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Monument du mouvement syndical

Franklin, un symbole.
Du Cercle d’ouvriers à la Bourse du Travail.

Par Albert Perrot

Franklin en 1909


Dans le cadre du Centenaire de l’Union Locale CGT du Havre, il est intéressant de mieux connaître l’histoire d’un lieu hautement symbolique au Havre : Franklin

Franklin ! Qui ne connaît Franklin ? Ce nom et lieu incarne et cristallise la riche et tumultueuse histoire du mouvement ouvrier havrais.Bastion des luttes ouvrières, centre névralgique du mouvement ouvrier, Franklin, depuis plus de cent ans est associé à la vie et à l’action du monde du travail, à la vie et à l’action syndicale.

Mais aussi nom étrange que celui de Franklin pour une « Bours

e du Travail » ! Cela mérite de revenir aux origines de ce lieu, avant de dégager les grands moments de son histoire.

Dimanche 9 janvier 1876 : Inauguration en grande pompe  du Cercle Franklin

Ce dimanche 9 janvier 1976, c’est l’effervescence dans le quartier du Rond Point. La population est venue en foule. Les drapeaux flottent partout.
C’est jour de liesse ! C’est en effet ce dimanche 9 janvier à 15 heures précises qu’à lieu l’inauguration du Cercle Franklin.

Inauguration qui va se faire en grande pompe. Toutes les grandes sociétés musicales sont là : la Fanfare Havraise, la Fanfare Gravillaise, la Lyre Havraise, la Cécilienne… Une cantate a même été composée spécialement pour l’inauguration. La foule des grands jours qui se presse va vibrer au son des harmonies musicales et des chants.

Qui plus est, cette inauguration revêt une dimension quasi nationale, marquée qu’elle est par la présence de deux grands hommes politiques :

C’est ce dernier qui prononça le discours d’ouverture.

Pour l’occasion, chacun avait mis ses plus beaux atours, revêtu son costume de cérémonie.

La création de ce Cercle Franklin marqua une étape importante dans la vie du quartier. Ce qui était hier une espèce de bidonville, traversé de venelles sales, bordé de misérables bicoques, habité par des chiffonniers, se transforma en 1874 en un jardin public planté d’arbres. L’inauguration de ce Cercle Franklin avec sa façade majestueuse achevait de rénover ce quartier et lui donnait de nouvelles lettres de noblesse.

Ce lieu allait devenir un des principaux centres nerveux de la vie sociale du Havre, un lieu d’animation important.

Le Havre à cette époque comptait 92 000 habitants.

Le Cercle Franklin, à ses débuts, n’est ni une Bourse du travail, ni le siège des syndicats ouvriers

Franklin en 1909


Pourquoi ce Cercle Franklin ?

A l’origine, le Cercle Franklin a été conçu et réalisé pour être un Cercle d’ouvriers.

L’objectif de ces Cercles d’ouvriers est nettement défini par Jules Siegfried dans une conférence donnée le 29 novembre 1874. Il s’agit d’assurer aux ouvriers le bien-être social, intellectuel et moral, en même temps que la distraction et la récréation, pour les éloigner de ces lieux funestes que sont les cabarets, où la seule distraction consiste à fumer, boire, se laisser entraîner par de mauvais exemples et prendre des habitudes vicieuses.

« L’ouvrier, Messieurs, n’a pas de pire ennemi que le cabaret ! »

Il s’agit donc de créer un établissement doté d’une salle de conférences pour répandre l’instruction, d’une salle de concert, d’une salle de gymnastique, d’une bibliothèque, de salles de conversations, de jeux, de réunion pour les sociétés de secours mutuels, et de répétition pour les sociétés musicales.Mais l’objectif visé était surtout d’assurer la paix sociale, de réaliser l’union du capital et du travail, d’éviter toute contestation, toute remise en cause de l’ordre établi.

Il faut maintenir l’ordre existant, à tout prix, autrement dit :

Dans son discours d’inauguration, Jules Siegfried affirme clairement ses intentions :

« Le jour où chacun, qu’importe sa situation, comprendra qu’il doit s’occuper de ceux qui sont moins heureux que lui, le jour où chacun se mettra à l’œuvre, apportant son travail, si modeste soit-il, ce jour-là cette question sociale, objet de tant d’effroi, parce qu’elle est si peu connue, ne sera pas loin d’être résolue.Notre Cercle marque un pas en avant, car il montre notre désir très sincère, très réel de nous occuper, dans un esprit d’affection et avec un entier désintéressement, des classes ouvrières.Nous comprenons surtout que dans notre pays où les excitations sont si faciles, le meilleur moyen d’empêcher les révolutions qui ne profitent à personne, c’est que ceux qui possèdent tendent une main loyale à ceux ne possèdent pas.
Nous voulons dissiper les préjugés et montrer à ceux pour qui la vie est plus difficile qu’il ne doit pas y avoir de lutte entre la pauvreté et la richesse ».

Pour faire partie du Cercle Franklin, il faut acquitter une cotisation annuelle de 5 francs, ce qui représente plus d’une journée de travail pour un ouvrier. Cette cotisation importante, limitera l’adhésion des ouvriers, et le recrutement se fera parmi le

s couches moyennes, les familles suffisamment aisées. Ainsi le Cercle Franklin n’aura d’ouvrier que le nom.

La première année, le Cercle comptera jusqu’à 2000 adhérents, ce qui représente un bon succès, mais ce succès sera de courte durée, puisqu’en 1888, il est contraint de suspendre ses activités pour difficultés financières.

Le Cercle Franklin, en tant que Cercle d’ouvriers, aura donc vécu 12 ans.Durée éphémère ! Mais les travailleurs garderont de ce Cercle d’ouvriers l’idée essentielle qu’il leur faut s’instruire, réfléchir à partir de leur réalité vécue, pour trouver les solutions à leurs problèmes.

Pourquoi ce nom de Franklin ?

La dénomination de Franklin fait partie du langage courant et personne ne s’interroge sur l’origine de cette appellation.

Étrange pourtant que ce nom de « Franklin », associé à une Bourse du travail, à un siège de syndicats !

Qu’y a-t-il de commun entre des travailleurs, des syndicats, et un physicien américain du XVIIIè  siècle, devenu célèbre par son invention du paratonnerre, mais aussi philosophe, prônant notamment, une philosophie sociale du capitalisme qu’il incarnait ?

Étrange, en effet, que ce nom de « Franklin » pour une Bourse

du travail, quand on sait qu’il vantait l’argent en phrase restées célèbres :

« Souviens-toi que le temps c’est de l’argent. Souviens-toi que l’argent est par nature générateur et prolifique. L’argent engendre l’argent, ses rejetons peuvent en engendrer davantage et ainsi de suite… » (Advice to a young Tradesman 1748).

Ainsi, Benjamin Franklin prône comme idéal de vie de gagner de l’argent. L’appât du gain devient un but en soi. Le bonheur de l’individu se résume à la possession de toujours plus d’argent.Juste retour des choses ! Le Cercle Franklin, loin de devenir un temple de l’argent, sera le lieu de la lutte contre la logique d l’argent, du capitalisme.

Mais pourquoi Jules Siegfried a-t-il voulu donner à son Cercle d’ouvriers le nom de « Franklin » ?

Sans doute fut-il sensible au fait que Benjamin Franklin fut en 1731 le fondateur d’une des premières bibliothèques par abonnement aux États-Unis, voulant ainsi développer l’instruction, et ce en faisant appel à l’argent des industriels et des riches négociants.

Mais sans doute aussi, et peut-être surtout, parce que Benjamin Franklin est un symbole de la liberté, en relation avec son rôle dans la lutte d'indépendance des États-Unis (signataire de la Déclaration d’indépendance, du Traité de Paris et de la Constitution américaine). Rappelons qu’à l’époque il n’existe encore que peu de républiques, et que les systèmes démocratiques sont rares sur la planète.

Peut-être aussi, donc, parce que la création du Cercle Franklin se fait dans une période d'affirmation républicaine, face à la création des cercles ouvriers catholiques du comte Albert de Mun, avec des objectifs d’émancipation sociale, certes, mais aussi avec des finalités de rapprochement entre les classes.

Par ailleurs, Jules Siegfried est comme Franklin, protestant et franc-maçon, et partage largement ses idées, son éthique.

Ainsi, le choix du nom de « Franklin » n’est pas un acte anodin. Loin s’en faut ! Il symbolise parfaitement le projet social des républicains francs-maçons et protestants d’alors, qui constitueront pour quelques années les forces militantes de la « ligue de l’Enseignement », projet social qui est de participer à l’édification du capitalisme par la moralisation et l’instruction des ouvriers.

Les travailleurs du Havre feront de Franklin le symbole de la lutte contre les méfaits de l’argent, contre le capitalisme. A leur façon, ils feront de Franklin leur « paratonnerre ».

A cette époque, l’embauche des travailleurs havrais se fait au travers de bureaux de placement, répartis dans divers endroits de la ville, moyennant paiement bien entendu. C’est la raison pour laquelle la Fédération des Chambres Syndicales Ouvrières du Havre demanda à la Municipalité du Havre, lors du Conseil Municipal du 22 octobre 1886, l’ouverture d’une Bourse du Travail :

« Les travailleurs sont dans notre ville et dans le Département à la merci des bureaux de placement, aussi onéreux pour eux que les patrons et ils n’offrent aucune garantie pour personne.La Bourse du Travail ferait le placement gratuit des deux sexes et de toutes corporations ; elle concentrerait aussi bien les demandes  que les offres d’emploi ».

Après étude et discussion avec les syndicats, le Conseil Municipal du Havre décida, dans sa séance du 20 décembre 1897, l’ouverture d’une Bourse du Travail.

Le 23 avril 1989 eut lieu l’inauguration officielle à Franklin devenu ainsi la Maison des Syndicats.C’est une transformation radicale du Cercle Franklin qui devient une ruche ouvrière, où syndicats et travailleurs se rassemblent, élaborent leurs revendications, décident de leurs luttes, tiennent des meetings, notamment ceux du 1er Mai où prendront la parole des hommes célèbres comme Jaurès et Léon Blum.

De Cercle d’ouvriers, Franklin est devenu un bastion de la Classe Ouvrière.Onze syndicats adhèrent à la Bourse du Travail, dès sa création. Charles Mark du Syndicat du Port est nommé Secrétaire Général.

Ainsi commence une nouvelle histoire du Cercle Franklin.

Franklin en 1990


 

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