Quand l'entreprise se souvient
Les Fermetures Eclair
Par Yes Massire, Denise
Champagne et Dominique Michel.
Rassemblement des ouvrières des fermetures
Eclair, en janvier 1982, devant l'usine de Petit-Quevilly en
Seine-Maritime
Ma naissance après la première guerre mondiale
Avant la fermeture à glissière, le bouton était roi. Mon existence est due à la première guerre mondiale. Le premier objet équipé de fermeture éclair à être produit en grande quantité fut une ceinture- porte- monnaie conçue par un tailleur new-yorkais ; elle eut beaucoup de succès auprès des marins durant la première guerre mondiale. La plupart des 24 000 fermetures vendues cette année-là équipaient ces ceintures. En 1918, ces fermetures furent incorporées dans quelques 10 000 tenues de vol pour l’armée américaine. Peu après, l’utilisation de fermetures à glissières sur les gants et les blagues à tabac popularisa ce nouveau mécanisme. Cependant, le plus grand « boom » vint certainement de l’introduction, en 1923, de fermetures à glissière dans l’industrie de la chaussure.
Ce n’est qu’en 1924 que je suis née sur le site de Petit–Quevilly.
La société Davey Bickford Smith, qui fabriquait des cordons de détonateurs a exploité le brevet de la fermeture anglaise « Ligthing Fastener », d’où mon nom de naissance : « Fermeture Éclair »
L’esprit paternaliste de l’entreprise
Au début de mon existence à Petit-Quevilly je n’ai réalisé que des fermetures éclair en métal de diverses grosseurs et coloris. En 1925, j’ai produit 200 000 fermetures. Ces fermetures étaient réalisées sur des petites machines, elle-même conçues et mises au point dans mes ateliers de mécanique et d’électricité.
La réalisation de ces machines de précision était accomplie par un personnel technique de haut niveau.
Le recrutement de ce personnel était fait dans les centres d’apprentissage ou collèges de la région rouennaise. A cette époque, le chômage n’existait pas dans les mêmes proportions qu’aujourd’hui et les jeunes sortant d’apprentissage trouvaient vite du travail.
Les ouvriers et ouvrières affectés à des travaux simples, répétitifs étaient souvent du personnel recruté à partir de parents ou amis déjà à l’entreprise.
Ma renommée locale était : A Fermeture Éclair on est bien payé. A Fermeture Éclair quand on y rentre c’est pour y faire carrière jusqu’à la retraite.
Parallèlement à mon développement, des jeunes qui y étaient embauchés y trouvaient l’âme sœur. C’était comme une grande famille qui travaillait dans les ateliers.
L’esprit paternaliste était entretenu par la direction de l’époque et apprécié de l’ensemble du personnel. Le comité d’entreprise se composait d’élus sans étiquette syndicale.
De nombreuses fêtes étaient organisées par le CE et la direction : Fête des médaillés (après vingt ou trente années de travail) fête d’Éclair Sport, réunissant sportif, famille, amis. Fête des catherinettes et en fin d’année le Noël des enfants du personnel.
L’entreprise grandit et le syndicalisme s’installe.
Ce n’est qu’en 1960 qu’une section syndicale CGT voit le jour à l’instigation de trois ouvriers de l’entreprise. Ils ont été aidés par le secrétaire permanent du syndicat CGT des métaux de Rouen. En 1963 ils obtiennent la première réduction de travail d’un quart d’heure par jour.
Cette petite section syndicale grandit et permet en 1964 la création du syndicat d’entreprise Fermeture Éclair rattaché à l’USTM.( Union Syndicale des Travailleurs de la Métallurgie de Seine-Maritime)
L’effectif de l’époque comprenait : 300 hommes à l’atelier d’outillage et services d’entretien ; 800 femmes aux ateliers de production.
Les revendications de parité des salaires entre hommes et femmes, de suppression des abattements de salaire pour les jeunes de moins de 18 ans et la réduction du temps de travail sans perte de salaire, ont été prises en compte par le syndicat.
Fort de 250 syndiqués et des 600 voix aux élections professionnelles, les résultats sont intéressants.
Pour l’année 1966 les Salariés ont obtenu :
La Direction refuse le principe d’une retraite anticipée avant 65 ans.
L’organisation syndicale élargit les responsabilités vers d’autres camarades en créant 3 commissions : Recrutement, jeunes, féminine.
L’attention se porte vers les futures mamans. A partir du 6ème mois
de grossesse une heure de travail en moins est réclamée. Les
revendications individuelles du personnel se trouvent alors mieux
défendues. Les salariés commencent à se sentir plus concernés par des
actions d’ampleur plus générales en unité avec les entreprises de la
région rouennaise.
Rassemblement des ouvrières des fermetures
Eclair, en mai 68, devant l'usine de Petit-Quevilly en Seine-Maritime
Les grandes grèves de mai 68.
Contrairement à 1936 où par crainte des interpellations et dégradations venant de l’extérieur, l’ Employeur avait fermé l’usine, en mai 1968 les événements se déroulent autrement. Après Renault Cléon en début de semaine, les occupations d’entreprise se sont généralisées.
Aux « Fermeture Éclair » le vendredi 17 mai après-midi au cours d’un débrayage, le syndicat CGT propose la fermeture des portes et l’occupation de l’usine. Sur les 1200 personnes à l’effectif, 500 votes décident d’occuper les lieux. Toutes celles et ceux qui étaient restés au travail se sont fait interpeller durement et parfois insulter lors de leur sortie du travail en cette fin de semaine. Jusqu’au constat de Grenelle l’usine reste bloquée.
Avec Grenelle, les salaires des OS (dont de nombreuses femmes) augmentent considérablement. Pour les autres salariés c’est + 10% en moyenne. Une première ici où tout était hiérarchisé ; s’y ajoute une prime de vacances de cent francs, égale pour tous.
Toutefois, en négatif, la grève a amené des tensions entre personnels grévistes et non-grévistes. Ces tensions sont si fortes que l’employeur en profite pour diviser les Salariés et il encourage la création du syndicat Force Ouvrière, à partir des non-grévistes.
Le Président Directeur Général était anglais. La direction générale
du groupe après avoir analysé les événements de 1968, au prétexte que
ce PDG n’aurait rien vu arriver, décide de le remplacer en 1969 par
un français, présent sur le site afin d’améliorer la
communication.
Entrée de l'usine en mai-juin 1968
Le plus fort de ma vie, vers 1970.
J’étais à cette époque la seule entreprise à posséder un choix aussi
complet de fermetures en métal, nylon, valable pour toutes les
applications du marché. J’ai fait vivre 1500 salariés dont plusieurs
centaines en dehors de mes murs. Des travaux simples étaient effectués
à domicile par de nombreuses mères de famille.
L’ensemble des travaux manuels était rémunéré suivant le rendement journalier, puis en 1963, la rémunération est établie par période de trois mois suivant trois critères: le niveau d’activité, la qualité du travail, la coopération suivant un barème. Le niveau de salaire est alors devenu plus régulier, notamment pour l’ensemble du personnel féminin.
Les salaires des professionnels, techniciens, agents de maîtrise sont alors révisés chaque année. Pour tous, une gratification de fin d’année était perçue avant Noël.
La première à essuyer les plâtres de la mondialisation.
Durant l’année 1969, afin de compenser les pertes d’emploi dans les bassins miniers et de la sidérurgie qui commencent dans le Nord, le gouvernement permet l’implantation d’une nouvelle société sur une zone franchisée à Seclin. Celle-ci est en concurrence directe avec moi..
Cette entreprise japonaise YKK. a une stratégie assez simple. Elle fabrique au Japon, à faible coût de main d’œuvre, les composants de base des fermetures à glissière, puis assemble ces composants en France à Seclin, ainsi le prix de revient est toujours inférieur à Fermeture Éclair.
Aux clients Fermeture Éclair, YKK. propose systématiquement des prix inférieurs, prenant ainsi de plus en plus souvent des parts de marché.
Progressivement, les salariés vont ressentir les conséquences et les méfaits de cette politique du moindre coût. D’année en année, les salaires vont baisser, les promotions se ralentir et les conditions de travail se dégrader notamment par une augmentation considérable des cadences.
Malgré les sacrifices imposés, le travail continue de baisser. Le chômage partiel s’installe. La production mondiale de fermeture d’YKK dépassera pendant la période 1975/1976 la production des Fermetures Éclair.
Changement de nom: je deviens
Eclair-Prestil
En 1976, la famille s’agrandit. Le groupe Fermeture Éclair prend le contrôle des usines Prestil de Choisy-le-Roi en région parisienne et de Bernay dans l’Eure. Par cette restructuration, je change de nom. Désormais je m’appelle Éclair-Prestil.
La coordination difficile entre les Directions des 3 sites ne permet pas de rationaliser les productions, de stopper la perte de gros clients. Je produirais ce que la concurrence refuse de réaliser à cause d’un faible taux de rentabilité.
Le chômage partiel est régulièrement reconduit chaque année avec des pertes de salaires de plus en plus importante selon les catégories professionnelles. A la place du chômage, l’obligation de prendre des congés individuels devient de plus en plus fréquente. Toutefois, les actions répétées du personnel à l’instigation de la CGT permettent quelquefois des compensations de salaires complémentaires aux indemnités de chômage partiel.
En 1976 la division Marston (Fabrication d’énormes réservoirs caoutchouc pour l’Armée) installée sur le site de Petit-Quevilly est vendue à Kléber Colombes et transférée à Elbeuf .
Éclair Prestil est cédé à Optilong (groupe allemand qui fabrique aussi des fermetures à glissière de marque Opti)
Pour compenser en partie la baisse du chiffre d’affaire des
fermetures, la décision est prise par la direction, à partir de
l’atelier « moulage sous pression » de fabriquer des
montures de lunettes Sunair. Cette activité de diversification ne se
développera pas à Petit-Quevilly et sombrera définitivement après la
décision de la transférer à Haïti.
En 1980, le personnel de l'usine interpelle le
PDG, M. Témareck, à l'occasion de sa visite.
On reconnait au centre Annicl Périca, la secrétaire du syndicat CGT,
devant la porte.
Les difficultés financières d’Éclair Prestil deviennent alors très importantes et ne cessent de s’aggraver, jusqu’à la cessation de paiement.
Le tribunal de commerce de Rouen déclare alors l’entreprise en
Suspension Provisoire de Paiement (S.P.P.). Un Administrateur
judiciaire est nommé ; la perspective des licenciements est bien
réelle.
1981: interpellation du PDG, M. Thelem, par
les ouvriers et les ouvrières, à l'entrée de l'usine.
Le jeudi 7 janvier 1982, lors du Comité central d’entreprise
l’administrateur annonce 950 licenciements sur les 3
usines.
Le personnel réagit vivement et, répondant à l’appel des organisations syndicales, il décide d’occuper le site de Bernay et de Petit-Quevilly lors de l’assemblée générale du 7 janvier 1982.
1982: une occupation de l’usine qui dure 11 jours.
C’est sur la base d’un document élaboré par le syndicat CGT avec le personnel « analyse et propositions de la CGT » que des négociations s’engagent avec le Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (CIRI). Des actions sont également organisées par les syndicats en direction des principaux actionnaires, des partis politiques et des pouvoirs publics pour exiger un plan de sauvegarde des emplois. Se succèdent alors des réunions des Comités d’Entreprise et du Comité Central d’Entreprise sur les trois sites de Choisy le Roi, Bernay et Petit Quevilly appuyées par des actions du personnel, des arrêts de travail, des manifestations ; mais rien n’y fait: l’administrateur provisoire annonce sa volonté de supprimer 1200 emplois sur un effectif de 2300 salariés.
Manifestation des salariés d'Eclair
Industries
Avec l’aide de Samuel Fillatre de l’Union Locale CGT de Quevilly-Couronne, de l’Union Départementale de Seine-Maritime et de Jean Jacques Eudes de l’U.S.T.M.-CGT, l’occupation se fait dans la bonne humeur, pendant dix jours dans des conditions climatiques très rudes où chacune et chacun se dépasse.
Les municipalités de gauche de Petit-Quevilly et Grand-Quevilly apportent leur soutien aux travailleurs en lutte.
Plus organisés qu’en 1968, il y a 536 occupants. A chaque évolution de la situation les délégués informent en direct les grévistes et l’ensemble du personnel
Le 13 janovier 1982, conférence de presse dans les locaux de l'usine;
on reconnait :
Samuel Filatre, secrétaire de l'Union locale CGT de
Petit-Quevilly-Couronne,
Annie Périca, secrétaire du syndicat CGT d'Eclair Prestil, et Serge
laloyer (4e à partir de la gauche)
Le 13 janvier 82, alors que les délégués syndicaux sont partis négocier au C.I.A.S.I.(Comité interministériel d’aménagement des structures industrielles) certains cadres, techniciens et quelques ouvriers tentent une entrée en force dans l’enceinte de l’usine occupée. Ils sont maintenus à distance par l’action des lances à incendie et ils devront se retirer des lieux sur ordre du Préfet.
Nous avons vu des travailleurs convaincus qu’ils pouvaient bloquer les 950 licenciements à la condition d’être unis, défendant ainsi leur dignité et leur liberté du travail. Nous avons rencontré une réalité dépassant nos espérances car tout ce qui a été vécu semblait impossible trois mois auparavant ; des hommes et des femmes ont vaincu leur peur et ont agi pour la première fois. Malgré d’âpres discussions, l’amitié a gardé sa place au sein du personnel gréviste. Les poignées de main échangées dans ces moments difficiles avaient une autre valeur. Les possibilités d’imagination et de création ont été très fortes et cela dans une ambiance nouvelle. Tout au long du conflit, les élans de solidarité ont été nombreux, chacun faisant selon ses moyens. Par exemple, les employés de la cuisine ne gardent pas la quête faite pour elles, elles mettent au pot commun pour la solidarité. Un occupant marocain a préparé un excellent couscous pour tous les grévistes.
Après 11 jours d’occupation, un protocole d’accord de fin de conflit est signé à la préfecture le 18 janvier 1982.
Voici les acquis :
Conformément aux décisions arrêtées au CIASI le 13 janvier, la
situation de l’entreprise sera maintenue jusqu’à l’élaboration du plan
définitif de redressement en particulier, il n’y aura durant cette
période ni envoi de lettres de licenciement, ni déplacements de
machines, ou de tout matériel nécessaire à la marche de l’entreprise.
Une de la Vie Ouvrière, revue nationale de la
CGT, le 1er février 1963;
Toute la CGT soutient les salariés d'Eclair-Prestil.
Ces résultats de la lutte redonnent espoir à l’ensemble des salariés. Ils sont nombreux à organiser et à participer à cette journée « porte ouverte » le 13 février 1982.
Ils ont la joie de faire partager la richesse de leur activité à leur famille, aux amis et aux nombreuses personnalités qui sont venues ce jour-là .
Les semaines suivantes, des réunions entre les représentants du Ministère de l’industrie et les organisations syndicales se multiplient.
Avant chaque rencontre, les délégués C.G.T se retrouvaient au siège de leur fédération pour unifier l’ensemble de leurs demandes et présenter un front unitaire de défense des 3 sites.
Durant cette période de négociation, l’activité Automation (
fabrication de bols vibrants servant à l’alimentation automatique de
pièces sur machine de production industrielle) à été transférée sur le
site de Bernay et vendue à quelques Cadres. Cette nouvelle société sera
nommée : Bernay Automation.
Entrée de l'usine occupée en janvier 1982
La CGT prend ses responsabilités.
Elle a rappelé que la situation actuelle intervient après une réduction importante des effectifs sur les 3 sites. Il y a eu 1428 emplois supprimés en 9 ans.
Elle avance plusieurs axes d’action:
Renforcer avec le concours des Pouvoirs Publics, en liaison avec le plan textile, le contrôle et la limitation de vêtements et articles composés de fermetures à glissières qui sont fabriqués en Asie.
La CGT, consciente de ses responsabilités, du contexte économique
international, de l’état de désorganisation de l’entreprise accepté par
ses dirigeants, tolérera les départs volontaires en préretraites,
examinera toutes les possibilités de formation sérieuse pour les
travailleurs dans le cadre d’un plan de redressement économique et
social cohérent. Par contre, elle dénonce le plan Levet qui prévoit les
licenciements massifs des travailleurs.
Le premier plan de reprise en 1982.
L’Administration publique envoie un enquêteur sur les trois sites de production d’Éclair-Prestil. Il rencontre les organisations syndicales, différents cadres ou techniciens et l’administrateur provisoire de l’entreprise.
Au terme de ces consultations, un plan de reprise est établi. Il prévoit la réduction des effectifs par les départs en préretraite à 58 ans sur les 3 années à venir ;
Les licenciements appliqués sur les 3 sites sont vécus douloureusement par les Personnes touchées et leurs Camarades.
Les organisations syndicales, qui le dos au mur, n’ont pu qu’accepter ce plan sont également en difficulté. La CGT a appelé tous ceux et celles qui refusaient leur licenciement à revenir à leur poste de travail. En soutenant l’action de ces personnes, plusieurs cas sociaux ont été réintégrés aux effectifs.
L’action d’occupation de l’entreprise a permis de réduire d’un tiers le nombre de licenciements ( 900 ) prévus initialement dans le plan Levet.
L’application du plan.
Par transfert des machines et divers actes juridiques, les productions des 3 sites sont regroupées suivant le type d’activité.
Sous le nom d'Éclair-Prestil-Industries, la production et les ventes des fermetures à glissières.
Sous le nom Pétronec Fonderie, la production et la vente des pièces d’injection moulage sous pression.
Sous l’égide du Ministère de l’Industrie, une coopération entre fabricants français et étrangers est recherchée dans un cadre européen. La tentative de rapprochement avec le fermeturier DMC et Ailée est effectuée, mais elle n’aboutira pas.
Les travaux de diversifications sont mis en route.
Ecolite (Luminaires) à Petit Quevilly puis transféré à Canteleu.
Ceramacor ( Mobilier urbain) installé à Darnétal.
Ces 2 activités emploieront 46 Personnes en 1986.
Les établissements financiers ne versent pas les fonds: sur les 25 millions prévus seulement 10 sont perçus.
Par comparaison l’État a versé au titre de subventions ou de prêts participatifs 46,7 millions de francs durant l’exercice 1984 /1985.
Seul le plan social des formations du Personnel et les départs en préretraite sont correctement appliqués
La crainte de voir échouer le plan de redressement interpelle toutes les organisations syndicales qui décident d’intervenir auprès du CIRI en juillet 85.
La réponse est sans appel "L’entreprise n’est pas nationalisée, c’est une société privée qui doit se gérer par elle-même ; de ce fait le C.I.R.I n’a pas à s’initier dans les choix matériels ou professionnels".
La situation économique et financière de l’entreprise ne cesse de se dégrader et, en 1986, la direction Petronec Système France renforce son actionnariat. Le groupe suisse Fincom s’investit à hauteur de 50 millions de francs.
La région apporte son soutien par l’achat des terrains de Petit-Quevilly et de Bernay en leasing.
L’objectif de ce nouveau plan industriel c’est :
Une nouvelle Direction est mise en place ; L’administrateur est remplacé par un homme de main des Actionnaires suisses.
Un accord commercial est signé le 3 mars 87 avec l’ancien Actionnaire OPTI pour favoriser la vente de curseurs et la commercialisation de ses fermetures S .40 .
Les restructurations d’activités s’accompagnent à nouveau de licenciements secs et de préretraites pour aboutir fin 87 à un effectif de 800 Personnes sur les 2 sites.
Une tentative de transfert de la fonderie de Petit-Quevilly dans l’ancienne centrale E.D.F de Yainville est stoppée par la CGT.
Certains fournisseurs de matières premières exigent désormais le paiement comptant avant de livrer leurs marchandises.
L’activité économique ne reprendra pas, les difficultés s’accumulent et conduisent au dépôt de bilan en 1988.
De nouveaux repreneurs industriels.
Fin 1988 les administrateurs judiciaires annoncent qu’ils ont reçu des offres de reprise de la part de 6 industriels, 3 pour la fonderie et 3 pour la Fermeture à glissière. Tous prévoient beaucoup de licenciements et une perte de salaire importante pour ceux qui seront repris.
Soutenus par les actions des salariés, les représentants du personnel multiplient les démarches à tous les niveaux pour obtenir un plan de reprise amélioré et, pour le personnel non repris, un vrai plan social avec des mesures exceptionnelles ( préretraite, cellule de reclassement….) .
Fin mars 1989 le Tribunal de Commerce de Rouen désigne la SAM
(Société Aveyronnaise de Métallurgie) comme repreneur de la fonderie à
Petit-Quevilly et la société Bonduel (Fermeturier belge implanté à
Comines) comme repreneur de EPI (Éclair-Prestil-Industries ) à
Menneval- Bernay. (voir à ce sujet l’article d’André Brezot à la fin de
ce dossier)
Photos de l'usine en 1989.
La fonderie à Petit-Quevilly.
Les conditions de reprise imposées par la S.A.M sont draconiennes.
Présélection, par un cabinet extérieur, de 144 Personnes auxquelles il est fait une offre d’emploi avec suppression du 13ème mois, de la prime de vacances, prime de quart, etc. Seule la prime d’ancienneté est maintenue.
C’est en bloquant la remontée des lettres réponses du Personnel vers le cabinet extérieur que la CGT a obtenu le maintien du paiement de la mutuelle par le repreneur.
Proposition d’embauche dans une nouvelle société nommée SIGRE à partir du 1er Juin 1989.
Officialisation de cette reprise par la décision du Tribunal de Commerce de Rouen.
Au sommet de la société Sigre le groupe Arche basé à PARIS avec 2 actionnaires principaux MM. Michaux et Picard. Ils recrutent un directeur présent sur le site de Petit-Quevilly dès le 2ème semestre 1989. Celui-ci réorganise industriellement le site sur la partie de terrain restante près des ateliers du métro-bus.
Des productions fonderie jugées non rentables sont arrêtées. Pour compenser une baisse d’activité, des pin’s sont injectés durant la forte demande du marché. Sur quelques salons industriels à Paris nous serons présents. Afin de réorienter nos productions vers les sous-traitants de l’automobile, un service qualité est créé et la certification ISO 9002 est obtenue en 1998. Notre principal client est Autoliv - Klippan à Gournay-en-Bray.
Pour étaler la production durant la journée et concilier les demandes d’horaire du Personnel, une plage d’horaire souple d’une heure1/2 est obtenue.
En novembre 1992, la Direction fait détruire l’ancienne cheminée DBS (Davey, Bickford, Smith) symbole d’un passé révolu et organise la visite de la Sigre par les autorités locales et familles du Personnel (Pour la 1ère fois depuis de nombreuses années, 2 machines à injecter neuves venaient d’être livrées) .
Des études de nouvelles constructions ont été financées par le groupe Arche et l’avenir semblait plus prometteur.
A cause des nombreux licenciements effectués depuis plus de 10 ans, la pyramide des âges du Personnel est inversée ( trop d’anciens et peu de jeunes) Dans la perspective d’une pérennisation de l’entreprise et pour son développement, des jeunes sont embauchés. Ils remplacent les anciens qui ont choisi de travailler à mi-temps ou de partir en préretraite progressive.
Deux accords de 3 ans ont été conclus entre l’employeur, l’administration et la CGT.
Chaque début d’année une faible augmentation de salaire est obtenue ainsi que quelques promotions individuelles. Quelques élus du Comité d’Entreprise participent à la gestion du restaurant ou animent d’autres commissions dont celle des voyages qui bénéficiera d’un important budget.
L’ambiance sociale devenait moins difficile et l’incertitude des lendemains moins préoccupante. Cela ne durera que peu de temps.
Le 16 février 1998, changement de stratégie du groupe Arche.
Conséquence de trop d’investissements mal maîtrisés à la Sam (usine mère de Decazeville) celle-ci est en très grande difficulté. Le groupe Arche* nomme un nouveau directeur général pour les 2 sociétés. Le directeur de Sigre n’acceptant pas ses nouvelles fonctions (déclassement en Directeur commercial) sera licencié parce qu’il n’était pas parvenu au résultat escompté par le groupe Arche.
A partir de ce jour Sigre devient dépendant de l’usine Sam. Une équipe financière de la Sam prendra en mains toute la comptabilité de Sigre. Un DRH sera même présent sur le site.
Finie l’embauche de jeunes en remplacement des anciens ; même des postes clés seront répartis vers d’autres salariés. Il faut absorber les fabrications Zamac de la SAM qui se spécialise dans l’aluminium et le magnésium. Ces productions Zamac sont souvent en fin de vie et leur moule usé génère des coûts supplémentaires.
Achat d’entreprises et liquidation planifiée de Sigre.
En 2002 le groupe Arche rachète une entreprise de moulage d’aluminium par gravité à Pacy-sur-Eure (pièces automobiles).
En 2004 il rachète au franc symbolique une entreprise en dépôt de bilan, la Sifa à Orléans de 350 salariés (pièces automobiles).
Chez Sigre les 4 premiers mois de l’année 2004 sont déficitaires et début juin les travailleurs voient défiler dans les ateliers des visiteurs que la Direction avait présentés comme Banquiers.
Comme les "Banquiers" posaient des questions très techniques, les travailleurs et la CGT ont interpellé la direction. Celle-ci est contrainte d’avouer le 23 juin qu’il s’agit d’éventuels acheteurs.
Elle annonce dans la foulée que la vente des machines de fabrication curseurs est également proposée à nos principaux clients : Coats et Éclair Prym qui possèdent déjà des fonderies intégrées, l’une en Pologne, l’autre en Croatie, ils seraient prêts à nous reprendre cette activité.
Alors qu’au CE du 22 mars 2004, le projet était la réhabilitation du site par la vente de terrain et de bâtiments inoccupés, cette annonce de tout vendre 3 mois plus tard montre le cynisme de cette direction. Nous avons entrepris dit-elle de réfléchir à un avenir de Sigre en dehors du groupe Arche, afin de lui faire profiter des forces d’un groupe Zarmak en concentration.
La CGT consciente du coup fatal qui se prépare interpelle le pouvoir politique. La réponse laisse peu d’espoir ; les informations de la préfecture indiquent que le groupe Arche prévoit la fermeture de Sigre pour la fin de l’année 2005.
Une fois de plus la CGT réclame l’intervention d’un expert comptable mais cette fois-ci dans le cadre de la procédure du Droit d’Alerte Interne prévu par la loi.
Cette procédure ne pourra pas être appliquée à l’entreprise parce que le syndicat dit "indépendant" refusera la venue d’un expert comptable au CE.
La voie est donc libre pour la Direction de l’entreprise :
En décembre 2004, elle annonce le licenciement du personnel travaillant à l’activité curseurs comme suite à la vente et l’installation des machines chez Coast en Pologne.
En décembre 2005, elle annonce le licenciement économique collectif des 53 salariés restants comme suite au désengagement du client Autoliv (prévu avec lui ) pour fin décembre 2005 et de Valéo dont l’objectif officiel est d’acheter ses produits dans les pays à bas coûts salariaux.
Le 31 décembre 2005 le site de Petit-Quevilly ferme définitivement ses portes.
Quel gâchis humain et tous ces emplois définitivement perdus pour nos enfants ! .
Réflexions pré-posthumes.
Par la volonté d’industriels, je suis née en 1924. A cette époque les entreprises disparaissaient lorsqu’elles perdaient de l’argent.
A ma mort en 2005 elles ferment parce qu’elles ne rapportent pas assez pour les actionnaires.
Durant ces 81 ans d’existence, le pouvoir des Industriels a été supplanté par celui des gestionnaires de toutes les banques que vous retrouvez dans les centres villes.
En 1968 j’ai été surprise par l’explosion sociale en France et dans le monde. L’importante augmentation de pouvoir d’achat obtenue par les salariés a contribué à l’augmentation de ma production des fermetures en 1969.
Victime de la délocalisation de l’industrie textile, de la mondialisation du marché, je dois ma survie en 1982 à l’action syndicale d’occupation des lieux soutenue par les élus politiques de gauche de cette époque ( plus de 300 emplois ont été sauvés) .
Les conditions d’un redressement industriel à plus long terme étaient réunies par les apports financiers de l’État, des banques, les investissements prévus et la formation professionnelle, le départ en préretraite des anciens et l’embauche de jeunes préparait l’avenir.
Au travers des banques suisses, les nouveaux actionnaires et leurs hommes de main ont fait échouer une reprise à long terme.
L’Administration et les collectivités locales ont fortement contribué au maintien de nombreux emplois par leur niveau d’aides importantes. Trop de libertés sont laissées aux entreprises sur l’utilisation de ces aides . Nos emplois sont trop souvent transférés à l’étranger.
A quand l’Europe sociale ?
La législation européenne devrait inciter à l’augmentation des salaires, partout, avec des mesures de rattrapage spécifique pour les pays où les salaires et les niveaux de protection sociale sont les plus bas.
Les ouvriers roumains de Renault Dacia ont obtenu par la lutte 35% d’augmentation de salaire, c’est le signe que par une lutte solidaire rien n’est immuable. Avec d’autres organisations la CGT continue ses engagements pour une Europe sociale.
Aujourd’hui comme hier, le progrès social n’est possible qu’en remettant en cause le système capitaliste.
L’entreprise ne doit créer des richesses que si elles sont équitablement partagées entre tous ceux et celles qui les ont produites.
C’est mon testament de fin de vie.
* Groupe ARCHE : Équipement automobile contrôlé par 2 familles classées 432ème des plus grandes fortunes en 2007.
—
Par André Brézot 1
A Bernay en 1989 le plan de reprise Bonduel c'est la suppression des ateliers des ébauches synthétiques (remplacées par les ébauches de Comines) et le licenciement de la moitié du personnel (environ 150 sur 300)
Pour manifester sa colère et son opposition à ce plan, le personnel a défilé lentement et bruyamment dans les rues de Bernay en auto, feux de détresse allumés : une "opération escargot" impressionnante ! Puis le personnel s'est rassemblé dans l'usine autour des élus du C.E. pour interpeller le directeur de la société Bonduel venu de Belgique.
Les élus du CE (majorité CGT) ont aussi organisé une "opération portes ouvertes" (les habitants de Bernay et de sa région étaient invités à manifester leur solidarité en visitant les ateliers menacés et en participant à un meeting de soutien) et une "opération ville morte" (plus de 1000 personnes dont de nombreux élus ceints de leur écharpe tricolore ont fait une marche silencieuse dans les rues de Bernay au milieu des commerces fermés).
Par la suite les représentants du personnel ont beaucoup négocié avec le repreneur Bonduel. Dès le mois de Mai le représentant du repreneur annonçait que la prime de vacances et le 13e mois (qui devaient être supprimés) seraient maintenu à 50%, I'autre partie pouvant être compensée par une prime de productivité.
Pendant 10 ans, de 89 à 99, le dialogue a été assez constructif entre les représentants du personnel et M. Ostijn Directeur Général d'Éclair-Prestil, représentant le Groupe Bonduel (entreprise familiale qui a pris de I'expansion).
_En 1998 le Groupe Bonduel s'est rapproché de I'allemand Prym pour former le groupe Bonduel-Prym (capital détenu à 50% par la famille Bonduel et 50% Prym). Les fermetures réalisées par le nouveau groupe (500 personnes dont 150 à Bernay) portent dorénavant la marque : Éclair-Prym.
En 2000 Bonduel a retiré ses billes, laissant Prym seul à la tête du Groupe. Les difficultés ont alors commencé : baisse du chiffre d’affaires, résultats financiers négatifs…
"Le Directeur Général de l’époque a fermé les ateliers d’ébauches de Comines (Belgique) ; ce qui nous a rendus totalement dépendants des approvisionnements d’Asie, de médiocre qualité. Il a fermé aussi la fonderie d’ Airaines dans la Somme (qui nous approvisionnait en curseurs et composants) au profit de la fonderie du groupe Prym en Croatie. Ces décisions nous ont fait perdre la qualité, l’autonomie et la rapidité des délais."
En 2005, 7 licenciements et le transfert d'une cinquantaine de machines de production vers les sites ouverts au Maroc et en Tunisie. La délocalisation s’accélère. Avec les départs en retraite il reste alors 121 salariés sur le site de Menneval- Bernay.
Novembre 2006 : le nouveau Directeur (tunisien) annonce un plan de restructuration avec 48 licenciements. Le C.E. est décapité des 2 élues CGT du 1er Collège ; l'une est licenciée l'autre mise à la retraite. Dans la presse locale, le directeur fait ce commentaire : "Éclair-Prym Bernay perd de l'argent. Depuis 6 ans l'entreprise est financée par I'Allemagne (le groupe Prym). Il existe encore en France un marché porteur, celui de la proximité... On vise aussi le haut de gamme... Bernay et ses savoir-faire, tant en production qu'en recherche, sont reconnus par notre groupe. On doit donc se battre pour quelques années…" ; sans doute le temps de préparer la fin de la délocalisation ?
Restent 73 salariés inquiets pour leur avenir, "dans un bassin d'emploi ravagé" déclare un vice président du Conseil Général.
2008 : un des derniers cadres de production est licencié... Le Groupe doit bientôt ouvrir une usine en Égypte et en Turquie.
Après de longues années de résistance et de souffrance, c'est peut-être le début de la fin de la fermeture Éclair en France.
1- André Brézot a été Secrétaire du Syndicat CGT et Secrétaire du C.E.
d’ Eclair - Prestil à Bernay (Eure)