Le
port de Rouen
Sur les
quais
Par
Serge Laloyer
Au
cours des
dernières décennies, les activités
portuaires ont glissé progressivement hors du centre de
Rouen
vers l’aval.
Cette situation a été nécessaire pour
construire
des ponts, aménager des voies
de circulation automobile. L’augmentation des tonnages des
navires et la
modification des types de transport, l’apparition des
conteneurs
ont exigé de
nouveaux espaces vers l’ouest de Rouen.
Pour
assurer son activité un
port emploie plusieurs corps de métiers : les
marins et
officiers du
remorquage, les lamaneurs, les personnels du Port Autonome, les
grutiers, les
ouvriers d’entretien des installations, du draguage du
chenal,
les dockers.
Dans
cet article, nous nous
intéresserons à la corporation des dockers.
En
1982,
les autorités portuaires décidaient de
mettre en
place un nouveau lieu
d’embauche des ouvriers dockers se trouvant plus
près des
lieux de travail à
Grand-Quevilly. L’ancien lieu était
implanté
rive droite, à l’endroit où en 2008
passe le 6ème
pont, le pont Flaubert.
Avant
d’être démoli, il servait de
siège au
syndicat CGT des ouvriers du port. Pour
les salariés du port, ce bâtiment suffisamment
imposant
pour recevoir chaque
matin 1 500 à 2 000 dockers,
était
appelé le Bureau Central de la
Main d’Œuvre (BCMO). Construit après la
guerre il
fut complété en 1961 d’un
foyer de restauration et de détente pour les ouvriers.
Pour
des générations de dockers, ce n’est
pas seulement
le lieu d’embauche, c’est
aussi le souvenir de durs combats pour défendre les
conditions
de travail,
l’outil de travail, pour exprimer leur solidarité
avec les
peuples en lutte
pour leur indépendance, pour maintenir la paix.
Avec
ces changements et le nouveau visage de la vie portuaire il nous a paru
opportun de rappeler certains aspects de ces combats.
Profession
docker :
La
profession, ses principes de fonctionnement, son statut sont souvent
méconnus.
Il nous a semblé utile de les faire connaître.
Au
19ème
siècle et jusqu’aux années 1930,
l’ouvrier du
port n’est
protégé
par aucune
convention collective,
et l’embauche, le salaire, sont établis selon le
bon
vouloir patronal. Il
faudra attendre le 6 septembre 1947 pour que l’organisation
du
travail de
manutention dans les ports soit réglementée par
une loi.
La
loi va instituer la reconnaissance de la profession en imposant aux
patrons que
les opérations de déchargement et chargement des
navires
ainsi que les
opérations sur des terre-pleins ou sous les hangars, dans la
limite du domaine
public d’un port, soient effectuées par des
ouvriers
dockers titulaires d’une
carte professionnelle.
Dans
chaque port sera fixé le nombre maximum de dockers
professionnels (2 000 à
Rouen). Si le trafic le nécessite, il sera fait appel
à
des occasionnels.
Pour
assurer l’application et le contrôle de cette loi,
a
été crée un Bureau
Central
de la Main d’Oeuvre dans chaque
port maritime. Cet
organisme est paritaire, il est présidé par le
directeur
du port et comprend
trois représentants des ouvriers dockers et de la
maîtrise, trois représentants
des entreprises de manutention.
Ce
BCMO est chargé du contrôle de
l’embauche, des
classifications des ouvriers, de
la répartition du travail entre dockers professionnels et
des
garanties en cas
de chômage. La mise en place de ces dispositions a
nécessité la création de
services administratifs ainsi qu’un lieu permettant de
rassembler
quotidiennement les dockers pour l’embauchage et la
répartition du travail,
d’où la construction dans tous les ports
d’un
équipement adapté.
Ce
rassemblement quotidien va permettre d’assurer la
cohésion
entre les ouvriers,
la participation des représentants syndicaux à la
répartition du travail. Leur
présence au conseil d’administration du Port
Autonome
donnera une grande
autorité au syndicat. Ce seront aussi des
éléments
de solidarité et d’unité de
la profession. Dans le port de Rouen les dockers sont
syndiqués
à la CGT.
Le
syndicat général des ouvriers du
port.
Le
syndicat général regroupe tous les ouvriers, les
chefs de
service dont beaucoup
sont issus de la profession de docker, les contremaîtres ou
chefs
d’équipe, les
pointeurs permanents.
Arrêtons-nous
sur le fonctionnement du
syndicat :
pour les catégories autres que celle des dockers, elles
étaient représentées
par des sections catégorielles.
Une
fois par an, les adhérents sont appelés
à voter
pour élire le conseil syndical.
Daniel Brugot et Michel Pierre, deux responsables syndicaux expliquent
(dans un
article d’Éric Cuillaud des Cahiers du GRHIS) que
le vote
a lieu à bulletin
secret pour une liste de 21 ouvriers composée de
l’équipe syndicale sortante,
complétée par une liste sur laquelle quiconque le
souhaite peut s’inscrire,
sous réserve qu’il soit syndiqué et
à jour
de ses cotisations.
Le
conseil syndical élu comprendra 21 militants, 17 dockers et
2
membres de chaque
section technique. Ils éliront un bureau à
bulletin
secret qui sera chargé avec
le secrétaire général du
fonctionnement du
syndicat.
Le
syndicat comprend les délégués aux
litiges, les
trois contrôleurs d’embauche au
BCMO, le délégué aux œuvres
sociales, le
délégué à
l’hygiène et la
sécurité et
un trésorier.
Il
y
a aussi les représentants syndicaux au conseil
d’administration du BCMO et à la
CAINAGOD (Caisse Nationale de Garantie des Ouvriers Dockers). Seuls les
traitements du Secrétaire Général et
du
trésorier sont payés par l’organisation
syndicale.
Les
ouvriers sont convoqués en assemblée
générale régulièrement. Si
une
décision ou
prise de position devait être décidée,
cela se
faisait à main levée. Dans ces
assemblées chacun pouvait s’exprimer en demandant
la
parole, la seule condition
était d’être à jour de ses
cotisations.
Le
fort taux de syndicalisation résulte de plusieurs facteurs.
Chez
les dockers
les relations d’homme à homme jouent pleinement,
elles
reposent souvent sur des
liens familiaux et sur le fait que la puissance du syndicat est une
garantie
pour maintenir et améliorer l’acquis.
Sur
le port « être docker, ça se
mérite de père en fils ».
C’est
la réponse de Michel Alexandre
secrétaire général du syndicat CGT
à une
journaliste qui lui demandait comment
on devient docker. Un ouvrier rajoutera « je suis
heureux
d’être docker,
comme l’était mon père, ça
plaît bien
à mon fils qui travaille avec moi. Sur le
port on a la liberté, la camaraderie, la
solidarité ».
C’est
cette philosophie qui fera la force du syndicat CGT et qui permettra de
battre
en brèche les mauvais coups du patronat et des
gouvernements,
qui arrachera des
succès revendicatifs, qui permettra d’aider les
travailleurs d’autres
professions en lutte et d’assurer une solidarité
efficace.
La
camaraderie est indispensable pour
pouvoir travailler en équipe, la solidarité,
elle, se
manifeste
quotidiennement. Raymond Rooryk, un dirigeant du syndicat
explique : « la
mise en place des équipes s’effectue par routine:
les
jeunes prennent les
postes les plus difficiles, les anciens, on leur attribue de
préférence les
travaux les moins pénibles. Toujours par
solidarité,
c’est un principe».
C’est
une profession qui a un grand esprit de responsabilité que
même le patronat
reconnaîtra. Un ancien président de
l’Union
Nationale de Industries de la
Manutention déclarera "les
dockers en une
génération ont réussi une
montée sociale
unique dans les divers corps de
métier, les dockers ont aujourd’hui un
véritable
pouvoir avec lequel il faut
composer, mais ils ont acquis une maturité suffisante pour
qu’on puisse
discuter avec eux. Dans le respect réciproque des objectifs
de
chacun, un juste
équilibre doit être trouvé entre
l’amélioration de la situation sociale des
dockers et l’amélioration de la
technicité de la
manutention, domaine où les
ports français sont en retard, bien que les dockers
n’aient jamais fait
opposition au progrès technique"
Une
fois n’est pas coutume que le patronat reconnaisse des
qualités aux ouvriers,
il est donc normal de le signaler.
Défendre
le statut c’est défendre le
port :
Avant
d’aborder les luttes menées pour
défendre le statut
de 1947 qui régit la
profession de docker, montrons comment s’effectue
l’embauche quotidienne des
ouvriers.
Chaque
jour, dès 6 h 30, les dockers se rassemblent dans le hall
d’embauche (BCMO) des
équipes se forment autour d’un responsable de
bordée. Dans des cabines
installées autour du hall, les contremaîtres
représentant les transitaires
rythment la cadence d’embauche par le jeu de
lumière rouge
et verte installé
sur la façade de la cabine. Rouge c’est fini, les
ouvriers
qui n’ont pas été
embauchés vont pointer pour toucher une indemnité
de
chômage.
Cette
indemnité leur est versée par la Caisse Nationale
de
garantie des ouvriers
dockers (CAINAGOD). Elle est financée par une contribution
patronale en
pourcentage des rémunérations totales brutes
payées aux dockers, le taux est
fixé par arrêté ministériel.
Il en est de
même pour l’indemnité versée
aux
dockers professionnels, son montant est fixé par un
arrêté.
Les
attaques patronales contre la loi
de 1947.
Le
patronat portuaire n’a jamais accepté les
garanties
statutaires obtenues par la
profession.
Prenant
prétexte de concurrence internationale, de coût de
la main
d’œuvre des ports
français présenté comme
étant
supérieur aux ports étrangers, de la
nécessité
d’harmoniser par le bas les salaires directs et indirects au
nom
de
l’indispensable construction européenne.
Aidé par
les gouvernements successifs
à partir de 1969, il tentera de modifier les conditions
d’embauche et de
rémunération des dockers.
En
septembre 1969, le ministre de l’Équipement et des
transports, les employeurs
de manutention, les armateurs, les directions des Ports
s’attaquent aux
garanties statutaires. Leurs propositions sont :
- supprimer
la cotisation patronale pour le plus grand nombre
possible d’ouvriers,
- avoir
le droit d’embauchage et de licenciement sans passer
par le BCMO,
- réduire
le nombre d’hommes dans les bordées,
- supprimer
la limitation du poids par palanquée,
- réviser
les horaires de travail.
A
la
suite de plusieurs arrêts de travail, le gouvernement va
reculer,
pas pour
longtemps. Dès juin 1970, dans un article paru dans
l’Avenir des Ports (journal
de la fédération CGT) Gaston Henry explique que
le
ministre des transports
Albin Chalandon se rend bien compte que les dockers ne pourront
être embauchés
tous les jours, il prévoit une société
de main
d’œuvre composée exclusivement
d’employeurs, ce qui remet en cause le principe du BCMO.
A
la
tribune de l’Assemblée Nationale, il
déclarera : « L’État
doit se libérer d’un certain nombre de charges et
faire
appel à
l’investissement privé ».
Les
patrons iront dans ce sens en installant des moyens de stockage hors
zone
portuaire, ce qui permet l’utilisation d’une main
d’œuvre ne relevant pas du
statut des dockers.
Ce
que vise le gouvernement, c’est la privatisation du domaine
public que sont les
quais, les hangars de stockage, les engins de levage. Ceci
représente en 1970
pour le port autonome de Rouen : 13 500
mètres de
quai, une zone
d’occupation de 2 140 hectares et 7 258
hectares
d’extension réservés
entre Rouen et l’estuaire de la Seine.
Le
port c’est 210 kilomètres de voies
ferrées,
150 000 m2
de
hangars, des silos de stockage de 140 000 tonnes de
céréales, 210 grues de 3 à 150 tonnes
de levage, 3
postes roll-on/roll-off, des
pontons et side-loader pour les conteneurs auxquels
s’ajoutent 3
docks
flottants pour la réparation navale et les remorqueurs et
engins
de dragage ,
21 000 m2
de
hangars
pour les
bananes dont le trafic sera supprimé au profit du port du
Havre
quelques années
plus tard.
Cette
énumération montre l’importance de la
bataille pour
protéger le bien public et
l’intérêt national qui concernera les
dockers mais
également les personnels
employés dans les différentes
activités portuaires.
La
bataille contre ces projets gouvernementaux va durer 9 mois. Dans le
port de
Rouen, les dockers sont réunis en assemblée
générale plusieurs fois par mois
pour décider des arrêts de travail, de la
suppression des
heures
supplémentaires, du travail de nuit et du dimanche.
Supprimer
les heures de nuit et du dimanche c’est empêcher
les
navires de quitter le
port, de pouvoir profiter de la marée donc de rester un ou
plusieurs jours en
plus à quai. Un navire immobilisé
représente une
dépense de 3 à 4 millions de
francs par jour en 1972.
Au
mois de novembre 1972 la fédération CGT des Ports
et
Docks pouvait
déclarer : "Le
gouvernement, les banques
Rothschild, Worms et des Pays-Bas qui dominent
l’économie
du pays en général et
l’économie portuaire en particulier
n’ont pas
réussi leur
mauvais coup
grâce à l’unité de tous les
ouvriers rassemblés autour de leur
fédération "
Les
patrons ne vont pas abandonner leurs projets, ils vont utiliser la
presse pour
faire passer l’idée que ce sont les exigences des
dockers
et des personnels des
ports autonomes qui mettent en cause l’avenir portuaire du
pays.
Le
28 novembre 1972, le journal
Le Monde titrait
« les
armateurs dénoncent
les grèves
répétées des ouvriers de la
manutention, ces
grèves sont un arrêt de mort pour
les ports français ».
La
lutte contre la privatisation des quais va se poursuivre, en septembre
1973,
dans le port de Fos-Marseille, la société SOLMER
fait
décharger du navire
« ORESTIA » 18 300
tonnes de
manganèse sans employer de dockers
ni de personnel du Port autonome pour conduire les engins de
déchargement,
c’est la première mise en application des
orientations du
ministre Chalandon.
La riposte ne se fait pas attendre. Le 4 octobre la grève
est
générale pour 24
heures dans tous les ports du pays.
Faire
échec à toute tentative
patronale.
La
lutte des dockers et du personnel du port (grutiers, conducteurs
d’engins) va
se poursuivre.
Le
16 octobre 1973 à l’occasion de
l’inauguration du
nouveau siège du Port
Autonome par le ministre de l’équipement,
débrayages et manifestations, du 29
octobre au 4 novembre suppression des heures supplémentaires.
Le
21 janvier 1974 suite au déchargement du navire
« Lucy » par la
SOLMER à Fos sans employer de personnel portuaire :
nouvel
arrêt de
travail.
Le
3
juillet voilà le
« Hellen » qui une fois de plus
fait son
entrée chargé de 120 tonnes
d’armes en provenance des USA, malgré les
pressions de la
direction du port qui
supprime le salaire garanti, les dockers ne déchargeront pas
le
navire.
Dans
les mois qui suivent, le
« Fronsac » tentera de
faire décharger 30
tonnes d’armes et de munitions et devant le refus des dockers
de
Rouen, il fera
comme le « Pomerol » il tentera
le coup au Havre,
les dockers
refuseront, il en sera de même à Dieppe.
Le
20 juillet 1954 c’est le cessez le feu en Indochine. Les
peuples
du Vietnam, du
Cambodge et du Laos en ont fini avec le colonialisme
français,
les ouvriers du
port comme les travailleurs des autres professions ont
été partie prenante de
cette victoire contre la guerre et pour le droit à
l’autodétermination de ces
peuples.
Paix
en Algérie !
Le
1er
novembre 1954 une nouvelle guerre d’indépendance
commence
en Algérie, elle durera huit longues années.
Seule la CGT
en tant
qu’organisation syndicale, va affirmer dès le
début
du conflit son soutien aux
aspirations d’indépendance du peuple
algérien.
Des
milliers d’actions sous des formes diverses,
grèves,
manifestations, opposition
au départ des soldats rappelés vont montrer dans
tout le
pays et en
Seine-Maritime la volonté des travailleurs, des enseignants,
des
étudiants, de
diverses organisations de jeunesse , de partis politique (PCF, PSU),
d’intellectuels, d’en finir avec ces guerres
coloniales et
de respecter le
droit des peuples à s’émanciper et
à
décider eux-mêmes de leur destin. Les
ouvriers du port de Rouen seront partie prenante de cette longue et
difficile
lutte.
Le
6
octobre 1955 ils participeront à une manifestation de
solidarité organisée par
la CGT et le PCF pour soutenir les rappelés de la caserne
Richepanse retranchés
dans leur caserne pour s’opposer à un
départ au
Maroc. La répression s’abattra
sur les manifestants. Cette lutte durera 3 jours avant que les soldats
soient
embarqués dans des camions encadrés de CRS.
Dix-huit
soldats seront arrêtés et
neuf inculpés.
Les
12 et 17 mai 1956 les dockers de Rouen refusent de charger du
matériel de
guerre à destination de l’Afrique du nord.
Menacés
de sanction, le port se met
en grève.
Les
corps des soldats morts dans les combats rentrent en France par
bateau.
à chaque fois qu’un
navire arrivera en provenance d’Algérie porteur
d’un
cercueil de militaire, les
dockers arrêteront le travail sur le bateau et refuseront le
déchargement.
Le
24 avril 1961, les ouvriers du port arrêteront le travail
pour la
Paix en
Algérie et contre les agissements de l’OAS.
Le
19 mars 1962, le cessez le feu est
décrété en
Algérie, le peuple algérien a
obtenu son indépendance. La France en a fini avec les
guerres
coloniales. Les
pays d’Afrique noire obtiennent leur émancipation.
Pas
de pause pour la solidarité.
Le
19 juillet 1966 le syndicat appelle les dockers à manifester
leur soutien aux
Vietnamiens en lutte contre l’agression de
l’armée
américaine en ces
termes :
«
Vous avez
le 4 et le 16 juillet 1966 sur le
terre-plein
d’embauche, écouté avec la plus grande
attention,
les prises de parole des
camarades Rooryck Raymond du syndicat général des
ouvriers du port de Rouen, de
Georges Hacquet, secrétaire de l’Union locale de
Rouen et
de Marcel Letessier
secrétaire de l’Union départementale
sur la
situation dramatique actuelle au
Vietnam.
Après
avoir pris conscience de l’extension que pourrait prendre la
guerre du Vietnam
sur le plan mondial, suite aux bombardements des populations civiles de
Hanoï
et de Haiphong ainsi que de nouvelles troupes envoyées dans
ce
pays de façon à
opprimer ce peuple qui n’aspire qu’à la
paix et la
liberté, vous avez voté dans
une résolution au cours de la prise de parole du 4 juillet
1966,
de mettre tout
en œuvre à chaque fois que cela sera
jugé
nécessaire pour que le gouvernement
français exige du gouvernement américain, la
cessation de
la guerre au Vietnam
et le retrait immédiat des troupes
américaines de ce pays.
C’est
pourquoi, aujourd’hui 20 juillet 1966, 12ème
anniversaire des accords de Genève, à
l’appel de
votre
syndicat, vous arrêterez tous les travaux du port sans
exception
ce matin de 10
heures à 10 heures 30 et cet après-midi de14
heures 30
à 15 heures.
Cela
pour que le gouvernement français exige du gouvernement
américain : La
cessation des bombardements contre la république
démocratique du Vietnam, la
fin de l’agression américaine contre le peuple du
Sud
Vietnam, et l’application
stricte et complète des principes des accords de
Genève
du 20 juillet 1954
garantissant l’indépendance, la
souveraineté et la
réunification du Vietnam. »
Le
12 septembre 1967 une délégation des syndicats du
Nord
Vietnam conduite par son
président Huang-Quoc en visite en France
pour remercier la CGT, le PCF
et le mouvement de la Paix du
soutien
qu’ils assurent à son peuple, a exprimé
le
désir de rencontrer les dockers de
Rouen. A 6H 30 ils seront 1 500 dockers rassemblés
devant
le BCMO. Ils ont
répondu à l’appel
d’André Rock,
secrétaire général du syndicat qui
dans un
tract déclarait :
« Au
moment où
l’agresseur américain, sans souci des vies
humaines,
pratique la surenchère de
l’escalade, une délégation syndicale de
la
République Démocratique du Vietnam
est à Rouen. Connaissant la traditionnelle position des
dockers
en faveur de la
paix elle a exprimé le désir d’avoir un
contact
humain avec vous. »
Lors du meeting, André Rock rappellera que 38 fois les
dockers
de Rouen ont
refusé de charger ou décharger du
matériel de
guerre. La délégation
vietnamienne sera reçue dans la journée dans les
locaux
de l’Union
départementale CGT, en présence de plusieurs
centaines de
militants, où Bernard
Isaac secrétaire général, et
Léon Mauvais
secrétaire confédéral
réaffirmeront
le soutien des organisations de la CGT.
Le
lendemain, la délégation se rendra au Havre
où
elle sera accueillie dans le
hall de la gare par près de 1 000 travailleurs
havrais. La
visite se
terminera par une entrevue avec René Cance, maire communiste
du
Havre.
Un
mois plus tard le 20 octobre 1967, les ouvriers portuaires seront
appelés à
cesser le travail à 17 heures pour assister au
meeting de
solidarité, place des Emmurées à
Rouen, organisé par le
Mouvement de la Paix, la CGT et le PCF.
Samedi
16 mars 1968, nouvel arrêt de travail à 16 heures
pour
« que
la juste cause d’un peuple soit respectée, pour
que le
droit triomphe de
l’ignominie »
déclare la
direction syndicale en appelant les ouvriers
à participer à
la manifestation de soutien au Vietnam
organisée par
plusieurs organisations. Cette
solidarité se poursuivra
jusqu’à la fin du conflit ce qui a valu une
reconnaissance
particulière des
autorités vietnamiennes. Le 29 juin 1972 à
l’appel
de la Fédération CGT des
Ports et docks, journée d’action et de collecte de
fonds.
Hanoï enverra un
télégramme de remerciements à la
Fédération :
« Avons
appris avec joie arrêts de travail par dockers à
Rouen,
Nantes, Nice, Bordeaux
le 29 juin en signe de solidarité avec le peuple vietnamien
– stop – apprécions
hautement noble geste et considérons comme encouragement
à notre lutte – stop –
vous prions transmettre en notre nom aux dockers
intéressés nos remerciements
et salutations »
TACODO.
En
septembre 1972, la Fédération des ports et docks
remettait 7 000F
collectés sur les ports aux représentants du
gouvernement
provisoire
révolutionnaire de la république du Sud Vietnam
dont une
délégation était à
Paris pour les négociations avec les États-Unis.
Le
chef de la délégation Le Trung Nam transmettait
ses
remerciements aux dockers
en ces termes :Notre
chef adjoint de la délégation Nguyen Van Tien
nous a
transmis le chèque de
7 000 nouveaux francs que vous avez envoyé pour
notre
peuple en lutte
contre l’agresseur américain. Nous voudrions
profiter de
cette occasion pour
vous adresser, à vous et à tous les camarades nos
sincères remerciements pour
leurs activités constantes envers notre peuple ».
Comme
nous pouvons le constater les dockers ont joué un
rôle
important dans le
formidable élan de solidarité sous les formes les
plus
diverses, en faveur du
peuple Vietnamien jusqu’à la chute de
Saïgon et la
débâcle de l’armée US le 30
avril 1975.
Ne
pas oublier les amis de la
profession.
En
1972
plus de 4 000 dockers des ports britanniques sont en
grève
pour exiger la
libération de cinq dockers emprisonnés parce
qu’ils
défendaient les
revendications et le droit de grève que le premier ministre
conservateur M.
Heath voulait remettre en cause. La Fédération
des ports
et docks rappelle que
la lutte que mènent les dockers britanniques ne peut laisser
sans réaction
puisqu’il s’agit
d’une lutte pour le
droit du monde
du travail, pour la liberté
et elle appelle à refuser d’effectuer les
opérations de manutention sur toutes
les marchandises en provenance
ou à
destination des îles Britanniques afin
d’obtenir la
libération des ouvriers emprisonnés,
l’abrogation
de la loi anti-grève ;
quelques jours plus tard les dockers anglais seront
libérés.
Aidons la grèce
En
1970, à la suite d’un coup
d’État,
l’armée prend le pouvoir. Le pays est
dirigé
par des colonels d’extrême- droite. Le gouvernement
français est plus que
timide pour condamner ce coup d’État. La
commission des
communautés européennes
à laquelle participe la France se contentera de
reconsidérer son accord de
coopération avec le gouvernement des colonels.
Les
libertés sont mises à
mal
dans
le pays, interdiction des partis
politiques, arrestations, emprisonnement etc…
C’est dans
ce climat que les pouvoirs
publics français ont autorisé la venue dans le
port de
Rouen de deux navires de
la marine militaire grecque et organise des réceptions en
leur
honneur. Le
syndicat du port organise la riposte en réaffirmant sa
solidarité avec le
peuple grec et exige le départ immédiat des
navires et
effectue un arrêt de
travail le matin et le soir : le port
s’arrêtera
à 19 heures. Les bateaux
repartiront. Ce régime des colonels terminera son abominable
règne en 1974.
Halte
à la terreur fasciste
au
Chili !
Le
11 septembre
1973, l’armée chilienne aux ordres du
Général Pinochet organise un
putsch fasciste et renverse le gouvernement démocratique de
Salvador Allende.
Dans toute la France l’indignation des travailleurs se
manifeste.
Les dockers
de Rouen feront une grève de 24 heures par
solidarité
avec le peuple chilien.
Avant
le putsch les dockers du Havre avaient manifesté leur
solidarité au
gouvernement populaire du Chili en s’opposant à la
saisie
par une compagnie
américaine de 1 200 tonnes de cuivre chilien du
navire
« Birte-Olendorff ». Le
congrès permanent
d’unité syndicale des
travailleurs d’Amérique latine transmettra ses
remerciements aux dockers du
Havre.
Depuis
près d’un siècle, les travailleurs, les
peuples de
nombreux pays ont reçu le
soutien à leur cause des ouvriers du port de Rouen.
Solidaire
des travailleuses
et
travailleurs de l’agglomération de Rouen.
Le
syndicat des dockers a souvent été
amené à
assurer son soutien sous diverses
formes aux salariés en butte à la
résistance
patronale.
Prenons
seulement deux exemples significatifs de la combativité des
ouvriers
portuaires.
En
1973 les métallos de la CFEM, usine de construction
métallique se trouvant sur
le port, sont en grève pour obtenir une augmentation des
salaires. La police
intervient et déloge les piquets de grève. Dans
la nuit
suivante la direction
aidée par une entreprise de l’est de la France
tente de
charger sur un cargo
une pièce de 300 tonnes sous la protection des CRS. Le matin
à 7 heures, les
dockers refusent de prendre le travail, font échouer
l’opération de chargement.
Dans la journée la direction de la CFEM conclut un accord
salarial avec les
délégués CGT des métallos.
Le travail reprend sur le port.
En
1974, l’entreprise de transport Lohéac de
Grand-Couronne
licencie trois
délégués CGT. Malgré le
refus de
l’Inspection du travail et la condamnation par
le Conseil des Prud’hommes à la
réintégration des
délégués, le
patron s’obstine
et multiplie les provocations contre la CGT. En assemblée
générale, les dockers
sur proposition du syndicat refuseront de charger les camions
Lohéac jusqu’à la
réintégration et l’indemnisation des
licenciés. Cette position sera appliquée
jusqu’en 1982 l’entreprise ayant fini par accepter
l’indemnisation des
délégués.
Les
ouvriers des ports ont joué un rôle
déterminant
pour le progrès économique de
la Seine-Maritime.
Leurs
syndicats ont toujours fait de l’internationalisme de la
Confédération Générale
du Travail un engagement permanent pour faire grandir la
solidarité
internationale, élément indispensable pour
construire un
syndicalisme
international permettant de faire face aux enjeux de luttes de classe.
Leur
solidarité avec les travailleuses et les travailleurs en
lutte
dans
l’agglomération de Rouen a toujours
été
voulue comme une contribution à l’unité
des travailleurs et au développement du syndicalisme CGT.
Bibliographie
et sources :
- Archives
du syndicat CGT du port de Rouen
- Cahiers
du GRHIS n° 7 – Groupe de Recherche
d’Histoire de
l’Université de Rouen.
- L’Avenir
des Ports – journal de la fédération
CGT des ports
et docks.
- Paris-Normandie
– avril 1980.
- Avenir
de
Seine-Maritime.
- Le
port
de Rouen par G Bouju - 1970