Par Gilles Pichavant
Communication faite par Gilles Pichavant pour l’IHS-CGT-FAPT, au colloque de la FNART d’octobre 2022; Publié en deux parties dans la revue d’histoire sociale Le Relais, de l’IHS-CGT-FAPT.
La lutte pour l’égalité femme-homme a rebondi il y a une vingtaine d’années, au début du 21e siècle, par la mise en évidence de persistance de discriminations. Cela a conduit à la mise en place de nouveaux dispositifs visant à réduire celles-ci, notamment en matière de carrière.
On est frappé par l’écart de salaire entre les hommes et les femmes pendant tout le 19e siècle. Cette situation a perduré très longtemps et il a fallu de nombreuses décennies de luttes pour réduire cet écart. Cette question est aujourd’hui encore loin d’être réglée.
Car à l’exploitation de la force de travail s’ajoute la pesanteur de la condition subalterne des femmes dans la société. En fait, même si l’égalité est inscrite au moins dans la devise des Républiques française successives depuis plus de deux siècles, l’égalité femme/homme n’est jamais allée de soi, notamment en ce qui concerne le salaire.
Et, nous allons le découvrir, elle a nécessité des luttes importantes et persévérantes pour y arriver. Mais qu’en a-t-il été de cette question pour les PTT ?
Femmes/Hommes: une inégalité qui vient de très loin !
Pendant tout le 19e siècle, le salaire des femmes est partout très nettement inférieur à celui des hommes. Le salaire de la femme était en général de la moitié du salaire des hommes, sans que cet écart n’ait semblé provoquer de réactions, tant il était ancré dans la norme et inscrit dans le contexte culturel de l’époque. Et cette situation va durer tout le siècle.
À la fin du siècle, et surtout après la Commune de Paris qui l’a mis en pratique chez les instituteurs, la revendication « à travail égal, salaire égal » commence à émerger. À partir de 1880, le principe est inscrit dans le programme du Parti Socialiste Ouvrier de France (PSOF) de Jules Guesde et Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx. Dans sa partie économique, il est écrit en point 5 : « Égalité de salaire à travail égal pour les travailleurs des deux sexes« . Cette idée percute les habitudes et les pratiques en vigueur.
Un Congrès international du droit des femmes[1], organisé par les féministes, se tient en juin 1889, en même temps que l’exposition universelle. Il vote 12 vœux. Trois vœux traitent du travail. Deux vœux revendiquent l’égalité d’accès des femmes aux carrières des professions libérales, et un troisième, le 11e, revendique l’égalité de salaire chez les instituteurs: « Que les instituteurs et les institutrices aient un salaire égal« . Aucun des 12 vœux ne concerne les autres femmes salariées, ni donc le personnel féminin des PTT[2].
Les femmes dans les Postes et Télégraphes: une longue histoire.
Les femmes semblent toujours avoir travaillé dans les services postaux, au moins depuis le 18e siècle, où il est attesté que certaines ont accédé à la fonction de directrice des postes, principalement par voie de succession. Cette présence féminine, contestée à partir de la Révolution, connaît un reflux pendant les deux premiers tiers du 19e siècle (notamment à Paris), sans pour autant disparaître tout à fait. Cette tendance s’inverse à la fin du siècle, au cours duquel s’amorce une vague de féminisation qui touche, tour à tour, l’ensemble des services des PTT et va se poursuivre au cours du 20e siècle[3]
Dans le dernier tiers du 19e siècle, le développement des nouveaux services dans les PTT et les besoins de main d’œuvre conduisent à la féminisation de l’Administration postale :
- Le recrutement d’un personnel féminin au télégraphe débute en Province, dans les années 1860, au sein des petits bureaux dits bureaux secondaires, avant d’être mis en œuvre quinze plus tard, à partir de 1877, à Paris. En 1899, où elles sont presque 600 (soit 50% de l’effectif), les dames télégraphistes sont employées au poste central des télégraphes, rue de Grenelle.
- À partir de 1881, la féminisation des PTT se développe dans les services financiers à partir de la création de la Caisse Nationale d’Épargne Postale.
- La Compagnie des Téléphones est nationalisée en 1889, et l’Administration postale, à qui échoit cette nouvelle mission, récupère le personnel féminin de cette entreprise pour assurer la fonction de téléphoniste. Elle recrute de nouvelles téléphonistes par concours à partir des années 1890 et, à l’issue de cette année, les dames du téléphone sont au nombre de 812[4].
- La féminisation des PTT s’étend pour finir dans les bureaux de poste de Paris et des grandes villes. Initialement la présence des femmes était tolérée dans les zones rurales, mais elle était refusée dans les bureaux de poste dans les grandes zones urbaines depuis le début du 19e siècle. À partir de 1892, l’organisation d’examens de guichetière change la donne. En moins de deux ans, près 2 400 femmes sont admises à des emplois de guichets dans la capitale et les grandes agglomérations françaises.
En trois décennies, le nombre de femmes aux PTT augmente donc considérablement, on passe de 1 830 femmes au budget des PTT de 1891, à 29 493 à celui de 1923[5]. Ces chiffres ne tiennent pas compte, au moins jusqu’en 1914, de l’effectif féminin auxiliaire des petits bureaux de poste, dont les rémunérations sont difficilement financés sur une maigre ligne budgétaire accordée aux receveurs. En comptant les auxiliaires, le nombre de femmes employées aux PTT atteindra les 40 000 au milieu des années 30[6].
Femmes: des salaires plus faibles, pour embaucher plus.
Avec l’arrivée des nouveaux services, la politique de salaires féminins nettement inférieurs à ceux des hommes se révèlent être la raison principale de la féminisation aux PTT. À l’époque, personne ne semble contester cet écart de salaire, le salaire féminin étant présenté comme un salaire d’appoint.
Il est vrai que, depuis une dizaine d’année, l’administration rencontrait des difficultés à embaucher des hommes. Par contre, dès qu’elle ouvre des concours féminins, le nombre de candidates à s’y présenter est considérable. En 1892, première année de féminisation des guichets, 1200 dames sont admises au concours, alors que les concours masculins de commis ne fournissent que 205 agents[7].
C’est l’écart de salaire entre les femmes et les hommes, et, en conséquence, la possibilité d’avoir plus de personnel sans dépenses supplémentaires, qui est toujours avancé pour justifier la féminisation des services. C’est en tout cas ce qu’on peut lire explicitement dans les rapports des commissions chargées de présenter les budgets des PTT à la Chambre des députés : « C’est dans la substitution d’un personnel féminin à un plus ou moins grand nombre d’agents secondaires, que l’administration a cru pouvoir trouver le moyen de réduire au minimum les frais de personnel et de main d’œuvre » précise le rapporteur du budget des PTT pour 1896. On ne peut être plus clair : il s’agissait de transformer des emplois budgétaires de Commis (hommes) en emplois budgétaires de Dames-Employées, sans dépenses supplémentaires. Et d’expliquer: « En 1892 on proposait donc la transformation de 768 emplois de commis en 1067 emplois de dames employées, soit le remplacement de 100 hommes par 137 femmes« [8]. Et d’insister : « Le salaire moyen d’une dame n’étant que de 1400 francs, (…) et celui d’un commis de 2250 francs [9], l’administration a pu, à l’aide de transformations faites, augmenter sans dépense le personnel d’un certain nombre de bureaux devenu insuffisant, ou ouvrir de nouveaux guichets dans les bureaux importants[10]. »
L’inégalité de salaire dans les PTT de l’origine à 1914.
En 1881, le salaire des premières femmes embauchées au Télégraphe n’est que de la moitié du salaire masculin. Alors qu’elles effectuent le même travail que les hommes, leurs traitements vont de 1000 à 2000 frs, alors que ceux des hommes vont de 2000 à 4000 francs [11].
En 1889, aux PTT, le salaire des Dames-employées est des deux-tiers de celui des Commis, alors qu’elles sont embauchées sur des concours de même niveau. Dans le Journal officiel de la République française (Annexes), du26 avril 1908[12], on peut lire: « Lorsqu’en 1887 et les années suivantes, l’administration des postes fit entrer l’élément féminin dans ses cadres, elle estima qu’il faudrait trois dames pour faire le travail de deux commis, et fixa le traitement maximum à 1800 francs, celui des commis étant de 2700 francs. Cette proportion des deux tiers fut appliquée jusqu’en 1891, date à laquelle l’administration éleva à 3000 francs le traitement des commis, cependant que celui des femmes restait stable. Ce ne fut qu’en 1905, après de nombreuses démarches faites par l’Association Générale des Agents, que l’administration releva successivement leur traitement maximal à d’abord 2000 francs, puis à 2200 francs, en 1907« .
En 1908, le rapporteur du budget des PTT à la Chambre reconnaît pourtant que « sans aller jusqu’à la théorie de l’égalité de traitement pour le personnel masculin et féminin, (…) nous dirons que rien ne justifierait cette réglementation trop limitative du traitement des dames employées ». Et d’estimer que le traitement des Dames-employées étant insuffisant, il devrait être augmenté. Mais, seulement, « dès que la situation budgétaire le permettrait« . Pour lui la théorie qui avait présidé jusque là aux choix budgétaires, qu’il fallait trois dames pour faire le travail de deux commis, ne tenait pas. « S’il est peut-être vrai dans les services de guichet, nous pouvons affirmer qu’il n’en est rien au télégraphe, au téléphone, à la Caisse d’épargne ou aux titres d’argent« , déclara-t-il.
La résistance à la féminisation dans les PTT
L’introduction de femmes dans les services se heurte à une résistance, notamment dans la profession, et toute une série d’arguments sont développés pour tenter d’en limiter le nombre : « l’absentéisme des femmes serait plus important de celui des hommes« ; « les dames ne pourraient pas répondre à toutes les questions de service qu’on leur adresse« ; « les opérations postales seraient faites moins rapidement par les femmes que par les hommes« . On s’appuie aussi sur des études étrangères pour renforcer l’argumentation antiféministe: « les femmes« , selon une étude anglaise, « commettraient plus d’erreurs, se fatigueraient plus facilement, et s’absenteraient plus souvent du service pour des indispositions légères« [13]. Etc.
Cependant, avant la guerre 14-18, un argument vient tempérer cette ardeur antiféministe, c’est l’argument militaire, en cette période de campagne militariste pour récupérer l’Alsace et la Lorraine : « l’administration doit être constamment en mesure de fournir les effectifs qu’exigeraient en tant de guerre, les services de la télégraphie militaire, de la trésorerie, de la poste aux armées« . (…) En cas de mobilisation, « le prélèvement serait surélevé dans les bureaux où se trouverait concentré le personnel masculin« [14], et le service serait donc affecté. Il faudrait donc féminiser suffisamment pour réduire l’impact de la mobilisation sur les services.
Cette résistance va se compléter d’une lutte contre l’égalité de salaire femmes/hommes qui va perdurer très longtemps, jusqu’en 1939. Elle traverse aussi le syndicalisme. Pour exemple, en 1924, et en 1925, dans les congrès annuels du Syndicat National des Agents, cet antiféminisme s’exprime ouvertement : plusieurs militants de premier plan montent à la tribune pour exprimer que l’égalité de salaire serait « la ruine de la famille« , qu’elle serait « l’avilissement des salaires« , « le tarissement du recrutement féminin« , « la femme aurait moins de besoins que l’homme« , « les rendements des hommes et des femmes seraient différents« , etc.[15]
Les grèves de 1909 font avancer la cause des femmes
L’année 1909 est marquée par deux grandes grèves dans les PTT, provoquées par la modification des règles d’avancement. Si la revendication de l’égalité de salaire ne semble pas émerger pendant la grève, le grand mécontentement parmi le personnel féminin, dont l’inégalité de traitement est constitutive, est vraisemblablement un des moteurs de la participation massive des femmes aux deux mouvements de grève, notamment au télégraphe et au téléphone.
Les femmes, et notamment les dames employées, participent massivement aux mouvements et aux meetings, siègent à la tribune, voire les président. Nous n’en citerons que quelques unes, comme Mlles Thomas, Balle, Saint-Martin, Nojean, Puissant, Magne, Mmes Pech, Pinettes, Raspaud, Flandrin, etc., que l’on retrouve à la présidence des énormes meetings réunis au Tivoly-Vaux-Hall, ou membres des délégations auprès du Président du Conseil. Elles furent au moins 48 à être révoquées, les dernières à être réintégrées ne l’étant qu’en 1910. Deux ans plus tard, les 3 candidates de l’Association Générale des agents (AG)[16], Mlle Thomas, Mmes Chancerelle et Ciret, sont élues à la commission extraparlementaire des traitements par 61,5% des voix du personnel féminin.
Cependant, en 1911, le principe de l’égalité de salaire pour un même travail est reconnu, tant au niveau syndical que par l’administration. En juin de cette année là, Mlle Thomas et Mme Pech interviennent dans le congrès annuel de l’AG pour revendiquer que « lorsque la dame employée tient l’emploi de commis, il faudrait la rétribuer comme lui« . Et le congrès en vote le principe. Mlle Thomas porte cette revendication au sein de la commission extraparlementaire, où elle est enfin validée.
L’égalité est-elle gagnée? Et bien non ! Il y a loin de la coupe aux lèvres. Il faut inscrire l’égalité dans les budgets, et c’est là que le bat blesse. Elle ne sera pas mise en œuvre, et bientôt la 1ère guerre mondiale va mettre la revendication sous le boisseau.
Pendant la guerre 14-18, les femmes démontrent qu’elles savent faire fonctionner les services aussi bien que les hommes.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914, l’Administration n’hésite pas à faire appel aux femmes pour remplacer les postiers mobilisés, sans que cela provoque de véritable opposition. Leur embauche est massive : les Dames employées d’avant la guerre sont rejointes par d’autres qui viennent remplacer une partie des postiers mobilisés. Elles assurent, au pied levé, l’ensemble des activités précédemment assurées par les hommes : la responsabilité de la caisse, les départs du courrier, voire les ambulants, les services de nuits au milieu des alertes et des bombardements, le service des mesures (test des lignes en dérangement), etc. Cette progression quantitative spectaculaire se double de bouleversements d’ordre qualitatif. Le conflit donne l’occasion à ces femmes d’assumer des fonctions qui jusque-là leur étaient rarement dévolues, à l’image de la fonction de facteur.
Mais à la fin de la guerre, l’immense majorité de ces femmes est remerciée et licenciée, et remplacée par les anciens fonctionnaires démobilisés.
L’immédiat après guerre (14-18) relance l’espérance de l’égalité.
La guerre 14-18 a été marquée par une forte hausse des prix et une baisse du pouvoir d’achat des traitements. Des primes compensant partiellement la hausse des prix, la question d’une remise à plat des traitements se pose. En 1919, la commission Hébrard-de-Villeneuve est chargée de la revalorisation des traitements des fonctionnaires. Dans cette commission, les représentants de l’administration des PTT se rallient à l’égalité de salaire entre les dames et les commis, sous réserve d’un même recrutement. Cela était à l’évidence la conséquence de la part de plus en plus grande qu’avaient pris les femmes dans les PTT, et le rôle prépondérant qu’elles avaient rempli pendant les quatre années de guerre. Le sentiment d’une juste rémunération de leur travail semblait s’imposer.
Le contexte semble propice, car, immédiatement après la fin de la guerre, l’article 427 du traité de Versailles signé en 1919 par les belligérants, dans sa section II (principes généraux), précise dans son point 7 : « Le principe du salaire égal, sans distinction de sexe, pour un travail de valeur égale« . Ce principe est aussi affirmé dans le préambule de la Constitution de l’OIT, organisation internationale créée par ce traité, après avoir affirmé qu’ »il n’est possible de contribuer à une paix universelle durable qu’en faisant progresser la cause de la justice sociale« . La non-discrimination et la promotion de l’égalité sont les principes fondamentaux qui soutiennent le travail de cette organisation. A l’évidence, une action syndicale bien menée aurait suffi pour faire triompher ce principe. Mais cela ne sera pas le cas.
À la création du Syndicat National des Agents (1919), la revendication de l’égalité salariale est affirmée.
En 1919, le 1er congrès du nouveau Syndicat national des agents (Syndicat National des Agents ), issu de la transformation en syndicat de l’AG, se tient à Valence. Il s’affilie à la CGT. Le rapport moral indique que son action n’a porté depuis la fin de la guerre que sur le rétablissement de la situation d’avant guerre, pour une amélioration des salaires significative pour tous les agents, pour prendre en compte la vertigineuse hausse du coût de la vie, mais sans porter la revendication de l’égalité hommes femmes. Cela provoque l’émotion parmi les dames-employées organisées, notamment dans les grands services parisiens. Un télégramme envoyé par celles de Paris-central protestant contre l’absence du principe « à travail égal salaire égal » est lu en séance. Il s’appuie notamment sur l’expérience travail des femmes pendant la guerre. Et le congrès vote la formule « à travail égal, salaire égal« .[17]
Mais l’égalité femmes-hommes reste un vœu pieux pendant plus de 6 ans, si bien que tous les ans, on peut lire dans le rapport moral présenté à chaque congrès, une formule quasiment identique: « aucune action n’a été faite par le Conseil syndical en vue de la réalisation de l’égalité de salaire« (1921); « aucune action n’a été faite par le Conseil syndical en vue de la réalisation du principe à recrutement égal, salaire égal« (1922) ; « aucune action syndicale n’a été entreprise pour l’aboutissement de la formule votée au congrès précédent, concernant l’assimilation des dames et des commis » (1923); « aucune action syndicale n’a été entreprise en vue d’un recrutement entre dames et commis permettant l’application de l’égalité de salaires » (1925).[18]
Cela indépendamment de la scission syndicale de 1921, qui a plutôt eu tendance à renforcer les opposants à l’égalité au sein du syndicat. Le Syndicat National des Agents a opté pour rester dans la CGT confédérée, alors que les deux autres syndicats nationaux, celui des sous-agents et celui des ouvriers, ont rejoint la Fédération postale unitaire (CGTU).
La bataille pour les traitements et l’égalité !
Dans l’après guerre, plusieurs commissions extra-parlementaires sont successivement constituées par le gouvernement, pour remettre de l’ordre dans les traitements. En effet, les salaires ont été particulièrement malmenés pendant la guerre. La hausse des prix a été énorme, et l’on n’a institué que des primes pour compenser en partie la perte de pouvoir d’achat. Dans l’affaire, les PTT ont été moins bien traités que d’autres secteurs de l’administration, comme le secteur des finances. Les institutrices, qui étaient moins bien payées que les dames-employées avant guerre, se retrouvent mieux rémunérées qu’elles. Pour autant toutes les catégories de fonctionnaires ont « perdu des plumes » dans la période. Ces commissions extra-parlementaires prennent le nom de leurs présidents, des parlementaires. On a ainsi la commission Hébrard de Villeneuve, la Commission Trépont, la commission Hendlé, une 2e commission Hendlé, la commission Payelle, etc. Beaucoup d’espoirs sont fondés à leur création, suivis de beaucoup de déceptions.
Mais l’égalité de salaire entre les hommes et les femmes n’avance pas. Pire, l’écart entre les commis et les Dames-employées s’accroît. Le 17 septembre 1925, la Commission Trépont, chargée de la répartition des crédits, vote les traitements des fonctionnaires. C’est la stupeur et l’indignation parmi tout le personnel féminin dont le salaire moyen passe de 80% à 73% du salaire moyen des commis. Avec leur niveau de traitement les Dames-employées ne peuvent même plus être considérées comme une catégorie moyenne, car leur début de carrière est largement dépassé par les facteurs. Cela provoque une réaction massive des dames qui se mettent massivement en grève le 21 septembre.
Lors d’une réunion de la section téléphonique régionale parisienne du Syndicat National des Agents, le 7 septembre, Mlle Thomas, qui avait eu vent du mauvais coup qui se préparait, avait appelé « à protester« , « à provoquer une certaine agitation dans les bureaux« , à envoyer « une délégation au conseil du syndicat de jeudi« [le 10 septembre], »pour exposer l’émotion du personnel féminin et demander à celui-ci d’organiser un meeting de protestation« [19]. Après l’annonce des décisions de la commission Trépont, ce syndicat est en difficulté, car d’autres catégories du personnel s’estiment aussi lésées. Aussi, pressé de toute part, déclenche-t-il, sans préparation, une grève de deux heures pour tout le personnel, le 21 septembre[20], de 11h00 à 13h00. Mais sa direction ne prend aucune disposition pratique pour la populariser, car ses premiers responsables y sont hostiles, sauf à faire en sorte que la grève, là où elle aura lieu, cesse bien à 13h00. De fait, peu de gens sont au courant. La grève connaît un très grand succès parmi le personnel féminin, mais presque exclusivement parmi celui-ci.
La grève apparaît alors comme un surgissement, une surprise. À Paris, et dans toutes les grandes villes, le personnel du téléphone, du central télégraphique et des chèques postaux, interrompt le service pendant deux heures. Les ordres de Bourse ne peuvent être transmis ni par téléphone, ni par télégramme. À Paris, ce sont 5 000 téléphonistes, soit 95% du personnel féminin, qui font grève ; 2 000 au central télégraphique ; 800 aux chèques postaux. Dans les grands centraux manuels comme l’Interurbain ou Archives, les militantes confédérées demandent l’appui des unitaires[21] qui répondent avec enthousiasme. Dans cette période de division syndicale, c’est exceptionnel ! Dans la soirée, la Fédération postale unitaire organise un meeting et propose par lettre aux confédérés de s’y associer,[22] mais la proposition reste sans réponse.
Le lendemain, les sanctions sont généreusement distribuées. Plusieurs sont révoqués, comme Baylot, le secrétaire du syndicat, Baby, Brousse, Bourget, Vaisette (Paris-Central), Perrin (Lyon) et Schropff (Marseille) ; d’autres sont mis en disponibilité d’office, comme Combes, le secrétaire général de la fédération postale confédérée, Lamy, Crouste, Mme Baron et Mlle Bonnet (Paris), Compadieu et Santagostino (de Marseille). D’autres se voient changés de résidence, comme Dalas, Lafont, Ricard, Dupiol, Tixier, Mège, Champion, Corbière, Saurines (Paris). D’autres encore sont changés de bureau et rétrogradés, comme Dispan (Paris), Chautemps, Lefort et Manson (Lyon). Mlle Deausse, de Paris, est changée de bureau. Quant à Mlle Thomas, elle subit une suspension de deux mois[23]. Mme Baron, militante unitaire du central téléphonique Gutenberg, est soutenue par une pétition unanimement signée, adressée au ministre pour lui demander de bien vouloir réexaminer son cas. Partout, le personnel se mobilise et soutient les sanctionné-e-s. Si bien que, dans les quinze jours, les sanctions sont annulées par le ministre, et tout le monde retrouve son poste.
Le gouvernement fléchit. Il demande à la commission Trépont, de réviser ses travaux.
1925- Affrontements internes au Syndicat National des Agents sur la question de l’égalité de salaire.
En juin 1925, contre l’avis des femmes, le congrès du Syndicat National des Agents avait abandonné la revendication « à travail égal salaire égal« , et s’était prononcé pour l’alignement des Dames-employées sur les Institutrices. Il s’agissait du fruit de tractations passées entre la Fédération postale confédérée et la Fédération confédérée de l’Enseignement, dans le cadre du soutien de la CGT (confédérée) au nouveau gouvernement du Cartel des gauches. Cela ne se fit pas sans les protestations vives des déléguées femmes, comme Mme Stanko et Mlle Thomas, mais rien n’y fit.
À partir du moins d’août, une campagne de dénigrement est menée contre la militante la plus en vue du courant féminin du Syndicat National des Agents : Mme Stanko, qui était aussi la directrice et rédactrice en chef du Journal des téléphones[24], et qui refusait d’abandonner la bataille pour l’égalité. On l’accuse, d’inciter les femmes à se retirer du syndicat et à former un groupement dissident. Tout cela est faux, mais cette affaire connaît une série de rebondissements tout au long de l’automne, jusqu’à qu’elle finisse par se dégonfler. Mais de nouveau Mme Stanko exprime les mêmes idées dans la presse, le Journal des Téléphones d’abord, l’article étant repris dans l’Action féministe. Si bien que le 14 janvier 1926, le conseil syndical lui vote un blâme et le 16 janvier 1926, elle est exclue du Conseil syndical. Des protestations sont votées dans les services, comme au bureau Diderot, où les dames syndiquées et non syndiquées se solidarisent avec elle « en ce qui concerne les critiques qu’elle a élevées au sujet de la tactique employée par le syndicat dans la défenses des intérêts féminins sur la question des traitements« , et la « félicitent de son attitude et l’assurent de leur entière confiance« . De son côté, Mme Stanko continue à militer pour que les femmes ne quittent pas le syndicat, position qu’elle exprimera régulièrement dans tous les meetings où elle prend la parole.
1926- Et les Dames-employées décidèrent de prendre leurs affaires en main !
Le début de l’année 1926 est très actif en termes d’actions revendicatives. Il se tient de très nombreux meetings, de manière rapprochée, avec d’énormes participations de femmes, dans un contexte de grande effervescence dans les services. L’alignement des Dames-employées sur les institutrices ne passe pas.
Le 22 janvier, Combes, le secrétaire de la Fédération postale confédérée, pourtant auréolé de sa révocation, qui vient défendre cette revendication devant 3 000 personnes, est hué. Le 17 février, dans un meeting organisé par les militantes du Syndicat National des Agents, d’autres militants de ce syndicat tentent de monter à l’assaut de la tribune, de remplacer le bureau choisi par un autre, et de faire voter un autre ordre du jour. Mais le coup de force ne réussit pas, les assaillants ayant compté sans la fermeté des assiégées, et la revendication de « salaire égal » est votée par les 3 000 participantes.
Le 18 février 1926, un troisième meeting est organisé par le syndicat unitaire des PTT de la Seine. Plus de 1 000 femmes se pressent dans la salle Jean-Jaurès de la Bourse du travail. Henri Gourdeaux, le secrétaire de la Fédération postale unitaire, préside, assisté de Mmes Merland et Banet. Gourdeaux parle union et unité d’action. Il déplore le conflit entre les fonctionnaires, qui retarde et compromet la question vitale des traitements. Jean Grandel[25], secrétaire national de la FPU, expose la position prise par sa fédération à propos des traitements, à savoir l’égalité de salaire entre les femmes et les hommes, et l’augmentation de tous les salaires. Il réclame la péréquation des commis des PTT avec ceux des contributions indirectes, mais en considérant qu’il faut réparer d’abord l’injustice qui a infériorisé les femmes. Un autre orateur parle des autres revendications des femmes : la maternité, les congés, etc. L’ordre du jour est voté à l’unanimité.
Le 19 février 1926, la question des traitements des PTT est finalement remise à l’ordre du jour du Conseil des ministres. La situation est devenue intenable pour l’administration et le gouvernement du Cartel des gauches. Celui-ci décide donc la création de deux nouvelles commissions, dont une chargée de redresser les erreurs commises aux PTT par la précédente commission.
Fin février ou début mars, un Comité d’entente des Dames des PTT est constitué. Il se compose de militantes appartenant aux 3 syndicats : Confédéré (CGT), Unitaire (CGTU), Féminin (CFTC), et de non-syndiquées. Il se constitue contre l’avis de la Fédération postale confédérée, mais avec le soutien de la Fédération postale unitaire. Ce comité d’entente est reçu par l’Administration et les pouvoirs publics. »Pour la première fois le problème de l’égalité des salaires dans toute son ampleur et le sens profond de sa réalisation est posé« , lit-on dans le Journal des Téléphones de mars 1926. Les dames sont aussi reçues par Président du Conseil — le Président du Conseil, c’est le premier ministre, Laval, — et par le chef de cabinet du ministre des PTT. De son côté, la Fédération postale unitaire est admise à exposer ses vues sur le traitement des postiers à la sous-commission des finances et au Conseil supérieur des PTT. Elle y dépose un rapport général sur la question des traitements dans lequel est incluse l’égalité des salaires.
L’année 1926 est marquée par de multiples rebondissements, de meetings, et de mobilisations. Si bien que le 25 septembre, un décret parait au journal officiel. Il corrige quelque peu les décisions de la commission Trépont. L’écart entre les hommes et les femmes se réduit à 2 000 francs, soit encore 15,4% tout de même[26], mais on est loin de l’égalité de salaire revendiquée.
Le mécontentement reste grand chez les dames employées, même si certaines sont sensibles aux améliorations apportées. Dans de nombreux services, confédéré-e-s et unitaires créent des comités mixtes de vigilance, et incitent les dirigeants des deux fédérations à entrer en rapport. Cette tactique des comités est à l’initiative des unitaires. Cela correspond à leur stratégie d’union à la base. Le Journal des téléphones de septembre appelle les dames employées à aider et à participer à la formation de ces comités. « Il faut faire l’unité pour réveiller l’idéal syndicaliste ; Il faut faire l’unité pour obliger le gouvernement à donner aux postiers des salaires qui leur permettent de vivre. Il faut faire l’unité pour fusionner les forces déclinantes des confédérés, avec les forces neuves des unitaires« [27]
En décembre 1926, le Journal des Téléphones va plus loin encore dans sa prise de distance avec les confédérés. Il ne préconise plus aux dames qui le demandent, de se syndiquer au Syndicat National des Agents, même s’il incite à la syndicalisation. Il dénonce le trucage des élections au Conseil supérieur des PTT, par l’administration, au profit des confédérés. En effet, les bulletins unitaires sont arrivés systématiquement en retard dans les services, et parfois n’ont même pas été proposés au vote au personnel. Enfin le, journal appelle à soutenir la FPU qui organise le 14 janvier 1927 un meeting contre « la barrière », sorte d’arrêt à l’avancement qui rappelait le « tiercement »[28], à l’origine des grèves de 1909.
En 1927, c’est la création de la Ligue des dames des PTT
Dans Le Journal des téléphones de novembre 1926, l’idée d’une Ligue des dames des PTT est avancée. Elle est conçue à l’image de celle qui a existé pendant plus d’une décennie chez les institutrices, et qui avait fortement contribué à la satisfaction, en 1924, de la revendication de l’égalité dans cette corporation.
Elle est créée en février 1927. Initialement il s’agit de prolonger le comité d’entente créé en début 1926, et non de créer un nouveau syndicat, concurrent des autres. L’idée est de fédérer les énergies de tous les syndicats pour faire avancer la revendication de l’égalité. La Ligue est donc créée en association de type 1901. La cotisation est fixée à 10 frs par an et un droit d’adhésion de 2 frs « Unissons nous sans distinction d’opinion syndicale, point n’est besoin pour cela de quitter notre groupement, notre but n’étant que d’obtenir le salaire égal, nous n’étudierons dans notre ligue que les questions se rattachant à cette revendication. (…) une fois notre but atteint, notre association n’aura plus de raison d’être, et nous pourrons apporter notre activité au groupement de notre choix« [29], peut-on lire dans Le journal des Téléphones d’avril 1927, qui se met à son service dès sa création.
Immédiatement, la Ligue fait feu de tout bois. Elle est partout : délégation à la Présidence du Conseil, à la Direction du budget, devant les diverses commissions gouvernementales s’occupant des traitements, auprès des présidents des groupes parlementaires, chez le secrétaire général des PTT (personnage essentiel de l’administration des PTT), etc. À cela s’ajoutent des lettres aux sénateurs et députés, délégations auprès des ministres et parlementaires, communiqués de presse, meetings, etc.
Le 4 mai, elle organise un premier meeting, salle des Sociétés Savantes, auquel participent de militantes confédérées comme des militantes unitaires et plusieurs milliers de dames employées. Prennent la parole successivement : Mme Sapin, Mlle Garrigues, Mme Bernard, Mlle Bonnin, Mlle Noyon, Mme Marie Couette de la Fédération postale unitaire (FPU). Celle-ci explique pourquoi les militantes de la FPU adhèrent, elles aussi, à la Ligue : « parce qu’elle a les mêmes revendications que la FPU« . Pour autant, si la FPU soutient la Ligue, elle craint que les dames employées ne s’isolent des autres catégories. Pour elle, les commis ne sont pas des ennemis comme certaines militantes de la Ligue le formulent. C’est l’ensemble du personnel qui doit se mobiliser pour la revalorisation des salaires, et cette question est absente du programme de la Ligue. Et dans cette bataille, la question de l’unité est essentielle. C’est pourquoi la FPU a pris l’initiative de créer partout des comités d’entente dans les services, pour pousser au rapprochement intersyndical.
Par lettre du 2 juin 1927, le Ministre des Finances crée une seconde Commission Hendlé en vue d’incorporer une indemnité de 12% dans les traitements. La Commission gouvernementale puis le Conseil supérieur des PTT valident une forte progression des salaires féminins. Ce n’est pas encore l’égalité, mais c’est une avancée.
À partir du numéro de juillet 1927, du Journal des Téléphones change de nom et devient Le Journal des Dames des PTT. Le journal rend compte des multiples initiatives et actions pour faire avancer la revendication.
La revendication semble désormais avancer. La commission gouvernementale et le conseil supérieur des PTT se sont prononcés pour un maximum à 15 600 fr. pour les Dames employées. Les 15 600 fr. n’étaient pas la revendication de la Ligue, mais ils marquaient un réel progrès.
Mais, patatras, le Ministre des finances décide unilatéralement de descendre le traitement maximum des dames-employées à 14 000 fr. La revendication concernant l’intégration des 26 000 dames-employées dans le cadre des commis entraînerait, disait-on, une dépense budgétaire de 4 ou 5 millions de francs. Or le budget des PTT s’élève déjà à 30 milliards pour les dépenses. L’objection du coût de la revendication est donc fallacieuse. « Abattement arbitraire pour les petites catégories, restrictions inconcevables pour les moyennes, en revanche plafond largement ouvert pour les hauts fonctionnaires« , résume Le Journal des Dames.
Le 31 août 1927, la Ligue convoque en urgence un meeting salle des Horticulteurs, rue de Grenelle, à Paris, pour riposter à cette décision[30]. Dans ce meeting, aux côtés de la présidente, Mlle Maréchal, et de militantes déjà connues, apparaissent deux nouvelles militantes de la Fédération Postale Unitaire, Mme Laurent du central téléphonique, et Adèle Lecocq. La Ligue semble, alors, se rapprocher un peu plus de celle-ci.
La Fédération postale unitaire soutient, en effet, les revendications légitimes du personnel féminin. Mais dès son premier numéro, la Bataille des PTT, le nouvel organe de la FPU qui vient d’être créé, regrette toutefois que la scission pratiquement consommée entre la Ligue des Dames et le Syndicat des Agents confédéré introduise une division supplémentaire dans le personnel, qui, en fin de compte, sera néfaste. Elle propose une autre démarche à la Ligue qui pourrait, en travaillant au sein des organisations syndicales, obliger le syndicat confédéré à prendre une autre attitude… Elle pourrait, d’autre part, être l’instigatrice d’une action commune entre l’organisation confédérée et l’organisation unitaire qui, elle, et depuis toujours, n’a cessé de défendre l’égalité de salaire[31]. Mais, ce n’est pas l’avis des dirigeantes de la Ligue des Dames. L’antiféminisme, dont les intéressées ont tant souffert, engendre malheureusement son contraire rituel.
Les militantes de la Ligue ne désarment pas. Le 23 septembre, elles déposent sur le bureau de M. Bokanowski, le ministre des PTT, une pétition signée dans 359 bureaux de poste de France et d’Algérie, couverte de 12 806 signatures[32]. Le ministre des PTT promet de défendre énergiquement leurs revendications. Elles multiplient les délégations auprès des parlementaires, des ministres et même du président de la République. Mais le ministre des finances campe sur sa position. En novembre, la Ligue publie un communiqué dans lequel elle constate : « Des centaines de millions ont été affectées au relèvement des salaires des fonctionnaires. En bénéficiaires de cette mesures, les dames-employées ont touché pour une période de quinze mois, la somme de 27 fr. 50, soit une majoration journalière de 6 centimes« [33]. C’est une première désillusion.
Dans la période, des démissions en masse sont enregistrées un peu partout chez les confédérés : le Syndicat National des Agents et la Fédération Postale confédérée sont sévèrement jugés pour leur inaction persistante. La condamnation s’exprime dans toutes les catégories, pas seulement chez les dames employées. Aussi, lorsque la Fédération Postale Confédérée tient ses assises, en octobre 1927, décrète-t-elle… le huis clos ! Le fait est si rare dans la vie syndicale qu’il provoque une curiosité générale. Et comme tout se sait, on apprend qu’une lutte de personnes oppose depuis des années Combes, Baylot, Digat, Tintignac, etc.
Finalement, la crise se dénoue. Le 10 décembre, Baylot et son équipe sont débarquées de la direction du Syndicat National des Agents , et remplacés par une nouvelle équipe conduite par Mathé[34]. Il semble vouloir réorienter le syndicat. Il ne refuse plus le contact avec les unitaires. Et surtout il opère un rapprochement avec la Ligue des dames.
L’année 1928 : vers le dénouement ?
Début 1928, une nouvelle organisation voit le jour : prenant la suite d’un comité de défense des commis et des contrôleurs, l’Association Générale des commis est créée. Dissidente du Syndicat National des Agents, elle considère que celui-ci ne les défend pas. Elle prend le contre-pied de la Ligue des dames. Pour elle, les commis ne feraient pas le même travail que les dames-employées, ce qui ne justifierait pas l’égalité, et le Syndicat National des Agents ne défendrait plus les revendications des commis. Immédiatement l’administration la reconnaît. En février elle sera reçue, avec la Ligue des dames et les organisations syndicales, par une nouvelle commission du parlement, la commission Payelle, chargée de résoudre ce que les précédentes commissions n’avaient pas réussi à faire. Mais dans les services, la division se renforce parmi le personnel.
Cependant les choses semblent bouger. L’administration annonce que le prochain concours de commis sera mixte, et qu’elle va arrêter d’embaucher des dames-employées. Les nouvelles embauchées seront donc des dames-commis.
Sensible aux avances que lui fait la nouvelle direction du Syndicat National des Agents, la Ligue des dames s’éloigne de la fédération unitaire et se rapproche de la fédération confédérée. Le 4 septembre, la Ligue des dames et la Fédération postale confédérée font pour la première fois délégation commune auprès du nouveau ministre des PTT, M. Chéron. Dans les semaines qui suivent, le gouvernement annonce l’intégration par étape des dames employées dans le grade de commis.
L’égalité est-elle gagnée ? Les dirigeantes de la Ligue des dames pensent que oui. Et le 25 octobre 1928, en assemblée générale, la Ligue des dames se dissout, annonçant avoir atteint son objectif. Ses principales militantes réintègrent le Syndicat National des Agents, où Mlle Bonnin, son ancienne secrétaire de la Ligue, entre au bureau.
Derrière cette dissolution de la Ligue, il y a surtout un deal politicien passé entre le Syndicat National des Agents, et les dirigeantes de la Ligue des dames. En fait, il s’agit de renforcer la position du courant Mathé au sein du Syndicat National des Agents. « La dissolution de la ligue est la condition du maintien de Mathé à la tête du syndicat. Ses adversaires, qui sont les adversaires du salaire égal, veulent le faire tomber, justement à cause des relations entre la ligue et le syndicat, ces relations étant anti-statutaires« , justifie Mme Stanko dans le débat de l’assemblée générale de dissolution de la Ligue[35]. D’ailleurs, dans son numéro de novembre 1928, le Journal des dames appelle à voter pour les candidats du Syndicat National des Agents aux élections au conseil supérieur des PTT.
Lors de cette assemblée générale, plusieurs voix s’élèvent contre la dissolution. Mme D’Harcourt, par exemple, « reproche aux dirigeantes de la Ligue de ne pas tenir leurs engagements. On n’a pas le droit de dissoudre la Ligue avant la réalisation de l’égalité de salaire« . (…) Et elle ajoute ne pas croire « possible qu’une fois dissoute, la ligue puisse se reconstituer« . De son côté Marie Couette, intervenant en tant que militante unitaire, rappelle que les unitaires n’étaient initialement pas favorables à la fondation de la Ligue, mais elles y étaient »venues pour défendre le salaire égal« . Pour elle, la Ligue aurait dû rester un « comité d’entente« . À l’évidence la dissolution de la Ligue est un mauvais coup pour l’unité des dames-employées, car Mme Stanko fait voter par l’assemblée un appel aux dames-employées de rejoindre le Syndicat National des Agents. Les militantes unitaires sont donc, de fait, définitivement écartées.
Cependant tout le monde a compris que l’égalité de salaire n’est pas encore gagnée, et les événements vont le confirmer très vite. Le 9 décembre, la Chambre des députés vote le budget des PTT avec la transformation de seulement 2000 emplois de Dames-employées en commis[36]. Le vote est confirmé le 14 décembre au Sénat. Finalement elles se seront que 1 900. On est donc très loin des 26 000 intégrations espérées, et l’on se demande comment la promesse de les intégrer en cinq ans va pouvoir se faire à ce rythme.
1929, il y a encore loin de la coupe aux lèvres !
Patatras, l’intégration des dames-employées dans le grade de commis est annoncée par examen, et non à pas l’ancienneté. Et l’examen se révèle, en fait, être un concours, puisqu’il y a 3 155 candidates pour 1 900 places. S’engage une lutte acharnée pour la suppression de cet examen, que le Syndicat National des Agents ne conteste pas.
Dans le premier semestre de l’année 1929, de nombreux meetings sont organisés régulièrement, rassemblant énormément de femmes, dans un climat de grande effervescence dans les services. Le 6 mars, par exemple, une manifestation est organisée à la Bourse du travail, qui réunit 5 000 dames-employées. Quelques avancées sont obtenues : les premières dames intégrées dans le grade de commis, le seront sans avoir à subir d’examen, si elles ont plus de 45 ans. Mais on commence à parler de la mise à la retraite d’office des plus anciennes, ce qui permettrait de ne pas les promouvoir. Et fin mai, dans les décrets qui sont publiés, on apprend que les commis voient leur salaire terminal augmenté à 17 500 fr., alors que celui des dames est de 15 000 fr. L’écart entre les commis et les dames passe de 2 000 fr. à 2 500 fr. En juin, on apprend que les places proposées définitivement aux lauréates seront très majoritairement dans les services administratifs, et très peu dans les services téléphoniques : un peu plus de 50% à la Poste, 35% au télégraphe, seulement 11% au téléphone. Or les dames employées sont majoritairement au téléphone. Par ailleurs, l’administration annonce l’ouverture d’un concours externe mixte de commis avec seulement 100 places réservées aux femmes, sur un total de 500. De plus les femmes ne pourront y concourir que si elles ont moins de 30 ans.
Comme l’écrit la Fédération unitaire,le « À travail égal, salaire égal vient de recevoir le coup de grâce ». Les événements et l’inaction du Syndicat National des Agents conduisent à la création d’un premier nouveau comité d’entente, cette fois à Paris Chèques. D’autres se créent très rapidement dans les services télégraphiques et téléphoniques. Les militantes de ces comités protestent contre la volonté de mettre en place un examen pour l’accès au grade de commis, examen que ne passent pas les hommes. Le 6 juin, c’est meeting à la Bourse du travail qui rassemble 2000 dames. Le 7 juin, un autre rassemble 800 dames ; 10 et 11 juin, des meetings organisés par les sections des grands centraux téléphoniques parisiens, Carnot, Auteuil, Passy, Laborde, Élysée, Gutenberg, et les Chèques postaux, font salles combles.
À l’automne, la mobilisation se poursuit. Elle se renforce à la suite des déclarations du ministre Germain-Martin qui insulte publiquement les employés des PTT, dans une circulaire publiée le 29 octobre, et reprise par toute la presse. Il parle de « laisser aller » dans les services; pour lui, on « ne redresse pas les relâchements qui ont cessé d’être exceptionnels, [on] excuse les erreurs répétées, [on] pardonne à la mauvaise volonté, etc. » ; il dénonce « la mauvaise tenue de certains bureaux« , blâme « la mauvaise tenue des agents« , etc. Cela provoque une énorme émotion parmi le personnel des PTT qui se sent trahi[37]. Le 5 novembre, une nouvelle grande manifestation contre l’examen est une grande réussite. Puis c’est la crise ministérielle qui dure une dizaine de jours, après laquelle le ministre retrouve son poste.
L’examen prévu initialement les 23 et 25 novembre est reporté deux fois : d’abord aux 13 et 14 décembre, puis, une nouvelle fois, au 25 janvier 1930. Deux catégories de dames sont désormais dispensées de l’examen : les employées de plus de 45 ans, au traitement maximum, et les mères de famille de 40 ans, ayant 3 enfants vivants[38].
Et la mobilisation se renforce encore. Tous les services féminins sont alertés. Le 21 janvier 1930, les manifestations sont massives : 600 dames employées des PTT manifestent devant le ministère. Malgré une force de police imposante (300 policiers), elles réussissent à entrer dans la cour, et pendant ½ heure crient « à bas l’examen ! ». Tout le personnel du ministère est aux fenêtres. La police réussit à faire évacuer les manifestantes, mais en arrêtent 37 qui sont conduites au poste[39].
L’effervescence qu’elles parviennent à créer fait peur au gouvernement qui, finalement, supprime l’examen dans la nuit du 23 au 24 janvier 1930. Et, cerise sur le gâteau, les pourcentages d’intégration selon les branches sont supprimés.
Dans les années 1930, de déceptions en déceptions, l’égalité très lentement.
La crise, qui se développe à la suite du Krach de Wall Street, devient prétexte à une attaque contre le droit du travail des femmes. En novembre 1931, une campagne de presse enfle à la suite de la publication d’un article dans le journal Le Matin, intitulé « Le travail des femmes augmente le chômage et nuit à la famille ». Aux PTT, le gouvernement l’utilise pour accroître le rendement et faire baisser le pouvoir d’achat. Une circulaire administrative donne ordre aux receveurs de diminuer les salaires des auxiliaires. Le nombre de transformations d’emplois de Dames-employées en Commis est réduit de moitié en 1931, puis limité à 100 en 1932.
Le Syndicat National des Agents (confédéré) ne dit rien. Seul le Syndicat Unitaire proteste. Des meetings sont organisés par des services, comme celui du 13 juin 1933, salle des Sociétés Savantes, par les téléphonistes de la région parisienne. Elles obtiennent du ministre la promesse que 1 180 dames seront immédiatement nommées commis. La mobilisation relance donc l’égalité.
Arrive le 6 février 1934. Les ligues factieuses tentent de prendre d’assaut l’assemblée nationale. La riposte s’organise et, le 12 février, des millions de travailleurs se mettent en grève. La grève est massive dans les PTT, notamment parmi le personnel féminin. Des piquets de grèves sont organisés à l’intérieur et à l’extérieur des centraux téléphoniques, comme à Paris-Inter ou au central Roquette. Mais de nouveau le gouvernement ampute de 5 à 10% les traitements des travailleurs de l’État. L’égalité de traitement et l’intégration des Dames-employées dans le grade de commis tombent de nouveau dans les oubliettes.
Dans les années suivantes, la lutte pour les salaires, dans un contexte de grand mouvement vers l’unité syndicale et le Front populaire, mobilise les travailleurs. Mais la victoire du Front populaire ne fera pas avancer la question de l’égalité, pas plus qu’elle ne fera avancer d’ailleurs celle de la réduction du temps de travail aux PTT.
En 1937, il restait encore 13 000 dames employées à ne pas avoir été intégrées dans le grade de commis, sans compter celles qui furent contraintes de prendre leur retraite sans avoir été intégrées dans ce grade (pourtant promis en 1928), pendant la période de restrictions budgétaires et de baisse de traitement décidées au début des années 1930. Lors d’un conseil national de la Fédération postale réunifiée, en 1937, seules les femmes soutiennent l’ordre du jour déposé dans le sens de l’égalité, proposé par Marie Couette (ex-CGTU)[40]. La bataille pour l’égalité était loin d’être terminée.
Après l’acquis de la suppression de l’examen en 1930, le statut des fonctionnaires (1946) est la seconde grande avancée des luttes des femmes.
À la Libération, la création du statut de la Fonction publique résout, en partie, la question de l’égalité femmes/hommes, en instaurant des grilles indiciaires liées aux grades, quel que soit le sexe de l’individu, sans avoir réglé pour autant la question de l’égalité des déroulements de carrières entre les femmes et les hommes. Mais ceci est une autre histoire.
De plus, lorsqu’il s’est agi d’intégrer les anciens grades dans les nouvelles carrières, les choses ne furent pas si simples. En effet après la Libération, des réformes vont transformer automatiquement les commis en contrôleurs, puis en inspecteurs (catégorie A de la fonction publique); mais elles vont maintenir les dames-commis d’avant-guerre dans le grade de contrôleur (catégorie B de la fonction publique). Et l’histoire ne nous dit pas ce que sont devenues les Dames-employées d’avant-guerre. De fait, les Dames-commis perdent l’égalité avec leurs collègues masculins qui, eux, ont réussi à se faire intégrer dans une catégorie supérieure.
[1] Il s’agit du 2e congrès international du droit des femmes, le premier ayant eu lieu pendant l’exposition universelle de 1878.
[2] Le Soleil, 1er juillet 1889, p2 ; Le Parti ouvrier, 3 juillet 1889, p3 ; etc. (Rétronews)
[3] Peggy Bette, Les femmes dans les métiers des postes et des télécommunications (années 1880-1980), 2014).
[4] Jeanne Bouvier, Histoire des dames employées dans les Postes télégraphes et téléphones de 1714-1929, Impr. des Presses Universitaires de France, 1930 (BNF), p 141.
[5] Journal officiel de la République française (Annexes), 16 février 1896, p 1137 (Budget de Postes et Télégraphes), chiffres repris dans le numéro du 10 mai 1935, page 1943.
[6] La Vie-Ouvrière, 15 septembre 1933
[7] Journal officiel, séance du 21 octobre 1891, cité par Jeanne Bouvier, ouvrage cité, p 154
[8] Journal officiel de la République française (Annexes), 16 février 1896
[9] Pour réduire l’importance de l’écart de salaire entre les hommes et les femmes, le rapporteur insérait cette information « tandis que celui d’un commis auxiliaire est de 1700 fr. ».
[10] Journal officiel de la République française (Annexes), 16 février 1896, p 1138. Le salaire moyen de 1400 fr. n’avait pas varié jusqu’à, au moins 1900.
[11] Jeanne Bouvier, ouvrage cité, p 132.
[12] Journal officiel de la République française (Annexes), 26 avril 1908, p 1844.
[13] JO (Annexes), 16 février 1896, p 1137.
[14] JO (Annexes), 14 février 1894, p 1868.
[15] Madeleine Vignes, Le Journal des Dames, féminisme, syndicalisme dans les PTT de 1934 à 1937, p 88
[16] Le droit syndical étant interdit aux fonctionnaires, ils s’organisent en association loi 1901. L’Association Générale des Agents, ou AG, est la grande organisation de cette catégorie de personnel dans le premier quart du 20e siècle.
[17] Le journal des Téléphones, avril 1927, BNF cote JO-56448.
[18] Idem
[19] Le journal des Téléphones, n°25, daté du 25 septembre 1925.
[20] L’information sociale, 1er octobre 1925
[21] La Fédération postale unitaire (FPU) est une fédération issue de la scission dans la CGT en 1922. Elle est proche du parti communiste.
[22] Le journal des Téléphones, ibid, sept 1925.
[23] Le journal des Téléphones, n°26, octobre 1925.
[24] Le journal des Téléphones est un journal catégoriel féminin, créé par un collectif de militantes du Syndicat National des Agents .
[25] Jean Grandel, fut plus tard maire de Gennevilliers (Seine, Hauts-de-Seine) de 1934 à 1939, et conseiller général du canton d’Asnières de 1934 à 1939. Arrêté en juillet 1940, il fut fusillé comme otage le 22 octobre 1941 à Châteaubriant (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique)
[26] Le journal des Téléphones, avril 1927, BNF cote JO-56448
[27] Le journal des Téléphones, septembre 1926, ibid
[28] Le tiercement était une règle d’avancement sous la forme d’1/3 au choix, 1/3 au demi-choix, et 1/3 à l’ancienneté. Précédemment il était à 100% au choix.
[29] Le journal des Téléphones, avril 1927 ;
[30] L’Information sociale, 29 septembre 1927
[31] La Bataille des PTT, n°1, octobre 1927, citée par Georges Frischmann dans L’Histoire de la Fédération postale ; note 11, p273
[32] L’écho d’Alger, 24 septembre 1927, Le Journal des Dames
[33] Le Quotidien, 9 novembre 1927.
[34] Mathé restera le secrétaire du Syndicat National des Agents jusqu’en 1935
[35] Le journal des dames des PTT (ex Journal des Téléphones), novembre 1928,
[36] Mémorial de la Loire et de la Haute Loire, 10 décembre 1928
[37] Madeleine Vignes, le Journal des Dames, p 211.
[38] L’œuvre, 11 décembre 1929
[39] L’information sociale, 21 novembre 1929
[40] Madeleine Vignes, ouvrage cité.