Pendant que la bataille se poursuit contre la casse du droit du travail, la vie continue, et les attaques sont tous azimuts, et la situation se dégrade partout, en particulier du coté de la santé.
Les 10 et 11 juin dernier j’ai participé avec 3 autres élus de tendance CGT, du comité de section de Seine-Maritime à l’AG nationale de la Mutuelle Générale (MG) à Issy-les-Moulineaux.
Le 10 juin, je suis intervenu à la tribune de cette assemblée sur un thème qui me tient à cœur: la désertification médicale qui s’accélère et détruit petit-à-petit tout l’édifice d’accès au soins des patients, et on cache son origine aux Français. La cause est à chercher dans l’instauration en 1971, d’un NUMERUS CLAUSUS à l’entrée de 2e année de médecine. En 1971 ce numérus clausus avait été fixé à 8588. Après un creux au dessous de 4000 entre 1989 et 2001, le numérus clausus a été remonté progressivement à 7000 en 2007, et stagne depuis autour de 7400. Aujourd’hui, à l’heure où les médecins formés après 1970 partent en retraite, la situation devient catastrophique pour les patients.
Cette intervention (voir ci-dessous), qui était la seule sur le sujet. Elle a provoqué de nombreuses réactions positives parmi les délégué-e-s, qui m’ont été exprimées par plusieurs lors des pauses du matin et du midi (Vosges, Isère, Lozère, Finistère, Mayenne, etc.).
Dans sa réponse aux intervenants, le secrétaire général de la MG, sentant que j’avais soulevé un problème sensible, a tenu à préciser que la MG interviendrait à ce propos auprès du nouveau président de la FNMF (Fédération de la Mutualité Française) à la suite de son élection ; il n’a pas dit dans quel sens (peut-être parce que la FNMF porte aussi une responsabilité dans la dégradation du numérus clausus, notamment entre 1980 et 2000).
L’an dernier j’étais déjà intervenu sur le sujet, mais dans le cadre du débat sur la résolution générale de fin d’AG, sans que cela ne produise le moindre effet.
Affaire à suivre !
Voici, ci-dessous, le texte de mon intervention.
Intervention de Gilles Pichavant, le vendredi 10 juin 2016, dans le débat sur le rapport moral annuel de la MG, à la tribune de l’AG nationale d’Issy-Les-Moulineaux
« Nous somme ici pour discuter de la manière dont la mutuelle va couvrir ses adhérents, mais aujourd’hui la question cruciale à laquelle ils sont confrontés devient l’accès au soin. Nous pensons en Seine-Maritime que cette question aurait dû être traitée dans le rapport moral, car aujourd’hui le parcours de santé de nos adhérents est en train de devenir un véritable parcours du combattant. Or cet aspect des choses est globalement absent du rapport.
En effet, il devient aujourd’hui quasiment impossible d’obtenir un rendez-vous dans les 24h00 chez un généraliste, dans une majorité de région.
Aujourd’hui, pour obtenir un rendez-vous chez un dentiste, un ophtalmo, un spécialiste en général, il faut attendre 6 mois minimum
Mais ce qu’il y a de pire dans la situation, c’est qu’il devient difficile, pour un patient ou une patiente qui perd son médecin référent, d’en retrouver au autre. Il en est de même pour son ophtalmo, son dentiste, je ne parle même pas de son gynécologue, où là, la situation est catastrophique pour les femmes.
Je vais prendre un exemple, celui des ophtalmologistes, pour illustre mon propos et alerter notre assemblée générale : J’ai assisté à une scène hallucinante, il y a deux semaines, dans un cabinet ophtalmologiste de ma province ; Il y a eu fermeture de plusieurs cabinets ophtalmologiste dans la ville de Dieppe, où j’habite, ville moyenne de 30 000 habitants, au centre d’une agglomération de 80 000 habitants.
Alors que j’attendais dans la salle d’attente, qui est aussi le bureau de la secrétaire médicale du cabinet, que mon épouse passe un examen de fond d’œil, j’ai assisté à une succession de visites de patients en détresse, car ils étaient en recherche de nouvel ophtalmo. A chaque fois, la secrétaire médicale leur a répondu : « on ne prend plus de clients, parce que nous ne voulons pas dépasser la durée d’attente de 6 mois ». Elle a répondu la même chose au téléphone, à plusieurs personnes qui n’étaient pas clientes du cabinet. A chaque fois elle les a renvoyés vers une clinique rouennaise située à 60 kilomètres en leur disant qu’à sa connaissance, il y avait encore des possibilités d’y obtenir un rendez-vous. J’ajoute que parmi ces patients, l’un d’entre eux était diabétique, et avait besoin de faire un fond d’œil. Il ne sera pas fait d’exception pour lui.
Je me suis renseigné auprès de mes camarades élus du comité de section, qui m’on tous dit que la situation se tendait aussi en région rouennaise. L’un deux, patient d’une ophtalmo dans cette même clinique rouennaise, m’a dit être inquiet, parce que son ophtalmo prenait sa retraite en fin d’année et qu’elle ne serait pas remplacée, un autre ophtalmo de ce cabinet ayant déjà pris sa retraite, et n’ayant pas été remplacé. Les autres praticiens se répartissent les patients entre eux, ce qui entraine un allongement des délais d’attente initialement de 6 mois à 8 mois aujourd’hui.
S’ajoute à cela un effet sur les tarifs : les ophtalmos sur le départ pratiquent tous des tarifs de 28€. Un jeune ophtalmo arrivé dans ce cabinet il y a deux ans, venant de son pays natal de l’est de l’Europe, ne s’embarrasse pas avec ce tarif : le sien est de 50€. La pénurie de praticien a donc un 2eme effet : il provoque l’élévation du tarif de la consultation.
Vous m’objecterez peut être que ce que je décris est un épiphénomène marginal, limité aux ophtalmologistes. Mais je peux vous faire quasiment la même description pour les dentistes.
La question cruciale, aujourd’hui, en matière de santé, est certes la question du remboursement des frais, et du tiers payant. Mais ce qui devient de plus en plus prégnant c’est l’accès au soin.
Nous sommes entré dans une période où un très grand nombre de médecins partent à la retraite ; pourquoi ? Parce qu’ils sont nombreux à avoir atteint et dépassés l’âge de 65 ans. Certes la loi de modernisation du système de santé dont le rapport moral nous vante le contenu, se présente comme ayant l’ambition d’améliorer cet accès au soin, mais elle fait l’impasse sur la production de nouveaux médecins.
Ceux qui partent aujourd’hui en retraite sont les derniers à être entrés en 2e année de médecine avant la mise en place du numérus clausus en 1971. La situation est dramatique, car selon les propres chiffres du Conseil de l’ordre, 26,7% des médecins des médecins généralistes ont aujourd’hui plus de 60 ans, soit plus d’un sur quatre, alors que 14,8% seulement des médecins généralistes ont moins de 40 ans.
Cela veut dire que dans les 5 ans la population médicale française va subir un choc terrible, qui va généraliser et aggraver les exemples que je vous ai présenté en début de mon propos.
On en connait les raisons :
- Jusqu’en 1978, c’est-à-dire la dernière année d’où sont sortis du cursus de formation, les étudiants entrés en 2e année médecine avant la mise en place du numérus clausus, on produisait plus de 8000 médecins tous les ans.
- En 2016 le numérus clausus ne dépasse guère les 7000 places, alors que la population française a augmenté de 10 millions d’habitants entre 1978 et 2016.
- Mais entre ces deux dates, la courbe s’est effondrée ; on a baissé le numérus clausus jusqu’à un étiage inférieur à 3600 entre 1992 et 1999, pour ne le remonter que très progressivement qu’à partir de l’an 2000 ; si bien que la population médicale présente l’aspect démographique similaire à celle de la population française à la suite de la guerre 14-18.
Il nous semble évident donc que le rapport moral aurait dû consacrer à ce grave problème, une partie de son propos, d’autant qu’à l’évidence, au-delà du fait que cela a déjà des conséquences importantes sur la vie de nos adhérents, cela risque d’avoir aussi des conséquences en matière de gestion.
Car au-delà des problèmes sanitaires que cela va créer, cette pénurie risque de contribuer à une hausse rapide et brutale des honoraires, car la santé n’est pas isolée des logiques de fonctionnement du monde économique, et qu’une pénurie produit toujours une élévation des coûts. »