sont condamnés à des peines de prison avec sursis allant de 10 à 45 jours.

Le 21 novembre, le commandement militaire accuse 18 soldats de « révolte militaire » et de « mutinerie ». Neuf des inculpés sont cependant laissés en liberté. Ils bénéficieront d'un non-lieu. D’autres connaîtront la cellule au Maroc.

Mais l'affaire ne s'arrête pas là. Le 24 janvier 1956, certains de ces soldats, au nombre de neuf, pourtant démobilisés depuis plusieurs semaines, sont arrêtés et incarcérés à la prison de Fresnes.

L'un d'entre eux, Jean Meaux, cheminot à Sotteville, qui a déjà fait 2 mois de prison à Casablanca, revenu à la vie civile est à nouveau arrêté à son travail à six heures et demi du matin. Pourtant dans une déclaration à la presse, les avocats avaient fait remarquer la déclaration du Colonel du 406e RAA disant qu'à son avis "ils méritaient une sanction, mais en tout cas pas la comparution devant le tribunal militaire".

Le député communiste, Roland Leroy dans une intervention à l'Assemblée Nationale rappelle "qu'ils étaient destinés à partir pour le Maroc le jour même où l'Assemblée Nationale discutait du règlement de la question marocaine".

La répression ne touche pas que des soldats et des manifestants, en effet Martial Spinneweber, maire communiste de Petit-Quevilly, est suspendu de ses fonctions pendant 2 mois et demi pour avoir appelé et participé au soutien des soldats de Richepanse.

 

La lutte s’organise pour exiger l’arrêt des procès et la libération des détenus.

Des pétitions vont se couvrir de signatures dans les ateliers, chantiers et bureaux pour exiger l'arrêt des poursuites et des condamnations. Un comité de défense pour la libération des emprisonnés est crée aux ateliers SNCF Budicom de Sotteville dès le lendemain de l'arrestation de Jean Meaux.

Le 9 février, le Secours Populaire Français et les Auberges de la Jeunesse demandent la libération des soldats. Dans un tract ils invitent la population à une réunion publique dans une salle du 12e arrondissement de Paris, non loin de la caserne Reuilly, siège permanent du tribunal des Forces Armées.

Le 10 février, le comité de défense accueille Jean Meaux. Il a été libéré après avoir passé 20 jours à la prison de Fresnes. Il déclare "je suis sorti de Fresnes par votre action, il reste là-bas huit camarades, il ne faut pas les oublier". Ils seront libérés quelques jours plus tard et les poursuites pour "rébellion et propos démoralisateurs pour la troupe" seront abandonnées. Jean Meaux reprend sa place de travail parmi ses camarades cheminots de Sotteville.

Selon le journal « France Dimanche », ces évènements auraient fait « des victimes » dans le commandement militaire. Le Général commandant la région militaire a été limogé et deux Colonels ont été mis aux arrêts pour insuffisance de commandement rendant possible les évènements.

La lutte pour la paix en Algérie continuera sous les formes les plus diverses jusqu'à l'indépendance le 19 mars 1962.

Sources :

Archives Union départementale CGT 76

- La CGT en Seine-Maritime . VO Éditions

Témoignage et archives de Jean Meaux

Témoignage et archives de Marcel Besnais

Quotidien l'Humanité

Hebdomadaire « France Nouvelle » n° 515

- Hebdomadaire France Dimanche n° 477

- « La guerre d'Algérie » - H. Alleg - Tome1

site de l'IHS CGT 76e