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Le port de Rouen

Sur les quais

Par Serge Laloyer

Déchargement de navire sur le port de Rouen en 1955

Au cours des dernières décennies, les activités portuaires ont glissé progressivement hors du centre de Rouen vers l’aval. Cette situation a été nécessaire pour construire des ponts, aménager des voies de circulation automobile. L’augmentation des tonnages des navires et la modification des types de transport, l’apparition des conteneurs ont exigé de nouveaux espaces vers l’ouest de Rouen.

Pour assurer son activité un port emploie plusieurs corps de métiers : les marins et officiers du remorquage, les lamaneurs, les personnels du Port Autonome, les grutiers, les ouvriers d’entretien des installations, du draguage du chenal, les dockers.

Dans cet article, nous nous intéresserons à la corporation des dockers.

En 1982, les autorités portuaires décidaient de mettre en place un nouveau lieu d’embauche des ouvriers dockers se trouvant plus près des lieux de travail à Grand-Quevilly. L’ancien lieu était implanté rive droite, à l’endroit où en 2008 passe le 6ème pont, le pont Flaubert.

Avant d’être démoli, il servait de siège au syndicat CGT des ouvriers du port. Pour les salariés du port, ce bâtiment suffisamment imposant pour recevoir chaque matin 1 500 à 2 000 dockers, était appelé le Bureau Central de la Main d’Œuvre (BCMO). Construit après la guerre il fut complété en 1961 d’un foyer de restauration et de détente pour les ouvriers.

Pour des générations de dockers, ce n’est pas seulement le lieu d’embauche, c’est aussi le souvenir de durs combats pour défendre les conditions de travail, l’outil de travail, pour exprimer leur solidarité avec les peuples en lutte pour leur indépendance, pour maintenir la paix.

Avec ces changements et le nouveau visage de la vie portuaire il nous a paru opportun de rappeler certains aspects de ces combats.

Profession docker :

La profession, ses principes de fonctionnement, son statut sont souvent méconnus. Il nous a semblé utile de les faire connaître.

Au 19ème siècle et jusqu’aux années 1930, l’ouvrier du port n’est protégé  par aucune convention collective, et l’embauche, le salaire, sont établis selon le bon vouloir patronal. Il faudra attendre le 6 septembre 1947 pour que l’organisation du travail de manutention dans les ports soit réglementée par une loi.

La loi va instituer la reconnaissance de la profession en imposant aux patrons que les opérations de déchargement et chargement des navires ainsi que les opérations sur des terre-pleins ou sous les hangars, dans la limite du domaine public d’un port, soient effectuées par des ouvriers dockers titulaires d’une carte professionnelle.

Dans chaque port sera fixé le nombre maximum de dockers professionnels (2 000 à Rouen). Si le trafic le nécessite, il sera fait appel à des occasionnels.

Pour assurer l’application et le contrôle de cette loi, a été crée un Bureau Central de la Main d’Oeuvre dans chaque port maritime. Cet organisme est paritaire, il est présidé par le directeur du port et comprend trois représentants des ouvriers dockers et de la maîtrise, trois représentants des entreprises de manutention.

Ce BCMO est chargé du contrôle de l’embauche, des classifications des ouvriers, de la répartition du travail entre dockers professionnels et des garanties en cas de chômage. La mise en place de ces dispositions a nécessité la création de services administratifs ainsi qu’un lieu permettant de rassembler quotidiennement les dockers pour l’embauchage et la répartition du travail, d’où la construction dans tous les ports d’un équipement adapté.

Ce rassemblement quotidien va permettre d’assurer la cohésion entre les ouvriers, la participation des représentants syndicaux à la répartition du travail. Leur présence au conseil d’administration du Port Autonome donnera une grande autorité au syndicat. Ce seront aussi des éléments de solidarité et d’unité de la profession. Dans le port de Rouen les dockers sont syndiqués à la CGT.

siège du syndicat des dockers en 1950

Le syndicat général des ouvriers du port.

Le syndicat général regroupe tous les ouvriers, les chefs de service dont beaucoup sont issus de la profession de docker, les contremaîtres ou chefs d’équipe, les pointeurs permanents.

Arrêtons-nous sur le fonctionnement du  syndicat : pour les catégories autres que celle des dockers, elles étaient représentées par des sections catégorielles.

Une fois par an, les adhérents sont appelés à voter pour élire le conseil syndical. Daniel Brugot et Michel Pierre, deux responsables syndicaux expliquent (dans un article d’Éric Cuillaud des Cahiers du GRHIS) que le vote a lieu à bulletin secret pour une liste de 21 ouvriers composée de l’équipe syndicale sortante, complétée par une liste sur laquelle quiconque le souhaite peut s’inscrire, sous réserve qu’il soit syndiqué et à jour de ses cotisations.

Le conseil syndical élu comprendra 21 militants, 17 dockers et 2 membres de chaque section technique. Ils éliront un bureau à bulletin secret qui sera chargé avec le secrétaire général du fonctionnement du syndicat.

Le syndicat comprend les délégués aux litiges, les trois contrôleurs d’embauche au BCMO, le délégué aux œuvres sociales, le délégué à l’hygiène et la sécurité et un trésorier.

Il y a aussi les représentants syndicaux au conseil d’administration du BCMO et à la CAINAGOD (Caisse Nationale de Garantie des Ouvriers Dockers). Seuls les traitements du Secrétaire Général et du trésorier sont payés par l’organisation syndicale.

Les ouvriers sont convoqués en assemblée générale régulièrement. Si une décision ou prise de position devait être décidée, cela se faisait à main levée. Dans ces assemblées chacun pouvait s’exprimer en demandant la parole, la seule condition était d’être à jour de ses cotisations.

Le fort taux de syndicalisation résulte de plusieurs facteurs. Chez les dockers les relations d’homme à homme jouent pleinement, elles reposent souvent sur des liens familiaux et sur le fait que la puissance du syndicat est une garantie pour maintenir et améliorer l’acquis.

Foyer des dockers

Sur le port « être docker, ça se mérite de père en fils ».

C’est la réponse de Michel Alexandre secrétaire général du syndicat CGT à une journaliste qui lui demandait comment on devient docker. Un ouvrier rajoutera « je suis heureux d’être docker, comme l’était mon père, ça plaît bien à mon fils qui travaille avec moi. Sur le port on a la liberté, la camaraderie, la solidarité ».

C’est cette philosophie qui fera la force du syndicat CGT et qui permettra de battre en brèche les mauvais coups du patronat et des gouvernements, qui arrachera des succès revendicatifs, qui permettra d’aider les travailleurs d’autres professions en lutte et d’assurer une solidarité efficace.

La camaraderie est indispensable pour pouvoir travailler en équipe, la solidarité, elle, se manifeste quotidiennement. Raymond Rooryk, un dirigeant du syndicat explique : « la mise en place des équipes s’effectue par routine: les jeunes prennent les postes les plus difficiles, les anciens, on leur attribue de préférence les travaux les moins pénibles. Toujours par solidarité, c’est un principe».

C’est une profession qui a un grand esprit de responsabilité que même le patronat reconnaîtra. Un ancien président de l’Union Nationale de Industries de la Manutention déclarera "les dockers en une génération ont réussi une montée sociale unique dans les divers corps de métier, les dockers ont aujourd’hui un véritable pouvoir avec lequel il faut composer, mais ils ont acquis une maturité suffisante pour qu’on puisse discuter avec eux. Dans le respect réciproque des objectifs de chacun, un juste équilibre doit être trouvé entre l’amélioration de la situation sociale des dockers et l’amélioration de la technicité de la manutention, domaine où les ports français sont en retard, bien que les dockers n’aient jamais fait opposition au progrès technique"

Une fois n’est pas coutume que le patronat reconnaisse des qualités aux ouvriers, il est donc normal de le signaler.

Conteneur revendicatif en 1990

Défendre le statut c’est défendre le port :

Avant d’aborder les luttes menées pour défendre le statut de 1947 qui régit la profession de docker, montrons comment s’effectue l’embauche quotidienne des ouvriers.

Chaque jour, dès 6 h 30, les dockers se rassemblent dans le hall d’embauche (BCMO) des équipes se forment autour d’un responsable de bordée. Dans des cabines installées autour du hall, les contremaîtres représentant les transitaires rythment la cadence d’embauche par le jeu de lumière rouge et verte installé sur la façade de la cabine. Rouge c’est fini, les ouvriers qui n’ont pas été embauchés vont pointer pour toucher une indemnité de chômage.

Cette indemnité leur est versée par la Caisse Nationale de garantie des ouvriers dockers (CAINAGOD). Elle est financée par une contribution patronale en pourcentage des rémunérations totales brutes payées aux dockers, le taux est fixé par arrêté ministériel. Il en est de même pour l’indemnité versée aux dockers professionnels, son montant est fixé par un arrêté.

Les attaques patronales contre la loi de 1947.

Le patronat portuaire n’a jamais accepté les garanties statutaires obtenues par la profession.

Prenant prétexte de concurrence internationale, de coût de la main d’œuvre des ports français présenté comme étant supérieur aux ports étrangers, de la nécessité d’harmoniser par le bas les salaires directs et indirects au nom de l’indispensable construction européenne. Aidé par les gouvernements successifs à partir de 1969, il tentera de modifier les conditions d’embauche et de rémunération des dockers.

En septembre 1969, le ministre de l’Équipement et des transports, les employeurs de manutention, les armateurs, les directions des Ports s’attaquent aux garanties statutaires. Leurs propositions sont :

- supprimer la cotisation patronale pour le plus grand nombre possible d’ouvriers,

- avoir le droit d’embauchage et de licenciement sans passer par le BCMO,

- réduire le nombre d’hommes dans les bordées,

- supprimer la limitation du poids par palanquée,

- réviser les horaires de travail.

A la suite de plusieurs arrêts de travail, le gouvernement va reculer, pas pour longtemps. Dès juin 1970, dans un article paru dans l’Avenir des Ports (journal de la fédération CGT) Gaston Henry explique que le ministre des transports Albin Chalandon se rend bien compte que les dockers ne pourront être embauchés tous les jours, il prévoit une société de main d’œuvre composée exclusivement d’employeurs, ce qui remet en cause le principe du BCMO.

A la tribune de l’Assemblée Nationale, il déclarera : « L’État doit se libérer d’un certain nombre de charges et faire appel à l’investissement privé ».

Les patrons iront dans ce sens en installant des moyens de stockage hors zone portuaire, ce qui permet l’utilisation d’une main d’œuvre ne relevant pas du statut des dockers.

information syndicale

Ce que vise le gouvernement, c’est la privatisation du domaine public que sont les quais, les hangars de stockage, les engins de levage. Ceci représente en 1970 pour le port autonome de Rouen : 13 500 mètres de quai, une zone d’occupation de 2 140 hectares et 7 258 hectares d’extension réservés entre Rouen et l’estuaire de la Seine.

Le port c’est 210 kilomètres de voies ferrées, 150 000 m2 de hangars, des silos de stockage de 140 000 tonnes de céréales, 210 grues de 3 à 150 tonnes de levage, 3 postes roll-on/roll-off, des pontons et side-loader pour les conteneurs auxquels s’ajoutent 3 docks flottants pour la réparation navale et les remorqueurs et engins de dragage , 21 000 m2 de hangars  pour les bananes dont le trafic sera supprimé au profit du port du Havre quelques années plus tard.

Cette énumération montre l’importance de la bataille pour protéger le bien public et l’intérêt national qui concernera les dockers mais également les personnels employés dans les différentes activités portuaires.

La bataille contre ces projets gouvernementaux va durer 9 mois. Dans le port de Rouen, les dockers sont réunis en assemblée générale plusieurs fois par mois pour décider des arrêts de travail, de la suppression des heures supplémentaires, du travail de nuit et du dimanche.

Supprimer les heures de nuit et du dimanche c’est empêcher les navires de quitter le port, de pouvoir profiter de la marée donc de rester un ou plusieurs jours en plus à quai. Un navire immobilisé représente une dépense de 3 à 4 millions de francs par jour en 1972.

Au mois de novembre 1972 la fédération CGT des Ports et Docks pouvait déclarer : "Le gouvernement, les banques Rothschild, Worms et des Pays-Bas qui dominent l’économie du pays en général et l’économie portuaire en particulier n’ont pas réussi leur  mauvais coup grâce à l’unité de tous les ouvriers rassemblés autour de leur fédération "

Les patrons ne vont pas abandonner leurs projets, ils vont utiliser la presse pour faire passer l’idée que ce sont les exigences des dockers et des personnels des ports autonomes qui mettent en cause l’avenir portuaire du pays.

Le 28 novembre 1972, le journal Le Monde titrait « les armateurs dénoncent les grèves répétées des ouvriers de la manutention, ces grèves sont un arrêt de mort pour les ports français ».

La lutte contre la privatisation des quais va se poursuivre, en septembre 1973, dans le port de Fos-Marseille, la société SOLMER fait décharger du navire « ORESTIA » 18 300 tonnes de manganèse sans employer de dockers ni de personnel du Port autonome pour conduire les engins de déchargement, c’est la première mise en application des orientations du ministre Chalandon. La riposte ne se fait pas attendre. Le 4 octobre la grève est générale pour 24 heures dans tous les ports du pays.

Aseemblée générale des ouvriers dockers Assemblée générale en 1989 Michel Alexandre

Faire échec à toute tentative patronale.

La lutte des dockers et du personnel du port (grutiers, conducteurs d’engins) va se poursuivre.

Le 16 octobre 1973 à l’occasion de l’inauguration du nouveau siège du Port Autonome par le ministre de l’équipement, débrayages et manifestations, du 29 octobre au 4 novembre suppression des heures supplémentaires.

Le 21 janvier 1974 suite au déchargement du navire « Lucy » par la SOLMER à Fos sans employer de personnel portuaire : nouvel arrêt de travail.

Le 3 juillet voilà le « Hellen » qui une fois de plus fait son entrée chargé de 120 tonnes d’armes en provenance des USA, malgré les pressions de la direction du port qui supprime le salaire garanti, les dockers ne déchargeront pas le navire.

Dans les mois qui suivent, le « Fronsac » tentera de faire décharger 30 tonnes d’armes et de munitions et devant le refus des dockers de Rouen, il fera comme le « Pomerol » il tentera le coup au Havre, les dockers refuseront, il en sera de même à Dieppe.

Le 20 juillet 1954 c’est le cessez le feu en Indochine. Les peuples du Vietnam, du Cambodge et du Laos en ont fini avec le colonialisme français, les ouvriers du port comme les travailleurs des autres professions ont été partie prenante de cette victoire contre la guerre et pour le droit à l’autodétermination de ces peuples.

Paix en Algérie !

Le 1er novembre 1954 une nouvelle guerre d’indépendance commence en Algérie, elle durera huit longues années. Seule la CGT en tant qu’organisation syndicale, va affirmer dès le début du conflit son soutien aux aspirations d’indépendance du peuple algérien.

Des milliers d’actions sous des formes diverses, grèves, manifestations, opposition au départ des soldats rappelés vont montrer dans tout le pays et en Seine-Maritime la volonté des travailleurs, des enseignants, des étudiants, de diverses organisations de jeunesse , de partis politique (PCF, PSU), d’intellectuels, d’en finir avec ces guerres coloniales et de respecter le droit des peuples à s’émanciper et à décider eux-mêmes de leur destin. Les ouvriers du port de Rouen seront partie prenante de cette longue et difficile lutte.

Le 6 octobre 1955 ils participeront à une manifestation de solidarité organisée par la CGT et le PCF pour soutenir les rappelés de la caserne Richepanse retranchés dans leur caserne pour s’opposer à un départ au Maroc. La répression s’abattra sur les manifestants. Cette lutte durera 3 jours avant que les soldats soient embarqués dans des camions encadrés de CRS. Dix-huit soldats seront arrêtés et neuf inculpés.

Les 12 et 17 mai 1956 les dockers de Rouen refusent de charger du matériel de guerre à destination de l’Afrique du nord. Menacés de sanction, le port se met en grève.

Les corps des soldats morts dans les combats rentrent en France par bateau. à chaque fois qu’un navire arrivera en provenance d’Algérie porteur d’un cercueil de militaire, les dockers arrêteront le travail sur le bateau et refuseront le déchargement.

Le 24 avril 1961, les ouvriers du port arrêteront le travail pour la Paix en Algérie et contre les agissements de l’OAS.

Le 19 mars 1962, le cessez le feu est décrété en Algérie, le peuple algérien a obtenu son indépendance. La France en a fini avec les guerres coloniales. Les pays d’Afrique noire obtiennent leur émancipation.

Pas de pause pour la solidarité.

Le 19 juillet 1966 le syndicat appelle les dockers à manifester leur soutien aux Vietnamiens en lutte contre l’agression de l’armée américaine en ces termes :

«  Vous avez le 4 et le 16 juillet 1966 sur le terre-plein d’embauche, écouté avec la plus grande attention, les prises de parole des camarades Rooryck Raymond du syndicat général des ouvriers du port de Rouen, de Georges Hacquet, secrétaire de l’Union locale de Rouen et de Marcel Letessier secrétaire de l’Union départementale sur la situation dramatique actuelle au Vietnam.

Après avoir pris conscience de l’extension que pourrait prendre la guerre du Vietnam sur le plan mondial, suite aux bombardements des populations civiles de Hanoï et de Haiphong ainsi que de nouvelles troupes envoyées dans ce pays de façon à opprimer ce peuple qui n’aspire qu’à la paix et la liberté, vous avez voté dans une résolution au cours de la prise de parole du 4 juillet 1966, de mettre tout en œuvre à chaque fois que cela sera jugé nécessaire pour que le gouvernement français exige du gouvernement américain, la cessation de la guerre au Vietnam et le retrait immédiat des troupes américaines de ce pays.

C’est pourquoi, aujourd’hui 20 juillet 1966, 12ème anniversaire des accords de Genève, à l’appel de votre syndicat, vous arrêterez tous les travaux du port sans exception ce matin de 10 heures à 10 heures 30 et cet après-midi de14 heures 30 à 15 heures.

Cela pour que le gouvernement français exige du gouvernement américain : La cessation des bombardements contre la république démocratique du Vietnam, la fin de l’agression américaine contre le peuple du Sud Vietnam, et l’application stricte et complète des principes des accords de Genève du 20 juillet 1954 garantissant l’indépendance, la souveraineté et la réunification du Vietnam. »

Le 12 septembre 1967 une délégation des syndicats du Nord Vietnam conduite par son président Huang-Quoc en visite en France  pour remercier la CGT, le PCF et le mouvement de la Paix du soutien qu’ils assurent à son peuple, a exprimé le désir de rencontrer les dockers de Rouen. A 6H 30 ils seront 1 500 dockers rassemblés devant le BCMO. Ils ont répondu à l’appel d’André Rock, secrétaire général du syndicat qui dans un tract déclarait : «  Au moment où l’agresseur américain, sans souci des vies humaines, pratique la surenchère de l’escalade, une délégation syndicale de la République Démocratique du Vietnam est à Rouen. Connaissant la traditionnelle position des dockers en faveur de la paix elle a exprimé le désir d’avoir un contact humain avec vous. » Lors du meeting, André Rock rappellera que 38 fois les dockers de Rouen ont refusé de charger ou décharger du matériel de guerre. La délégation vietnamienne sera reçue dans la journée dans les locaux de l’Union départementale CGT, en présence de plusieurs centaines de militants, où Bernard Isaac secrétaire général, et Léon Mauvais secrétaire confédéral réaffirmeront le soutien des organisations de la CGT.

Le lendemain, la délégation se rendra au Havre où elle sera accueillie dans le hall de la gare par près de 1 000 travailleurs havrais. La visite se terminera par une entrevue avec René Cance, maire communiste du Havre.

Un mois plus tard le 20 octobre 1967, les ouvriers portuaires seront appelés à cesser le travail à 17 heures pour assister au  meeting de solidarité, place des Emmurées à Rouen, organisé par le Mouvement de la Paix, la CGT et le PCF.

Samedi 16 mars 1968, nouvel arrêt de travail à 16 heures pour «  que la juste cause d’un peuple soit respectée, pour que le droit triomphe de l’ignominie »  déclare la direction syndicale en appelant les ouvriers à participer à la manifestation de soutien au Vietnam  organisée par plusieurs organisations. Cette solidarité se poursuivra jusqu’à la fin du conflit ce qui a valu une reconnaissance particulière des autorités vietnamiennes. Le 29 juin 1972 à l’appel de la Fédération CGT des Ports et docks, journée d’action et de collecte de fonds. Hanoï enverra un télégramme de remerciements à la Fédération : « Avons appris avec joie arrêts de travail par dockers à Rouen, Nantes, Nice, Bordeaux le 29 juin en signe de solidarité avec le peuple vietnamien – stop – apprécions hautement noble geste et considérons comme encouragement à notre lutte – stop – vous prions transmettre en notre nom aux dockers intéressés nos remerciements et salutations » TACODO.

En septembre 1972, la Fédération des ports et docks remettait 7 000F collectés sur les ports aux représentants du gouvernement provisoire révolutionnaire de la république du Sud Vietnam dont une délégation était à Paris pour les négociations avec les États-Unis.

Le chef de la délégation Le Trung Nam transmettait ses remerciements aux dockers en ces termes :Notre chef adjoint de la délégation Nguyen Van Tien nous a transmis le chèque de 7 000 nouveaux francs que vous avez envoyé pour notre peuple en lutte contre l’agresseur américain. Nous voudrions profiter de cette occasion pour vous adresser, à vous et à tous les camarades nos sincères remerciements pour leurs activités constantes envers notre peuple ».

Comme nous pouvons le constater les dockers ont joué un rôle important dans le formidable élan de solidarité sous les formes les plus diverses, en faveur du peuple Vietnamien jusqu’à la chute de Saïgon et la débâcle de l’armée US le 30 avril 1975.

Ne pas oublier les amis de la profession.

En 1972 plus de 4 000 dockers des ports britanniques sont en grève pour exiger la libération de cinq dockers emprisonnés parce qu’ils défendaient les revendications et le droit de grève que le premier ministre conservateur M. Heath voulait remettre en cause. La Fédération des ports et docks rappelle que la lutte que mènent les dockers britanniques ne peut laisser sans réaction puisqu’il s’agit d’une lutte pour le droit du monde du travail, pour la liberté et elle appelle à refuser d’effectuer les opérations de manutention sur toutes les marchandises en provenance  ou à destination des îles Britanniques afin d’obtenir la libération des ouvriers emprisonnés, l’abrogation de la loi anti-grève ; quelques jours plus tard les dockers anglais seront libérés.

Aidons la grèce

En 1970, à la suite d’un coup d’État, l’armée prend le pouvoir. Le pays est dirigé par des colonels d’extrême- droite. Le gouvernement français est plus que timide pour condamner ce coup d’État. La commission des communautés européennes à laquelle participe la France se contentera de reconsidérer son accord de coopération avec le gouvernement des colonels.

Les libertés sont mises à mal   dans le pays, interdiction des partis politiques, arrestations, emprisonnement etc… C’est dans ce climat que les pouvoirs publics français ont autorisé la venue dans le port de Rouen de deux navires de la marine militaire grecque et organise des réceptions en leur honneur. Le syndicat du port organise la riposte en réaffirmant sa solidarité avec le peuple grec et exige le départ immédiat des navires et effectue un arrêt de travail le matin et le soir : le port s’arrêtera à 19 heures. Les bateaux repartiront. Ce régime des colonels terminera son abominable règne en 1974.

Halte à la terreur fasciste au Chili !

Le 11 septembre 1973, l’armée chilienne aux ordres du Général Pinochet organise un putsch fasciste et renverse le gouvernement démocratique de Salvador Allende. Dans toute la France l’indignation des travailleurs se manifeste. Les dockers de Rouen feront une grève de 24 heures par solidarité avec le peuple chilien.

Avant le putsch les dockers du Havre avaient manifesté leur solidarité au gouvernement populaire du Chili en s’opposant à la saisie par une compagnie américaine de 1 200 tonnes de cuivre chilien du navire « Birte-Olendorff ». Le congrès permanent d’unité syndicale des travailleurs d’Amérique latine transmettra ses remerciements aux dockers du Havre.

Depuis près d’un siècle, les travailleurs, les peuples de nombreux pays ont reçu le soutien à leur cause des ouvriers du port de Rouen.

Solidaire des travailleuses et travailleurs de l’agglomération de Rouen.

Le syndicat des dockers a souvent été amené à assurer son soutien sous diverses formes aux salariés en butte à la résistance patronale.

Prenons seulement deux exemples significatifs de la combativité des ouvriers portuaires.

En 1973 les métallos de la CFEM, usine de construction métallique se trouvant sur le port, sont en grève pour obtenir une augmentation des salaires. La police intervient et déloge les piquets de grève. Dans la nuit suivante la direction aidée par une entreprise de l’est de la France tente de charger sur un cargo une pièce de 300 tonnes sous la protection des CRS. Le matin à 7 heures, les dockers refusent de prendre le travail, font échouer l’opération de chargement. Dans la journée la direction de la CFEM conclut un accord salarial avec les délégués CGT des métallos. Le travail reprend sur le port.

En 1974, l’entreprise de transport Lohéac de Grand-Couronne licencie trois délégués CGT. Malgré le refus de l’Inspection du travail et la condamnation par le Conseil des Prud’hommes à la réintégration des délégués, le patron s’obstine et multiplie les provocations contre la CGT. En assemblée générale, les dockers sur proposition du syndicat refuseront de charger les camions Lohéac jusqu’à la réintégration et l’indemnisation des licenciés. Cette position sera appliquée jusqu’en 1982 l’entreprise ayant fini par accepter l’indemnisation des délégués.

Les ouvriers des ports ont joué un rôle déterminant pour le progrès économique de la Seine-Maritime.

Leurs syndicats ont toujours fait de l’internationalisme de la Confédération Générale du Travail un engagement permanent pour faire grandir la solidarité internationale, élément indispensable pour construire un syndicalisme international permettant de faire face aux enjeux de luttes de classe.

Leur solidarité avec les travailleuses et les travailleurs en lutte dans l’agglomération de Rouen a toujours été voulue comme une contribution à l’unité des travailleurs et au développement du syndicalisme CGT.

 Bibliographie et sources :

- Archives du syndicat CGT du port de Rouen

- Cahiers du GRHIS n° 7 – Groupe de Recherche d’Histoire de l’Université de Rouen.

- L’Avenir des Ports – journal de la fédération CGT des ports et docks.

- Paris-Normandie – avril 1980.

- Avenir de Seine-Maritime.

- Le port de Rouen par G Bouju - 1970

 

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